Dessine-moi ta métropole, je te dirai quel métropolitain tu es !
Chronique du Grand Paris n° 6
Parmi les questions ouvertes par le président de la République, dans son souhait de réinterroger l’organisation institutionnelle de l’Île-de-France, revient avec insistance celle du bon périmètre pour la Métropole du Grand Paris. Les travaux de L'Institut Paris Region sur les bassins de vie, les effets-frontières et les coopérations de projets relativisent l’intérêt de cette recherche de périmètres administratifs pertinents. Qui plus est dans une réalité métropolitaine où les approches spatiales classiques sont supplantées par la prise en compte de dynamiques de flux qui relient l’espace métropolitain à l’économie globalisée et l’irriguent selon la forme du rhizome (Atelier Portzamparc, 2009).
Pour autant, cela ne signifie pas que le périmètre retenu ne dit rien de la conception que l’on se fait de la métropole, des enjeux que son existence place au centre de l’agenda politique, des questions auxquelles on souhaite apporter « mise à l’échelle » et cohérence de la décision publique.
Une métropole concentrée sur le cœur économique ?
Les dispositifs statistiques portent en eux leurs propres limites. Néanmoins, les découpages territoriaux effectués par l’Insee, permettent d’approcher les différentes réalités spatiales à prendre en compte dans la controverse métropolitaine grand-parisienne.
Ainsi, le « cœur d’agglomération » décrit un espace caractérisé par sa forte densité (humaine et bâtie) et donc, sûrement, par des problématiques communes en termes de réponse aux besoins de production de logements, d’amélioration de la desserte en transports collectifs, de partage de l’espace public ou encore d’irrigation du territoire par les espaces ouverts.
Surtout, cette « zone dense », sur laquelle est positionnée la MGP, donne à voir la très forte polarisation de l’emploi dans l’ensemble francilien. On a ici le cœur économique historique qui attire les 2/3 des investissements directs internationaux, où près du quart des emplois est occupé par des « cadres des fonctions métropolitaines » (contre 13 % dans le reste de la région) et qui a accueilli 91 % des gains d’emplois régionaux entre 2007 et 2012. Même si le débat sur les fonctions économiques qui font « l’avantage métropolitain » (Ludovic Halbert, 2010) et sur la réalité des externalités positives de la concentration (Denis Carré, 2015) n’est pas tranché, cette échelle est bien celle de la priorité à la maximisation économique des effets d’agglomération.
À cet égard, une approche de l’évolution du périmètre de la MGP qui lui annexerait les territoires accueillant les portes d’entrée internationales (Roissy) et les pôles d’innovation (Saclay) serait révélatrice d’une conception métropolitaine centrée sur cette dimension d’attractivité économique et de connectivité à grande portée. Mais où arrêter la définition de ces territoires véritablement d’intérêt métropolitain ? Et quels effets pour ceux privés de ce « label » et tenus à distance des locomotives économiques ?
Une métropole à l’échelle du développement urbain de l’agglomération de Paris ?
Le cœur d’agglomération représente la partie centrale d’un ensemble appelé « unité urbaine » par l’Insee, défini selon un critère de continuité du bâti et qui dessine l’agglomération parisienne, réalité urbaine mouvante car toujours en cours d’expansion. Dans ce continuum, et malgré l’importance du cœur, le poids des territoires périphériques de l’agglomération (notamment les anciennes villes nouvelles) est significatif : ils accueillent 1/3 de la population de l’unité urbaine de Paris et 1/4 de ses emplois.
Surtout les dynamiques de croissance démographique se jouent bien à cette échelle : sur la décennie passée, malgré un renouveau remarqué dans le cœur d’agglomération, les niveaux de croissance de la population sont tout à fait coordonnés entre petite couronne et reste de l’unité urbaine et les mouvements d'entreprise se font plutôt au bénéfice de la grande couronne. Les études prospectives font croire à une poursuite de ces tendances.
Une métropole à la mesure du bassin d’emploi francilien ?
Mais, dans la perspective métropolitaine, ce découpage « morphologique » doit être complété par une approche fonctionnelle. Celle de « l’aire urbaine » cherche à approcher le « bassin d’emploi » parisien, c’est-à-dire l’ensemble des communes dont une majorité de la population active se dirige chaque jour vers Paris pour exercer son activité professionnelle. La correspondance entre l’aire urbaine de Paris et le périmètre de la région Île-de-France est frappante : 97 % de la population de l’aire urbaine est située dans les limites de la région et 98 % des communes franciliennes appartiennent à cette aire urbaine. Cette perception d’un bassin d’emploi unique à l’échelle de l’Île-de-France est confirmée par la prise en compte du détail des flux quotidiens domicile-travail entre la grande et la petite couronne. Ces interdépendances résultent notamment d’un réseau de transports urbains organisé à l’échelle régionale et dont la structuration est amenée à être renforcée par la mise en service du Grand Paris Express.
Cependant, ces déplacements ne révèlent pas simplement la dépendance des territoires de grande couronne à l’égard des emplois situés dans le cœur d’agglomération. La localisation des établissements et leur mobilité dessinent un système économique structuré à l’échelle régionale, notamment selon une logique de spécialisation fonctionnelle : s'il existe une surreprésentation de certaines fonctions métropolitaines dans le cœur d'agglomération, d'autres sont localisées dans les pôles « périphériques » ; surtout, elles sont toutes directement reliées à d’autres fonctions (transversales, productives, présentielles) dont la localisation est plus étendue et diversifiée (Les trajectoires de l’économie francilienne, IAU, 2016).
Une métropole contre les inégalités ?
On l’a dit, les tentatives de définition du phénomène de métropolisation et de compréhension de la singularité de ses effets spatiaux se focalisent sur les dynamiques de polarisation de certaines fonctions économiques et d’insertion dans les flux globaux. Pour autant, depuis l’origine, cette conscience d’une traduction urbaine de la mondialisation (François Ascher, 1995) s’est accompagnée d’une attention aux enjeux parallèles d’exacerbation des inégalités socio-spatiales (Claude Lacour et Sylvette Puissant, 2000). Il est ainsi utile de voir à quelle échelle aborder cette problématique dans le cas grand-parisien.
Du point de vue des inégalités de revenus, les choses sont claires : l’hétérogénéité des situations sociales traverse tous les territoires, même si les contrastes sociaux sont plus marqués au cœur de l’agglomération (<link nos-travaux publications metropolisation-et-specialisation-sociale-du-territoire-francilien.html>Métropolisation et spécialisation sociale du territoire francilien, Mariette Sagot, 2015). Cela signifie, à la fois, qu’il n’est pas possible de caractériser une dichotomie entre un centre qui concentrerait la richesse et une périphérie qui serait le siège des difficultés sociales, mais également que les inégalités à prendre en compte ne se situent pas exclusivement à l’intérieur de l'actuelle MGP. Il apparaît que les échelles à considérer sont multiples : au cœur, la plaine de France, au niveau de l’agglomération, la vallée de la Seine, à l’échelle de l’aire urbaine, la grande périphérie périurbaine et rurale seine-et-marnaise.
Que serait une métropole du XXIe siècle ?
En fin de compte, dans le débat sur les enjeux et échelles de la métropole grand-parisienne, la théorie de Pierre Veltz (1996) sur la plus-value « assurantielle » des espaces en métropolisation semble féconde pour tenter de croiser les approches. La polarisation des activités économiques s'expliquerait avant tout par la recherche de « garantie face à l'imprévu et à l'imprévisible ». Mais ces risques et chocs exogènes sont-ils uniquement de nature économique ? Les espaces métropolitains ne doivent-ils pas désormais chercher à « s’assurer » de manière plus globale ? Une métropole du XXIe siècle ne doit-elle pas également développer ses capacités de résilience à l’égard des problématiques fortes du réchauffement climatique, de la vulnérabilité énergétique, de la dépendance alimentaire, etc. ?
Sur ces points, comme dans le champ économique, les échelles d’organisation sont également plurielles. Néanmoins, il est sûr que l’espace de la grande couronne francilienne apporte ici les actifs qui constitueront l’avantage comparatif de la métropole grand-parisienne : elle concentre 68 % des surfaces logistiques de la région et réceptionne 62 % des flux routiers de marchandises venant de l’extérieur, elle fournit 40 % des granulats nécessaires à l’aménagement métropolitain, elle occupe une place déterminante dans la structuration des équipements et réseaux liés aux ressources (eau, énergie, déchets), elle accueille 98 % des exploitations agricoles franciliennes, enfin, les fonctions environnementales de ses espaces ouverts – support de biodiversité, prévention des risques naturels, rafraîchissement – sont stratégiques.
Léo Fauconnet
Chef de la mission Gouvernance de L'Institut Paris Region, diplômé de Sciences Po, il a participé, au sein des services de la Région Île-de-France, à l'élaboration du Sdrif 2030 et a dirigé le service en charge des questions métropolitaines. Son expertise couvre le champ des mutations institutionnelles et de la gouvernance territoriale.
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