Crue majeure en Île-de-France : comment la complexité de la gestion de crise amplifie-t-elle la vulnérabilité du territoire ?

Chronique des crues et inondations en Île-de-France, n° 3   Sommaire

13 octobre 2025ContactLudovic Faytre

En impactant progressivement l’ensemble des communes riveraines de la Seine en Île-de-France ainsi que dans les régions amont (Champagne-Ardenne) et aval (Normandie) du bassin de la Seine, une crue majeure déstabiliserait la vie sociale et économique d’un vaste territoire. Certes, les inondations par débordement n’ont ni la soudaineté, ni le potentiel destructeur et meurtrier des crues torrentielles du sud de la France comme celles de La Roya en 2020, de Vaison-la-Romaine en 1992 ou, plus récemment, de Valence en Espagne, en octobre 2024. Mais l’étendue des surfaces potentiellement concernées (près de 50 000 hectares en Île-de-France) et l’ampleur de l’exposition des enjeux humains et économiques (un million de personnes et 700 000 emplois en zones inondables) constituent un premier facteur majeur de la vulnérabilité du territoire francilien. À l’échelle d’une agglomération de 10 millions d’habitants, la gestion de crise devient également particulièrement complexe. Cette nouvelle chronique met en lumière les défis considérables qu’une telle crise poserait en matière de gestion et d’organisation collective. 

En cas de crue majeure, la vulnérabilité du territoire francilien ne se limiterait pas à l’importance des dégâts dans les zones directement inondées, ni au coût des dommages. Face à une telle crue, la sécurité des personnes constitue un enjeu, et l’importance des populations potentiellement exposées renvoie directement aux problématiques et enjeux de la gestion de crise. La lente montée des eaux, de 50 cm à un mètre par jour, qui caractérise les inondations de la Seine, de la Marne ou de l’Oise et l’existence d’un système de prévision des crues à l’échelle du bassin permettent de réduire fortement le danger « immédiat » pour la sécurité des personnes : populations résidentes, travailleurs, personnes résidentes dans des établissements sensibles (EHPAD, établissements de santé…). Contrairement aux crues torrentielles, les questions de mise en sécurité, d’évacuation rapide face à la montée des eaux pour réduire le risque de mortalité ou d’accident apparaissent comme moins prioritaires. En revanche, les concentrations et les fortes densités de population sur certains secteurs très urbanisés posent de nombreuses questions en termes de capacité de réponse organisationnelle. L’évacuation de plusieurs dizaines voire centaines de milliers de personnes suppose en effet une préparation sur les moyens de transport disponibles, sur les conditions et les capacités d’hébergement provisoire, sur les priorités de sauvegarde des populations les plus fragiles… À l’inverse, le maintien des habitants dans leur logement, pendant plusieurs jours ou semaines, soulève de nombreuses questions : accessibilité, conditions de vie fortement dégradées (absence d’électricité, de chauffage, d’assainissement…), satisfaction des besoins vitaux (alimentation, eau potable…), mais aussi réponse aux exigences de leur santé et de leur sécurité.

Des équipements stratégiques en première ligne

Dans le cas d’une crue majeure, de nombreux équipements et réseaux d’importance vitale localisés en bordure de la Seine, de la Marne ou de l’Oise… seraient impactés, directement ou indirectement : postes sources électriques, usines de production d’eau potable, installations de traitement des déchets ou des eaux usées, stockages d’hydrocarbures, data centers... L’arrêt comme le dysfonctionnement de ces installations compliqueraient encore davantage les conditions de vie et d’approvisionnement de plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’habitants supplémentaires. Ils fragiliseraient aussi la continuité d’activité des services publics de proximité (établissements de santé ou sociaux) essentiels pour soutenir les populations en période de crise, ainsi que la poursuite des activités économiques.

Ces dimensions de la gestion de crise qui relève le plus souvent de compétences communales restent largement sous-estimées et insuffisamment anticipées au niveau local. Dans un contexte où l’assistance aux territoires serait nécessairement fractionnée, il est essentiel d’évaluer non seulement le nombre et la part de la population exposée dans chaque territoire, mais aussi le niveau d’exposition aux aléas afin de dimensionner au mieux les moyens à déployer.

La dimension de l’évènement « crue d’occurrence centennale » à l’échelle du bassin de la Seine représenterait évidemment un facteur fortement aggravant. Comme l’ont révélé les inondations de juin 2016 (vallées du Loing et de la Seine) ou de janvier 2018 (vallées de la Marne et de la Seine), et même si elle est parfois difficile, la sauvegarde de la population pour un évènement impactant quelques dizaines ou centaines de logements ne se traduit pas par des problèmes insurmontables. Mais la multiplication des enjeux, à l’échelle d’une agglomération de 10 millions d’habitants, complique considérablement la gestion de crise. En impactant également les régions en amont et en aval de l’Île-de-France, avec localement des enjeux très importants (Troyes, Rouen, Le Havre…), un tel évènement appellerait une réponse nationale, voire européenne, et mobiliserait les services et les moyens de secours sur une très longue période.

Anticiper à l’échelle régionale comme au niveau local, une nécessité

L’évacuation massive des populations exposées – qu’elle relève d’une initiative individuelle (auto-évacuation) ou de consignes (recommandations ou ordres) données par les autorités – apparaît comme l’un des aspects les plus complexes, mais aussi les plus traumatisants d’une inondation majeure dans l’agglomération parisienne. Perte de repères quotidiens, déplacements forcés, déstructuration du tissu économique : autant d’effets qui rendent ce processus particulièrement difficile à vivre. Elle représente un volet crucial de la gestion de crise. Définir une stratégie adaptée, organiser les moyens d’action, anticiper l’évacuation et l’hébergement provisoire des résidents, mesurer l’impact sur les services de secours… constitue autant de défis qu’il convient d’appréhender et d’anticiper, à la fois à l’échelle zonale et à celle, plus locale, des communes et des intercommunalités qui devront accompagner cette gestion de crise. À ce titre, la situation de l’Île-de-France est exceptionnelle compte tenu du double facteur aggravant que constituent le nombre de personnes potentiellement exposées et la durée de la crue qui pourrait s’étaler sur plusieurs semaines.

L’estimation des effectifs de population à prendre en charge et leur répartition territoriale, selon différents scénarios de crue, représentent une étape indispensable à la définition et à la planification des stratégies d’intervention. Dans le cadre de la mise à jour 2023 des travaux de préparation des réponses face à une crue majeure (Disposition Spécifique ORSEC zonale), le bureau planification du Secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris (SGZDS) de la préfecture de police a formalisé les conditions pouvant conduire à la décision d’évacuer des populations ou de les maintenir dans leur logement dans des conditions de vie dégradées. Ces décisions reposent sur différents critères : typologie de l’habitat, niveau d’aléa, quartier isolé rendu inaccessible par la montée des eaux, dysfonctionnement de réseaux urbains… afin d’anticiper au mieux la gestion de crise1.

La typologie des lieux de résidence (logement individuel ou collectif) permet de mieux caractériser l’exposition et la vulnérabilité de la population, notamment pour dimensionner les capacités d’hébergement provisoire, organiser l’évacuation massive et anticiper les besoins en alimentation de secours. Dans un logement individuel - ou en appartement en rez-de-chaussée d’un immeuble collectif – l’évacuation est presque systématique. L’enjeu principal porte alors sur l’évacuation prioritaire et la recherche de solutions d’hébergement d’urgence face à l’incapacité à rester dans un logement entièrement inondé. En revanche, pour les logements situés en étages hauts des immeubles collectifs et en zones d’aléas modérés (temps de submersion de quelques jours), l’évacuation peut être considérée comme moins prioritaire, dès lors que des possibilités d’accès aux immeubles restent maintenues. La hauteur d’eau sur la voirie constitue d’ailleurs un facteur clé : une submersion supérieure à 50 cm rend difficilement praticable l’accès aux immeubles, notamment par les véhicules de secours aux personnes.

Les infrastructures essentielles : le talon d’Achille de la gestion de crise

La dépendance énergétique constitue la première source de vulnérabilité des systèmes urbains et un maillon essentiel dans la chaîne de l’amplification des dommages. À l’échelle locale, vis-à-vis notamment de la santé et de la sécurité des personnes, la perte de réseau électrique mais aussi des autres réseaux qui en dépendent directement (alimentation en eau potable, assainissement, télécommunications) pose de nombreuses questions en termes de capacité de maintien des populations dans leur logement pendant plusieurs jours. L’absence d’électricité peut aussi entraîner des conséquences plus sensibles dans certains tissus et typologies d’habitat. Ainsi, les conditions de vie dans les immeubles collectifs hauts (quatre étages et plus), qui composent une très grande part du parc de logements exposés, pourraient s’avérer complexes, en particulier pour certaines catégories de population (personnes âgées, familles avec jeunes enfants…) en l’absence, par exemple, de systèmes d’ascenseur ou d’éclairage fonctionnels dans les parties communes. Les risques qui pèsent sur d’autres réseaux d’importance vitale comme l’alimentation en eau potable, l’assainissement des eaux usées, la distribution du gaz… sont aussi de nature à fortement complexifier la gestion de crise, entraînant des dégradations très importantes des conditions de vie pour les populations concernées. Autant d’éléments qui interrogent sur les capacités à les maintenir durablement dans leur logement.

Selon ces différents critères, les bâtiments résidentiels et les populations exposées peuvent se répartir en trois groupes, chacun pouvant donner lieu à des recommandations spécifiques en matière d’évacuation :

  • Groupe 1 : populations potentiellement soumises à un ordre d’évacuation compte tenu des hauteurs de submersion impactant les bâtiments ou du caractère ne permettant pas d’assurer la sécurité des personnes. Cet ordre d’évacuation a une valeur impérative concernant les immeubles de grande hauteur (IGH), qui font l’objet d’une réglementation spécifique (cf. encadré). Pour les autres bâtiments résidentiels, les autorités ne peuvent émettre qu’une recommandation d’évacuation. Ce principe d'évacuation « obligatoire » doit s’accompagner de diverses mesures : une communication à l’ensemble de la population destinée à l’inciter à partir avec un préavis de 48 heures, pour lui laisser le temps de prendre les dispositions nécessaires ; une évacuation assistée des populations non autonomes avec la mise à disposition de transports en commun, mais aussi de moyens spécialisés pour certaines personnes fragiles.
  • Groupe 2 : populations vivant dans des immeubles impactés par des hauteurs d’eau inférieures à 50 cm et/ou la perte des réseaux électriques et des dysfonctionnements importants des réseaux d’assainissement, l’évacuation sera recommandée.
  • Groupe 3 : populations qui peuvent être maintenues dans leur logement, mais dans des zones de vie dégradées au regard notamment de la perte d’alimentation en eau potable en qualité ou en quantité. Ce maintien sur place d’une partie de la population résidente suppose cependant des moyens pour assurer le ravitaillement et la sécurité des personnes dans un contexte difficile (absence d’eau courante, d’électricité, de chauffage…). Il implique aussi, au vu de ce contexte, l’évacuation des populations les plus fragiles, à l’instar des populations hospitalisées à domicile qui nécessitent un suivi quotidien par le personnel de santé et des équipements de soins électriques.

Populations à évacuer : une prise en charge considérable selon les territoires et les scénarios

L’évacuation massive des populations nécessiterait des moyens considérables pour assurer le déplacement des personnes, leur hébergement provisoire et la sécurisation des biens. Elle constitue l’une des étapes les plus difficiles à maîtriser par les autorités (État, collectivités locales) du point de vue des responsabilités, des moyens à mettre en œuvre, des effectifs à prendre en charge. Les travaux menés dans le cadre d’une étude associant L’Institut Paris Region aux services de l’État (DRIEAT, SGZDS) (cf. encadré) offrent une lecture fine de l’exposition des territoires franciliens, mettant en évidence des effets de seuil importants selon les différents scénarios de crue.

À l’échelle régionale, pour les scénarios de crues fréquentes2 (occurrence décennale à trentennale), les estimations révèlent des volumes de population à évacuer (groupe 1) très faibles, de l’ordre de quelques centaines à quelques milliers d’habitants. Les logements exposés sont essentiellement des maisons individuelles localisées en bordure des cours d’eau, réparties dans les départements de la grande couronne, dans des communes rurales. L’absence d’impact sur les réseaux de fonctionnement urbain, électriques notamment, se traduit également, pour le groupe 2, par des volumes de population très faibles (recommandation d’évacuation).

En impactant des secteurs plus urbains et des zones d’habitat plus diversifiées (habitat individuel mais aussi immeubles collectifs qui deviennent majoritaires…), les estimations de population à évacuer (groupe 1) franchissent un premier seuil à partir d’un scénario de crue d’occurrence cinquantennale (R0.8) légèrement inférieur au niveau de la crue de 1955, avec un peu plus de 100 000 personnes. Les populations concernées restent essentiellement localisées sur les communes des territoires de la grande couronne et des franges de l’agglomération centrale. L’impact des fragilités de réseaux se fait en revanche nettement ressentir avec plus de 550 000 habitants pour le groupe 2.

Dans le scénario suivant (R0.9), légèrement supérieur à la crue de 1924, l’exposition évolue beaucoup plus significativement, avec une multiplication par trois de la population à évacuer (325 000 personnes) et par 1,4 de la population du groupe 2 (800 000 personnes). L’impact est particulièrement significatif dans le cœur d’agglomération où le niveau des protections existantes – les digues et murettes anti-crue le long de la Seine et de la Marne - est largement dépassé.

Les enjeux deviennent extrêmement élevés en cas de crue atteignant le niveau historique de celle de 1910 à Paris (crue d’occurrence centennale). Au-delà de son extension et des hauteurs d’eau de submersion (supérieures à un mètre, voire deux mètres), cet évènement s’était distingué par sa durée : de nombreuses communes et quartiers étaient restés sous les eaux pendant plusieurs semaines, conséquence directe de 10 jours de montée des eaux et 35 jours de lente décrue. Dans ce scénario, ce sont près de 635 000 personnes qui sont recensées pour le groupe 1 et 990 000 supplémentaires qui sont localisées dans des zones d’évacuation recommandée. La vallée de la Seine concentre plus de 77 % des enjeux de population à évacuer (490 000), la vallée de la Marne plus de 21 % (136 000), les vallées de l’Oise et du Loing moins de 2 % (10 000 personnes). Au total, près de 80 communes comptent plus d’un millier de personnes en groupe 1. Dans ce scénario, si les arrondissements du centre de Paris sont encore théoriquement préservés par les protections existantes, les arrondissements périphériques sont plus impactés. Mais l’impact majeur s’exerce dans les communes très densément peuplées en amont dans le Val-de-Marne et en aval dans les Hauts-de-Seine fortement exposés aux zones inondables. Le 15e arrondissement de Paris, Alfortville, Créteil et Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne, Colombes dans les Hauts-de-Seine, Chelles en Seine-et-Marne comptent chacune plus de 20 000 habitants répondant aux critères d’évacuation obligatoire. À l’exception de la commune de Chelles, en Seine-et-Marne, les 15 premières communes impactées en termes de populations s’inscrivent toutes dans le cœur de l’agglomération parisienne. Avec 323 000 habitants, ces 15 premières communes concentrent plus de la moitié de la population totale potentiellement à évacuer (groupe 1) en Île-de-France et près de 30 % (322 000 habitants) de la population en zone d’évacuation recommandée. Ces 645 000 habitants représentent également plus de la moitié de la population totale de ces communes. À l’échelle locale, la vulnérabilité de certaines municipalités est particulièrement critique. Alfortville, dont le territoire est en quasi-totalité exposé au risque d’inondation de la Seine et de la Marne, Villeneuve-la-Garenne, où plusieurs quartiers peuvent se retrouver isolés par la montée des eaux ou encore L’Île-Saint-Denis comptent plus de 95 % de leur population en situation théorique d’évacuation obligatoire ou recommandée.

Pour le scénario maximal étudié, supérieur de 15 % au débit de la crue de 1910 et qui voit une part importante du système de protection des digues et murettes parisiennes également submergé, la situation est encore aggravée avec 387 000 personnes supplémentaires dans le groupe 1 pour atteindre 1 022 000 habitants et 1 233 000 pour le groupe 2 (+243 000), avec d'importantes augmentations des enjeux humains à Paris et dans les Hauts-de-Seine.

Au-delà des chiffres de populations résidentes potentiellement impactées, d’autres enjeux plus particuliers, relatifs aux populations non autonomes pour des raisons de mobilité physique (personnes âgées et/ou handicapées vivant à domicile), aux personnes fragiles ou dépendantes médicalement d’installations électriques (aides à la respiration, dialyse...) sont aussi à considérer. Les populations les plus fragilisées socialement et économiquement peuvent également nécessiter des mesures d’accompagnement spécifiques. L’intervention des secours, le déplacement des personnes et le retour à la normale peuvent en effet être compliqués par des barrières culturelles ou linguistiques.

Selon ces différents critères, les bâtiments résidentiels et les populations exposése peuvent se répartir en trois groupes, chacun pouvant donner lieu à des recommandations spécifiques en matière d’évacuation :

  • Groupe 1 : populations potentiellement soumises à un ordre d’évacuation compte tenu des hauteurs de submersion impactant les bâtiments ou du caractère ne permettant pas d’assurer la sécurité des personnes. Cet ordre d’évacuation a une valeur impérative concernant les immeubles de grande hauteur (IGH), qui font l’objet d’une réglementation spécifique (cf. encadré). Pour les autres bâtiments résidentiels, les autorités ne peuvent émettre qu’une recommandation d’évacuation. Ce principe d'évacuation « obligatoire » doit s’accompagner de diverses mesures : une communication à l’ensemble de la population destinée à l’inciter à partir avec un préavis de 48 heures, pour lui laisser le temps de prendre les dispositions nécessaires ; une évacuation assistée des populations non autonomes avec la mise à disposition de transports en commun, mais aussi de moyens spécialisés pour certaines personnes fragiles.
  • Groupe 2 : populations vivant dans des immeubles impactés par des hauteurs d’eau inférieures à 50 cm et/ou la perte des réseaux électriques et des dysfonctionnements importants des réseaux d’assainissement, l’évacuation sera recommandée.
  • Groupe 3 : populations qui peuvent être maintenues dans leur logement, mais dans des zones de vie dégradées au regard notamment de la perte d’alimentation en eau potable en qualité ou en quantité. Ce maintien sur place d’une partie de la population résidente suppose cependant des moyens pour assurer le ravitaillement et la sécurité des personnes dans un contexte difficile (absence d’eau courante, d’électricité, de chauffage…). Il implique aussi, au vu de ce contexte, l’évacuation des populations les plus fragiles, à l’instar des populations hospitalisées à domicile qui nécessitent un suivi quotidien par le personnel de santé et des équipements de soins électriques.

Immeubles de grande hauteur (IGH)
Les immeubles de grande hauteur (IGH) dépassant 50 mètres disposent de prescriptions spécifiques dans le domaine de la prévention et de la lutte contre l'incendie. Si les installations techniques ne sont pas en état de fonctionnement (du fait d’une crue et/ou de coupures électriques), la sécurité des personnes n'est plus assurée et leur évacuation devient nécessaire. En termes de gestion de crise, l’enjeu est ainsi différent selon qu’il s’agisse d’un immeuble d’habitation (nécessité d’hébergement provisoire) ou d’un immeuble d’activité (bureaux – absence de salariés sur leur lieu de travail).
Un peu plus de 330 immeubles de grande hauteur sont recensés en Île-de-France se répartissant entre 118 immeubles d’habitat (35 %) accueillant au total près de 25 000 logements, 18 (5 %) à destination hôtelière, 170 (51 %) à destination de bureaux et 29 (9 %) à d’autres usages (santé, enseignement, archives, tours de contrôle, monuments…). Ces IGH sont essentiellement (97 %) localisés à Paris et dans les départements de la petite couronne où trois pôles concentrent près de la moitié de ces implantations : Beaugrenelle (Paris 15e - immeubles d’habitat et de bureaux), quartier d’affaires de La Défense (92 - bureaux), Italie-Tolbiac (Paris 13e – habitat).
Sur les quelque 130 immeubles potentiellement exposés aux zones inondables et/ou de fragilités électriques dans le scénario maximal (R1.15), 33 immeubles d’habitation (environ 7 500 logements) et une dizaine d’hôtels sont recensés sur une quinzaine de communes. Les populations résidentes de ces immeubles d’habitat ne représentent, avec environ 12 750 d’habitants, que moins de 1,4 % de la population totale du groupe 1 d’évacuation. L’impact est plus sensible dans le 15e arrondissement ; avec une quinzaine d’immeubles (3 500 logements cumulés), les tours du front de Seine du quartier Beaugrenelle concentrent près de 4 770 habitants (11 %) des populations recensées en groupe 1.

Populations à évacuer : une prise en charge considérable selon les territoires et les scénarios

L’évacuation massive des populations nécessiterait des moyens considérables pour assurer le déplacement des personnes, leur hébergement provisoire et la sécurisation des biens. Elle constitue l’une des étapes les plus difficiles à maîtriser par les autorités (État, collectivités locales) du point de vue des responsabilités, des moyens à mettre en œuvre, des effectifs à prendre en charge. Les travaux menés dans le cadre d’une étude associant L’Institut Paris Region aux services de l’État (DRIEAT, SGZDS) (cf. encadré) offrent une lecture fine de l’exposition des territoires franciliens, mettant en évidence des effets de seuil importants selon les différents scénarios de crue.

À l’échelle régionale, pour les scénarios de crue fréquente (occurrence décennale à trentennale), les estimations révèlent des volumes de population à évacuer (groupe 1) très faibles, de l’ordre de quelques centaines à quelques milliers d’habitants. Les logements exposés sont essentiellement des maisons individuelles localisées en bordure des cours d’eau, réparties dans les départements de la grande couronne, dans des communes rurales. L’absence d’impact sur les réseaux de fonctionnement urbain, électriques notamment, se traduit également, pour le groupe 2, par des volumes de population très faibles (recommandation d’évacuation).

En impactant des secteurs plus urbains et des zones d’habitat plus diversifiées : habitat individuel, mais aussi immeubles collectifs qui deviennent majoritaires… les estimations de population à évacuer (groupe 1) franchissent un premier seuil à partir d’un scénario de crue d’occurrence cinquantennale (R0.8) légèrement inférieur au niveau de la crue de 1955, avec un peu plus de 100 000 personnes. Les populations concernées restent essentiellement localisées sur les communes des territoires de la grande couronne et des franges de l’agglomération centrale. L’impact des fragilités de réseaux se fait en revanche nettement ressentir avec plus de 550 000 habitants pour le groupe 2.

Dans le scénario suivant (R0.9), légèrement supérieur à la crue de 1924, l’exposition évolue beaucoup plus significativement, avec une multiplication par trois de la population à évacuer (325 000 personnes) et par 1,4 de la population du groupe 2 (800 000 personnes). L’impact est particulièrement significatif dans le cœur d’agglomération où le niveau des protections existantes – les digues et murettes anti-crue le long de la Seine et de la Marne - est largement dépassé.

Aspects méthodologiques
L’estimation des populations à évacuer en Île-de-France face aux risques d’inondation par débordement est le résultat d’un travail partenarial associant L’Institut Paris Region, le Service gestion des risques (SGR) de la DRIEAT et le bureau planification du SGZDS.
Cette estimation s’appuie sur la doctrine de la préfecture de police et les critères conduisant à l’évacuation obligatoire ou recommandée compte tenu de conditions de vie trop dégradées et des risques pesant sur les populations résidentes, notamment en termes de santé publique. Une troisième zone correspond au maintien des populations en zone de vie dégradée.
Ces travaux ont mobilisé : ❶ Les scénarios de crue des zones inondations potentielles sur les principaux cours d’eau franciliens (Seine, Marne, Oise, Loing) qui concentrent 95 % des enjeux humains potentiellement exposés en Île-de-France (ZIP/ZICH+, DRIEAT, 2022). ❷ Les données de répartition de population à la parcelle (Fichiers Fonciers 2023, DGFiP). ❸ La consolidation de la base de données des immeubles de grande hauteur (IGH) en Île-de-France. ❹ Et les cartographies des fragilités de réseaux construites par les grands opérateurs (Enedis, Siapp, producteurs d’eau potable…) dans le cadre de la Stratégie locale de gestion du risque d’inondation (SLGRI) de la métropole francilienne.
Les données de population, répondant aux différents critères, sont restituées pour les 10 scénarios ZIP/ZICH+, à l’échelle communale, permettant d’évaluer les réponses nécessaires (moyens de secours et d’évacuation, hébergement provisoire), notamment pour la préparation des plans communaux de sauvegarde.
Pour chaque scénario, les estimations présentent une situation globale à l’échelle régionale. En situation de crise, l’approche plus opérationnelle doit tenir compte des bassins effectivement impactés et des temps de propagation de la crue qui prennent plusieurs jours entre l’amont et l’aval de la région. La restitution à une échelle plus fine (maille de 250 x 250 m) peut permettre une lecture plus précise des priorités en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain et des prévisions aux stations de référence du système de surveillance Vigicrues.

Les enjeux deviennent extrêmement élevés pour une crue de référence du niveau de la crue historique de 1910 à Paris (crue d’occurrence centennale). Au-delà de son extension et des hauteurs d’eau de submersion (supérieures à un mètre, voire deux mètres), cet évènement s’était distingué par sa durée : de nombreuses communes et quartiers étaient restés sous les eaux pendant plusieurs semaines, conséquence directe de 10 jours de montée des eaux et 35 jours de lente décrue. Dans ce scénario, ce sont près de 635 000 personnes qui sont recensées pour le groupe 1 et 990 000 supplémentaires qui sont localisées dans des zones d’évacuation recommandée. La vallée de la Seine concentre plus de 77 % des enjeux de population à évacuer (490 000), la vallée de la Marne plus de 21 % (136 000), les vallées de l’Oise et du Loing moins de 2 % (10 000 personnes). Au total, près de 80 communes comptent plus d’un millier de personnes en groupe 1. Dans ce scénario, si les arrondissements du centre de Paris sont encore théoriquement préservés par les protections existantes, les arrondissements périphériques sont plus impactés. Mais l’impact majeur s’exerce dans les communes très densément peuplées en amont dans le Val-de-Marne et en aval dans les Hauts-de-Seine fortement exposés aux zones inondables. Le 15e arrondissement de Paris, Alfortville, Créteil et Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne, Colombes dans les Hauts-de-Seine, Chelles en Seine-et-Marne comptent chacune plus de 20 000 habitants répondant aux critères d’évacuation obligatoire. À l’exception de la commune de Chelles, en Seine-et-Marne, les 15 premières communes impactées en termes de populations s’inscrivent toutes dans le cœur de l’agglomération parisienne. Avec 323 000 habitants, ces 15 premières communes concentrent plus de la moitié de la population totale potentiellement à évacuer (groupe 1) en Île-de-France et près de 30 % (322 000 habitants) de la population en zone d’évacuation recommandée. Ces 645 000 habitants représentent également plus de la moitié de la population totale de ces communes. À l’échelle locale, la vulnérabilité de certaines municipalités est particulièrement critique. Alfortville, dont le territoire est en quasi-totalité exposé au risque d’inondation de la Seine et de la Marne, Villeneuve-la-Garenne, où plusieurs quartiers peuvent se retrouver isolés par la montée des eaux ou encore L’Île-Saint-Denis comptent plus de 95 % de leur population en situation théorique d’évacuation obligatoire ou recommandée.

Pour le scénario maximal étudié, supérieur de 15 % au débit de la crue de 1910 et qui voit une part importante du système de protection des digues et murettes parisiennes également submergé, la situation est encore aggravée avec 387 000 personnes supplémentaires dans le groupe 1 pour atteindre 1 022 000 habitants et 1 233 000 pour le groupe 2 (+243 000), avec d'importantes augmentations des enjeux humains à Paris et dans les Hauts-de-Seine.

Au-delà des chiffres de populations résidentes potentiellement impactées, d’autres enjeux plus particuliers, relatifs aux populations non autonomes pour des raisons de mobilité physique (personnes âgées et/ou handicapées vivant à domicile), aux personnes fragiles ou dépendantes médicalement d’installations électriques (aides à la respiration, dialyse...) sont aussi à considérer. Les populations les plus fragilisées socialement et économiquement peuvent également nécessiter des mesures d’accompagnement spécifiques. L’intervention des secours, le déplacement des personnes et le retour à la normale peuvent en effet être compliqués par des barrières culturelles ou linguistiques.

Une stratégie d’auto-évacuation à définir

Ces estimations de populations constituent une base de travail pour évaluer les moyens à déployer au niveau local comme au niveau régional pour répondre à la situation de crise. Elles doivent être confrontées à la stratégie d’évacuation en cas de crue majeure, cadrée par le dispositif Orsec zonal et ses dispositions spécifiques inondation. Cette stratégie consiste à encourager les populations situées en zones susceptibles d’être impactées à s’auto-évacuer (par leurs propres moyens, sans soutien des services de l’État) et à s’auto-héberger (chez des proches), et ce, dans un contexte certainement plus complexe que sur d’autres territoires en France. Elle doit en effet, tenir compte du faible taux de motorisation des ménages, qui caractérise la population francilienne, et notamment celle de l’agglomération centrale : plus d’un ménage sur deux à Paris et un sur trois dans la métropole du Grand Paris ne disposent pas de véhicule particulier. Ce point constitue une contrainte supplémentaire à laquelle viennent s’ajouter toutes les difficultés de déplacement liées aux coupures des axes routiers inondés et à la fermeture de très nombreux franchissements.

La capacité de réponse des autorités dépend des taux d'évacuation, à la fois pour dimensionner les besoins logistiques dédiés à l’évacuation et pour estimer le nombre de personnes à gérer. Or, une part non négligeable de la population choisit généralement de rester dans leur logement, comme l’ont montré les rares retours d’expérience (inondation de la Somme en 2001, inondation de la vallée du Loing en 2016). L’estimation prédictive des taux d’évacuation reste cependant difficile, tant les paramètres influant sur le comportement des populations sont nombreux. La décision d'évacuer est conditionnée par la perception du risque par les ménages : les autorités présupposent souvent que les ménages agissent de façon rationnelle en cas d'évacuation, qu'ils vont entendre l'alerte, réaliser l'imminence de la catastrophe, et évacuer dès qu'une consigne est donnée en ce sens. La réalité est de fait beaucoup plus complexe. Nombre de personnes choisissent de ne pas prendre de mesures préventives ou protectives en cas d'imminence d'une catastrophe, pour de multiples raisons : sécurité de leurs biens, peur des pillages, garde d’animaux de compagnie, critères socio-économiques favorisant ou non la mobilité (moyen de transport, point de chute, ressources financières…). La décision d’évacuer est donc étroitement liée à la perception du risque, elle-même façonnée par le contexte culturel, social et économique dans lequel les personnes concernées évoluent, mais aussi au regard des comportements collectifs3.

Le fait que quelques centaines de milliers de Parisiens et de Franciliens aient quitté leurs logements pendant plusieurs semaines à l’occasion des premiers et seconds confinements lors de la crise sanitaire du Covid-19 en 2020 est ainsi apparu comme une « bonne nouvelle » pour les autorités en charge de la gestion de crise, faisant espérer que la réponse pourrait être similaire en cas de crue majeure. Mais il est également à craindre que les inégalités (sociales et territoriales) observées durant la crise du coronavirus ne se répètent, notamment entre ceux qui ont la capacité de quitter leur logement et/ou la région parisienne et ceux qui n’ont d’autre choix que d’y rester… peut-être dans des conditions plus complexes encore que celles de la crise Covid. Une inondation majeure pourrait d’ailleurs porter d’autres enjeux similaires à cette crise : la prise de décision (du confinement ou de l’évacuation massive et ses conséquences sur la population), la communication en temps de crise (information, désinformation), la question de l’incertitude (du temps, de l’intensité, des effets indirects…) et de son acceptation politique, médiatique et sociale..., de la gouvernance.

Enfin, les questions liées à l’hébergement provisoire ne se limitent pas à la seule durée de l’inondation. La phase post-crise, après le retrait des eaux, soulève des problématiques très spécifiques liées en particulier à l’endommagement ou la destruction des biens. La capacité de retour dans leurs logements des populations directement impactées par la montée des eaux au regard des temps de séchage, des délais de rénovation, de réhabilitation… se compte en semaines ou en mois. Plusieurs dizaines de milliers de logements sont directement concernés en cas de crue majeure en Île-de-France, avec potentiellement des impacts sanitaires d’ordre post-traumatique (angoisse, dépression, stress, troubles du sommeil…) pour la population, mais aussi des conséquences très lourdes pour le système assurantiel, qui devra prendre en charge les coûts d’hébergement provisoire en plus de celui des dommages4.

Mieux intégrer la gestion de crise dans la gestion des risques d’inondation

La première Stratégie locale de gestion du risque d’inondation (SLGRI, 2016-2022) de la métropole francilienne a fortement contribué à une meilleure connaissance de l’exposition des enjeux humains et économiques, des fragilités des réseaux et de leurs interdépendances complexes, permettant ainsi de mieux appréhender la vulnérabilité du territoire francilien. Nul doute que le second cycle de cette stratégie locale (2023-2029) verra progresser les questions fortement liées à la gestion de crise et à son anticipation en engageant, par exemple, une meilleure couverture du territoire par des plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde (PCS, PiCS). Dans cette perspective, la capacité à diffuser des données et des informations comme celles relatives aux estimations de populations à évacuer auprès des acteurs territoriaux constitue un enjeu majeur.

Cette dimension de la gestion de crise doit être également s’inscrire dans un cadre plus large et transversal, celui des démarches de prévention et de culture du risque vis-à-vis de la population afin de réduire sa vulnérabilité en anticipant la situation de crise (protection, évacuation provisoire, conditions de vie en mode dégradé…) et de prévenir des comportements inappropriés (refus d’évacuation, conduites à risques…). Le renforcement du lien gestion de crise / aménagement du territoire / aménagement urbain constitue un autre axe de travail, alors que le nombre de personnes vivant en zones inondables ne cesse d’augmenter depuis une vingtaine d’années en Île-de-France, conséquence en particulier des processus de renouvellement urbain.■

Ludovic FAYTRE, géographe-urbaniste, référent études risques majeurs-aménagement, L’Institut Paris Region

1. Des critères particuliers peuvent également concerner les zones protégées par des systèmes d’endiguement (digues et murettes) susceptibles d’être inondées rapidement en cas de rupture d’ouvrage.
2. Par simplification, les scénarios de crue font référence aux niveaux d’eau et d’occurrence associés à la station de surveillance de Paris-Austerlitz.
3. Voir Chronique n°2 
4. Afin de mieux protéger les sinistrés affectés par ces évènements climatiques intenses, la loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles et le décret n° 2022-1737 du 30 décembre 2022 renforcent le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Pour les sinistrés assurés dont la résidence principale serait rendue inhabitable à la suite d’une catastrophe naturelle, la prise en charge des frais de relogement d’urgence par la garantie couverte par le régime CatNat est généralisée à compter du 1er janvier 2024. Le décret prévoit une prise en charge de ces frais par le régime CatNat jusqu’à six mois.

Ludovic Faytre

De formation universitaire (DESS aménagement, environnement), Ludovic Faytre a intégré L’Institut Paris Region en 1993 et possède trente années d’expérience professionnelle dans le domaine de l’aménagement du territoire et de l’intégration des enjeux environnementaux dans les documents d’orientation et projets d’aménagement. Ludovic intervient sur des travaux menés aux différentes échelles de l’aménagement (planification régionale, projets locaux…), en Île-de-France et à l’international (Maroc, Liban). Il a également participé au sein de l’équipe projet à l’élaboration du Schéma directeur de la région Île-de-France 2030. Il développe depuis une vingtaine d’années une expertise dans la thématique des risques naturels et technologiques majeurs et de leur prise en compte dans les réflexions d’aménagement du territoire autour de travaux sur la qualification des enjeux humains et économiques, les approches multirisques, la vulnérabilité systémique et la résilience des territoires, la culture du risque, le lien aménagement/gestion de crise… Il est également intervenu en tant qu’expert auprès de l’OCDE (Formation nationale sur la gestion des risques au Maroc). Ludovic est par ailleurs membre depuis 2020 du Conseil d’orientation de la prévention des risques naturels (COPRNM) et de la Commission mixte inondation (CMI). Il participe également aux travaux de l’Observatoire national des risques naturels.

Carte interactive

Cette page est reliée aux catégories suivantes :
Environnement urbain et rural | Risques naturels et technologiques | Chronique & dossier