Le Parc naturel urbain des Trois Vallées : un projet de territoire pour restaurer un écosystème humanisé
Restaurer les paysages des vallées du Croult, du Petit Rosne (Val-d’Oise) et de la Vieille Mer (Seine-Saint-Denis) est un enjeu majeur. Si les rivières, enfouies, canalisées ou inaccessibles, ont disparu des regards, ces vallées oubliées conservent des atouts paysagers uniques. Leur reconquête est une opportunité pour améliorer le cadre de vie des habitants de la Plaine de France, qui subissent les nuisances de deux aéroports. En s’appuyant sur le potentiel de corridors d’espaces verts, de fraîcheur et de biodiversité, la création d’un « Parc naturel urbain » pourrait répondre aux besoins de nature en ville, et constituer l’assise d’un projet commun à tous les acteurs de ce territoire, à cheval entre l’espace rural et la zone dense, pour une transition écologique douce.
Faire pénétrer la nature au cœur de l’agglomération, laisser la biodiversité s’épanouir et rafraîchir les zones urbaines, restaurer les grandes continuités paysagères et de mobilités douces, offrir aux Métropolitains l’accès aux grands espaces de respiration… des enjeux cruciaux pour la qualité de vie et la santé de l’écosystème régional. Pourtant, l’urbanisation continue à morceler les espaces naturels, agricoles et forestiers, et aggrave les carences en espaces verts des territoires urbains. La préservation des sols et la renaturation des espaces artificialisés forment l’un des fondements du Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF-E), qui détermine l’aménagement du territoire d’ici à 2040. Ces orientations s’appuient sur la structure paysagère régionale, dessinée par les grandes vallées (Seine, Marne et Oise) et les petites rivières affluentes qui ont creusé leurs lits dans quatre grandes tables calcaires : la Beauce, la Brie, la plaine de France et le Vexin. Cette géographie, remaniée par l’action humaine au fil du temps, peut assurer le support de grandes continuités vertes à retisser depuis l’espace rural jusqu’au cœur de la métropole dense. Ce réseau radial viendrait compléter et conforter la Ceinture verte régionale, dont le rôle est de contenir l’urbanisation périphérique, et d’articuler espaces ouverts et espaces urbains.
LA RECONQUÊTE DE GRANDS PAYSAGES URBAINS ET PÉRIURBAINS
Lancée par L’Institut Paris Region, portée par la Région Île-de-France et la Métropole du Grand Paris (MGP), avec l’appui technique d’Île-de-France Nature, la démarche « Projets pilotes pour une métropole nature » a pour ambition la reconquête de grands paysages urbains et périurbains à travers des projets qui s’appuient sur la géographie, le socle naturel et le patrimoine culturel (voir carte). La préservation des sols et des milieux, et la renaturation figurent déjà dans les orientations du SDRIF-E, du Schéma de cohérence territorial (SCoT) métropolitain et de nombreux plans locaux. La mise en œuvre de ces orientations nécessite des projets partagés, permettant d’agir de manière transversale et coordonnée, sur le temps long et à la bonne échelle. L’outil « Parc naturel régional » répond aux enjeux de développement de territoires ruraux au patrimoine naturel et culturel reconnu. Dans les espaces urbanisés, les outils manquent pour dépasser les découpages administratifs et les politiques sectorielles afin de faire émerger des projets « grandeur nature », et de les mettre en œuvre. Expérimenté aujourd’hui par plusieurs métropoles, l’outil « Parc naturel urbain » pourrait être le cadre de projets partagés qui mettent la préservation du vivant et la réponse au besoin de nature au cœur de la transition écologique des territoires. C’est le pari de cette proposition de « Parc naturel urbain des Trois Vallées » : Croult, Petit Rosne et Vieille Mer.
LES VALLÉES OUBLIÉES DU GRAND PARIS
À cheval sur le Val-d’Oise et la Seine-Saint-Denis, la plaine de France est marquée par la présence des aéroports du Bourget et de Paris-Charles de Gaulle. Son modèle d’aménagement fonctionnel, développé notamment sous l’impulsion de l’État, a impacté les paysages naturels (voies rapides, surfaces logistiques et commerciales, décharges, remblais…). Il a conduit à oublier les vallées et les cœurs de ville (Sarcelles, Goussainville ou Gonesse), historiquement au centre de la vie sociale et économique. Les sols des plateaux se sont appauvris, tandis que certains fonds de vallée, occupés plus ou moins légalement par des cultures maraîchères, sont menacés de cabanisation. Le Croult, le Petit Rosne, la Morée, la Vieille Mer et leurs affluents sont souvent enfouis ou canalisés dans un lit de béton, jalonnés d’ouvrages techniques de régulation. Les traces de l’eau sont encore présentes dans le paysage, mais les rivières restent largement invisibles et inaccessibles, notamment à l’aval. La clôture des espaces ouverts et des grands parcs (Georges-Valbon et la Patte d’Oie à Gonesse) ne facilite pas l’accès libre aux fonds de vallée. L’accueil du public et le cheminement le long des cours d’eau peuvent être conçus pour préserver et mettre en valeur les milieux et les paysages de l’eau, comme ceux de l’Orge, de l’Yvette, de l’Yerres ou de la Bièvre amont.
DES ATOUTS UNIQUES À VALORISER
Situées au cœur d’un territoire d’un demi-million d’habitants marqué par les inégalités sociales et environnementales, ces vallées bénéficient de nombreux atouts. La vallée du Petit Rosne, encore préservée, est un trait d’union entre deux réservoirs de biodiversité : les forêts d’Écouen et de Montmorency. Entre Sarcelles et Bonneuil, ses paysages ouverts et nourriciers accueillent la dernière ferme de polyculture-élevage près de Paris, respiration dans l’urbanisation continue. Entre Louvres et Arnouville, la vallée du Croult dissimule dans ses méandres des milieux naturels insoupçonnés. À l’amont, le Syndicat mixte pour l’aménagement hydraulique des vallées du Croult et du Petit Rosne (SIAH) œuvre pour la restauration des écosystèmes hydrauliques, la renaturation des berges et la remise à l’air libre de séquences de cours d’eau (Sarcelles, Ézanville), et la création de milieux humides favorables à la biodiversité (Gonesse). À l’aval, au cœur du parc Georges-Valbon (réservoir de biodiversité classé Natura 2000), le Département de la Seine-Saint-Denis s’est engagé dans la remise à ciel ouvert de la Vieille Mer d’ici à 2026. L’établissement public territorial (EPT) Plaine Commune envisage, à long terme, sa réouverture encore plus en aval, avec le soutien de la MGP, et la création d’une grande figure paysagère à sa confluence avec la Seine. Des initiatives sont prises par les communes, les communautés d’agglomération Roissy Pays de France et Plaine Vallée, ainsi que les EPT Paris Terres d’Envol et Plaine Commune pour conforter les trames verte, bleue, brune ou noire1 de leurs territoires. Les trois vallées constituent un potentiel corridor de nature, de fraîcheur et de biodiversité dans une nappe urbaine quasi continue. Les orientations du SDRIF-E sanctuarisent de larges séquences de l’armature verte (OR 2) des vallées, renforcent certaines liaisons (OR 4) et prescrivent la création d’espaces de loisirs d’intérêt régional (OR 27). Mais d’autres outils juridiques et fonciers seraient nécessaires à mobiliser pour assurer une préservation plus forte des espaces et des continuités. En effet, la pérennité, l’identité paysagère, et les fonctionnalités écologiques et sociales de ces vallées restent fragiles. Parmi les initiatives actuellement discutées figure le projet d’avenue du Parisis. La recherche d’une alternative à ce projet, qui réponde à la fois aux besoins de déplacements et de préservation des espaces naturels, fait l’objet de réflexions. Une telle démarche ouvrirait des perspectives pour concrétiser la grande figure paysagère reliant les buttes du Parisis, la vallée du Croult et l’arc boisé de Seine-Saint-Denis2. Cette continuité écologique régionale pourrait être le support d’un projet de territoire en adéquation avec les enjeux du XXIe siècle. D’autres territoires en Île-de- France ont su tirer parti d’emprises de projets routiers abandonnés pour créer des liaisons vertes structurantes3.
UN « PARC NATUREL URBAIN DES TROIS VALLÉES » ?
Depuis 2021, dans le cadre de l’étude exploratoire « Parc naturel urbain des Trois Vallées », de nombreux échanges ont eu lieu avec les acteurs du territoire : communes, intercommunalités, SIAH, membres de la Commission locale de l’eau du Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) Croult-Enghien-Vieille Mer, services des Départements, de la Région ou de l’État, bureaux d’études et associations. Ils ont revêtu des formes variées, entre arpentages, ateliers-visites, présentations, webinaires, comités techniques, entretiens ou balades grand public. S’ils ont mis en lumière les fragilités sociales, les vulnérabilités environnementales et les fragmentations institutionnelles, ils ont aussi montré l’unité organique du bassin-versant des trois rivières par-delà les limites administratives, et révélé des richesses paysagères, patrimoniales, écologiques et récréatives inédites. Le cartoguide construit sur la base de ces échanges témoigne du potentiel de mise en valeur de ces richesses au service d’un développement social et économique équilibré du territoire, à condition qu’une action forte, coordonnée et transversale, fondée sur une vision partagée et la mutualisation de moyens, soit engagée. Il identifie des secteurs d’enjeux qui demandent une attention particulière, comme à Sarcelles, Garges/Arnouville, Goussainville ou Bonneuil/Dugny. De Moisselles à Bonneuil-en-France, le long du Petit Rosne, de Louvres à Dugny, au fil du Croult, de Stains à Saint-Denis, en suivant la Vieille Mer, l’étude exploratoire montre que la restauration des continuités paysagères, écologiques et de mobilités douces pourrait permettre de créer un Parc naturel urbain de près de 1 400 hectares, irrigué par 45 km de cheminements, au bénéfice de 550 000 habitants de 32 communes (périmètre de l’étude). Les briques constitutives de ce projet existent déjà pour partie dans les plans, programmes et projets sectoriels des parties prenantes. Par exemple, le SIAH assure la maîtrise d’ouvrage d’études et d’opérations dans ce sens à l’échelle du bassin-versant du Croult (35 communes, hors Seine-Saint-Denis). Le Référentiel des paysages de l’eau du SAGE Croult- Enghien-Vieille Mer (87 communes sur deux départements), qui devrait être approuvé à l’automne, formule des recommandations sur la prise en compte de l’eau dans les projets d’aménagement. D’autres collectivités portent des stratégies et des projets de continuités vertes.
QUEL PORTAGE POUR CE PROJET ?
Il manque cependant un grand projet fédérateur et lisible, intégrant les dimensions écologiques, urbanistiques, sociales, économiques et de mobilité, qui s’incarne dans un engagement commun de l’ensemble des acteurs du territoire. Cet engagement commun pourrait prendre la forme d’une charte définissant les fondamentaux du projet et le rôle de chacun. Mais quelle structure pourrait porter l’élaboration de cette charte, et en assurer la définition, l’animation et la coordination sur la durée ? À Strasbourg, les chartes des deux Parcs naturels urbains sont pilotées et mises en œuvre par l’Eurométropole. À Bordeaux, le Parc naturel et agricole de Jalles fait l’objet d’une opération d’intérêt métropolitain (OIM). Dans l’hypothèse où les acteurs du territoire adhèrent à l’idée d’un « Parc naturel urbain des Trois Vallées », plusieurs options sont à envisager quant à la structure qui pourrait assurer le portage et le partage du projet : soit l’adossement à une organisation existante, telle que le SAGE ou le SIAH (ce qui impliquerait un élargissement de leurs compétences et, pour le SIAH, une extension de son périmètre en Seine-Saint-Denis) ; soit la création d’un syndicat mixte ou d’une association ad hoc (ce qui permettrait d’associer, aux côtés des territoires concernés4, des partenaires non institutionnels – chambres consulaires, usagers, associations ou université). D’autres solutions pourraient aussi émerger des réflexions et discussions futures.
QUELLES IDÉES FORCES POUR CONCRÉTISER CE PROJET ?
À ce stade, les premières orientations pour un « Parc naturel urbain des Trois Vallées » qui émergent des réflexions et des échanges pourraient se résumer en cinq fils à tisser ensemble : un fil bleu, représentant la restauration des chemins de l’eau par des solutions fondées sur la nature, et la préservation du grand paysage et du patrimoine culturel des trois vallées ; un fil vert, celui de la préservation des milieux et des corridors fonctionnels de biodiversité, d’un accueil raisonné du public et d’une sensibilisation au vivant, conduisant à une meilleure cohabitation des usages ; un fil orange, avec la réalisation d’un cheminement piétonnier, cyclable et cavalier continu, reliant les villes entre elles et le Parc naturel urbain au reste de la région, support d’activités récréatives et touristiques ; un fil jaune, avec la création d’un parc agroécologique de vallée qui privilégie les cultures les mieux adaptées et une alimentation locale au bénéfice des habitants du territoire ; et enfin un fil rouge, celui d’un parc-laboratoire à ciel ouvert de la transition écologique de la plaine de France, qui expérimente de nouveaux modes de gestion et d’usage du sol, et mutualise les ressources et les moyens opérationnels. Ces différents fils pourraient être déclinés en orientations stratégiques et opérationnelles au cours de futurs échanges.
RENOUER LA RELATION ENTRE LES HABITANTS ET LES VALLÉES
Renouer la relation perdue entre les habitants (et usagers) du territoire et les vallées, et en faire reconnaître la valeur et le potentiel, seraient des facteurs de réussite du projet. Cette sensibilisation repose sur des actions à long terme, mais aussi sur des mesures « tactiques » simples et peu coûteuses à mettre en œuvre : le balisage d’un chemin de randonnée pédestre et d’une liaison cyclable provisoires continus, l’amélioration de l’accès aux berges lorsque c’est possible, la suppression des clôtures, la mise en place d’une signalétique unifiée, la création de lieux d’observation de la nature, la préfiguration du Parc naturel urbain par la création de jardins temporaires, d’événements festifs, d’explorations collectives, etc.■
Cette note a bénéficié d’échanges avec un grand nombre de partenaires. Remerciements particuliers à Éric Chanal (SIAH), Aline Girard (SAGE Croult-Enghien-Vieille Mer), Nicolas Rodriguez et Jean Vallée (Île-de-France Nature), Lucie Labidoire (MGP), Maria De La Torre, Maëlle Durante, Tanguy Le Goff, Jonathan Flandin, Manuel Pruvost-Bouvattier, Nicolas Cornet et Olivier Renault (L’Institut Paris Region).
1. Maillage écologique par les espaces verts (trame verte), par les cours d’eau et les zones humides (bleue), par les réservoirs et corridors pédologiques (brune), et par les corridors d’une certaine obscurité pour les espèces nocturnes (noire).
2. bit.ly/carte-sdrife-nature.
3. Dans les Hauts-de-Seine, la promenade des vallons de la Bièvre emprunte le tracé de l’ex-autoroute A10 ; en Essonne, la vallée de l’Orge s’appuie en partie sur l’ex-autoroute C6 ; dans le Val-de-Marne, les emprises de l’ex-A5 permettent la réalisation de la coulée verte Bièvre-Lilas ; l’ex-VDO (A87) est le support d’un projet de corridor écologique sur les coteaux de la Marne ; en Seine-Saint-Denis, Grand Paris Grand Est projette une coulée verte sur l’ex-A103.
4. Il s’agit en particulier des communes, des communautés d’agglomération Roissy Pays de France et Plaine Vallée, des EPT Plaine Commune et Paris Terres d’Envol, des Départements du Val-d’Oise et de la Seine-Saint-Denis, de la MGP et de la Région Île-de-France.
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