Le défi de la neutralité carbone pour l'Île-de-France
Cette publication capitalise un ensemble de travaux et réflexions portés par L’Institut Paris Region sur une trajectoire ZEN (zéro émissions nettes) pour l’Île-de-France, y compris les enseignements issus du cycle de rencontres ZEN organisé en 2021 en partenariat avec la Région Île-de-France. Sa lecture permet d’appréhender le concept de neutralité carbone, de mieux comprendre les enjeux sectoriels pour l’Île-de-France et propose des recommandations pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies d’atténuation aux différentes échelles territoriales mobilisant initiatives publiques et privées.
L’Accord de Paris, adopté lors de la COP21 en décembre 2015, a introduit l’objectif « zéro émissions nettes », indispensable pour limiter le réchauffement planétaire en dessous de +2 °C d’ici 2100.
Viser un réchauffement limité à +1,5 °C à la fin du 21e siècle nécessite de réduire d’environ 45 % les émissions mondiales de CO2 en 2030 par rapport à 2010 et de parvenir à la neutralité carbone autour de 2050, c’est-à-dire à un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par l'activité humaine et l'absorption de ces mêmes gaz par des réservoirs naturels ou artificiels, appelés puits anthropiques.
LES ENJEUX DE LA NEUTRALITÉ CARBONE POUR LE TERRITOIRE FRANCILIEN
En Île-de-France, la stratégie régionale énergie-climat votée en 2018 a inscrit la volonté de tendre en 2050 vers une région 100% EnR et bas carbone. Pour y parvenir, de profondes transformations sont nécessaires, à toutes les échelles et concernent tous les acteurs.
Les secteurs à enjeux pour l’Île-de-France sont le bâti (46 % des émissions de GES) et le transport routier (29 %). L’industrie et surtout l’agriculture (du fait notamment de la prédominance des grandes cultures et du peu d’élevage) sont moins émettrices que dans les autres régions. Les émissions de GES en Île-de-France restent essentiellement liées à la consommation d’énergie encore très largement basée sur les énergies fossiles (62 % des consommations énergétiques finales de la région sont issues des énergies fossiles). La part énergétique représente 92 % des émissions de GES (scope 1+2), soit 37,9 MtCO2e ; la part non énergétique représente 8 %, soit 3,2 MtCO2e.
Cette analyse doit être élargie étant donné l’impact majeur des émissions liées aux importations. En s’appuyant sur la méthodologie du bilan carbone® de l’ADEME, l’exercice réalisé dès 2005 pour l’Île-de-France montrait que les émissions indirectes (du scope 3) représentaient le double des émissions scopes 1 et 2, mettant en relief les modes de consommation et de production importée très émissifs.
QUE FAIRE EN ÎLE-DE-FRANCE POUR ATTEINDRE LA NEUTRALITÉ CARBONE ?
S’inscrire sur le chemin de la neutralité carbone signifie mettre en œuvre une stratégie d’atténuation s’appuyant sur deux piliers : la réduction drastique des émissions de GES et la préservation et le renforcement des puits de carbone. La réduction des émissions doit s’opérer dans tous les domaines et prioritairement dans les secteurs du bâti et des transports. Au regard de la part prédominante en Île-de-France des émissions de GES liées à l’énergie, trois leviers sont à activer plus particulièrement : la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables et de récupération.
Concilier un aménagement ZEN et ZAN
Il existe des synergies indéniables entre le ZAN (zéro artificialisation nette) et le ZEN. D’une part, la préservation des espaces non artificialisés permet la séquestration du carbone dans les sols naturels et dans la végétation, particulièrement dans les forêts. Ces puits de carbone représentent un volet incontournable du ZEN. D’autre part, l’artificialisation des terres représente une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre, engendrant du déstockage de carbone des sols, une empreinte carbone des nouveaux objets construits et des émissions de GES associées aux nouvelles consommations d’énergies fossiles. Les choix d’aménagement, de gestion et d’équipements constituent un domaine essentiel pour maîtriser et baisser efficacement les émissions de GES au regard des orientations données au cadre bâti, à l’organisation des mobilités, à la protection des espaces naturels, aux incitations, voire prescriptions en matière de consommations énergétiques.
Massifier la rénovation des bâtiments franciliens
La massification et l’accélération de la rénovation des bâtiments s’imposent au regard de l’objectif de rénovation de l’ensemble du parc existant d’ici 2050 au niveau de performance BBC (bâtiment basse consommation) ou label équivalent. Des leviers d’actions d’ordre technique sont identifiés liés à la rénovation globale du bâti, à la qualité des matériaux utilisés pour minimiser le coût carbone de l’énergie grise, à l’évolution des solutions de chauffage et de rafraîchissement. Ils concernent également l’intensité des usages et la recherche de mutualisation du bâti.
L’accompagnement des propriétaires de logements vers des rénovations plus performantes et globales constitue un défi prioritaire qui nécessite de réinterroger les modes actuels d’intervention des acteurs publics. En parallèle, la rénovation du tertiaire constitue également un enjeu majeur puisque ce secteur représente environ 40 % des surfaces à rénover et des gains énergétiques à atteindre.
Combiner technologies et sobriété pour une mobilité bas carbone
En plus des effets positifs attendus de la technologie (efficacité énergétique des véhicules et décarbonation de l’énergie), les mesures en faveur de la sobriété peuvent également jouer un rôle important en Île-de-France. Il ne s’agit pas d’interdire les déplacements mais d’agir sur les comportements pour limiter ou réduire la distance moyenne parcourue ainsi que pour favoriser l’usage des transports en commun. Le report modal peut jouer un rôle clé du fait de la mise en place progressive du Grand Paris Express qui facilitera les liaisons banlieue-banlieue. La politique d’aménagement du territoire du prochain schéma directeur peut aussi contribuer à réduire les déplacements par un meilleur équilibre entre les pôles d’habitat et d’emplois, une amélioration des implantations logistiques (de la logistique de proximité aux entrepôts XXL), etc.
Adapter le système productif aux enjeux d’une économie bas carbone
Globalement les entreprises franciliennes sont sensibilisées à la nécessité de s’engager dans une économie plus résiliente et bas carbone. Certaines sont également conscientes de la nécessité d’aller dans cette direction. Mais les engagements concrets apparaissent encore faibles car nombre de dirigeants se sentent perdus sur le « comment faire ? » Il faut dire que pour parvenir à s’adapter aux nouveaux enjeux de l’économie bas carbone, les entreprises vont devoir revoir fortement leurs modèles d’affaires dans leurs lieux d’activités, mais aussi et surtout en amont et en aval comme le précise le graphique ci-dessous.
Plusieurs secteurs d’activité sont particulièrement concernés par l’enjeu de décarbonation : le bâtiment et les travaux publics, le tourisme, le fret et la logistique, l’énergie, le système alimentaire, l’aéronautique, l’automobile, les éco-industries, les technologies de l’information et les réseaux d’infrastructure numérique dont les data centers, et la culture. Comme lors de l’arrivée de l’informatique dans les entreprises, des plans massifs d’aide à la décarbonation des processus productifs des entreprises s’avèrent nécessaires.
Préserver et renforcer les puits de carbone franciliens
En l’état actuel, les puits de carbone franciliens sont très loin de couvrir le volume d’émissions territoriales de GES annuel, et encore moins l’empreinte carbone. En effet, les puits de carbone franciliens absorbent environ 4 % des émissions régionales annuelles (essentiellement par les bois et les forêts). Leur développement est contraint par certaines limites au regard de l’existant et des capacités physiques du territoire francilien. L’enjeu de la conservation du stock est donc essentiel : la masse de carbone est considérable, évaluée grossièrement à 400 MtCO2e produit bois compris, c’est-à-dire le stock de carbone dans les matériaux bois pour la construction.
LES LEVIERS POUR RÉUSSIR
Il n’y a pas de solution unique mais une pluralité de solutions à combiner. Le déploiement d’innovations techniques, du low-tech au high tech, est nécessaire mais ne suffit pas à la réussite d’une stratégie de neutralité carbone. Il doit s’accompagner de changements d’usages et de pratiques au sein des différentes sphères décisionnelles (collectivités, entreprises, organisations collectives du type assemblées générales des copropriétés) mais aussi à l’échelle des individus. Cela signifie renforcer la sensibilisation, la formation, l’accès aux données, à de la méthodologie et à de l’ingénierie. La mobilisation de moyens financiers massifs reste déterminante pour accompagner la mise en place de solutions et parvenir ainsi à faire pivoter le modèle de développement francilien.
Pour réussir, il est enfin nécessaire d’articuler une stratégie d’atténuation avec une stratégie d’adaptation au changement climatique visant à modérer les impacts climatiques déjà à l’œuvre et à venir sur les territoires. L’identification d’investissements et de politiques publiques bénéfiques tant à l’atténuation qu’à l’adaptation constitue un axe majeur à développer rapidement.
Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Économie |
Économie verte et circulaire |
Industries et services |
Environnement urbain et rural |
Adaptation au changement climatique |
Aménagement et construction durables |
Ville post carbone et résiliente |
Ville et quartier durables |
Matériaux biosourcés et sains