Quel déploiement des stations hydrogène pour la mobilité en Île-de-France ?

Note rapide Énergie, n° 960

26 octobre 2022ContactThomas Hemmerdinger, Lucas Sittler, Véronique Charbeaux (Région Île-de-France)

Pas de stations sans véhicules, pas de véhicules sans stations. Longtemps, cette problématique a été l'un des freins à la mobilité hydrogène, avec le coût des véhicules, des stations et de l'hydrogène, et la nécessaire décarbonation de sa production (majoritairement à partir d'énergies fossiles). Avec une offre de véhicules de plus en plus mature (berlines, utilitaires légers, bus, poids lourds...), l'essor de la mobilité hydrogène reste conditionné à une infrastructure d'avitaillement maillant le territoire, cohérente et anticipant les besoins des futurs usagers. Focus sur l'Île-de-France.

Les véhicules hydrogène présentent des avantages majeurs : zéro émission de CO2, NOx et particules (hors freins et pneus) à l’usage, une autonomie similaire aux véhicules thermiques (500 à 1 000 kilomètres pour un plein d’hydrogène), une vitesse d’avitaillement de quelques minutes, un bruit très faible et le maintien d’une charge utile importante pour le transport de personnes et de marchandises. Rappelons qu’un véhicule hydrogène est électrique (quoique les moteurs à combustion d’hydrogène restent à l’ordre du jour de certains constructeurs automobiles), mais qu’à la différence des véhicules électriques à batterie, la source d’alimentation est un réservoir d’hydrogène sous forme de gaz comprimé qui alimente une pile à combustible fournissant l’électricité. Il faut toutefois une infrastructure d’avitaillement suffisamment importante pour permettre aux usagers de se fournir en toute sérénité, ainsi qu’une production par électrolyse d’hydrogène renouvelable et bas carbone, à l’heure où celui-ci demeure majoritairement produit à partir d’énergies fossiles.

UNE STRATÉGIE NATIONALE AMBITIEUSE

Depuis la première Stratégie hydrogène (2018), la France a choisi de déployer des « écosystèmes territoriaux hydrogène » où s’articulent production d’hydrogène (issu d’énergies renouvelables et bas carbone), distribution mutualisée et usages en mobilité (pour des bus, des flottes d’entreprise ou des bennes à ordures ménagères, par exemple) ou dans l’industrie. Ce principe d’intervention, différent de celui de l’Allemagne ou de celui des États-Unis, a été rappelé avec ambition par la Stratégie nationale pour un hydrogène décarboné du Plan de relance et de France 2030, avec un appel à projets dédié doté de 275 millions d’euros d’ici 2023. Le succès de ce dispositif démontre l’appétence des acteurs sur tout le territoire national, et en particulier en Île-de- France, afin de développer un marché de l’hydrogène en vue d’une massification. Les projets d’implantation de stations de production et/ou de distribution d’hydrogène soulèvent de nombreux défis à relever. Avec la mise en place de la Zone à faibles émissions (ZFE) métropolitaine, quel maillage des stations hydrogène se dessine en Île-de-France ? Comment est et sera produit l’hydrogène ? Pour quelles cibles ? Quels sont les défis, nombreux, pour faire de l’hydrogène renouvelable et bas carbone un réel substitut aux énergies fossiles ? La capacité des stations (qualifiée en kilogrammes ou tonnes d’hydrogène distribués par jour) va être conditionnée aux utilisateurs prêts à se convertir à l’hydrogène et au potentiel du territoire. Dans son appel à projets Écosystèmes territoriaux hydrogène, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) vise actuellement des stations minimales de 450 kg d’H2 par jour (avec une production par un électrolyseur de puissance d’au minimum 1 MW, seuil amené à être relevé à 2 MW), permettant d’avitailler plusieurs dizaines de véhicules légers et lourds par jour, avec 50 % des usages sécurisés (engagement d’acteurs à s’équiper en véhicules hydrogène et à s’approvisionner à cette station). En fonction de cette capacité, l’hydrogène peut être produit sur place – particularité forte de la molécule, complexe à stocker et à transporter – ou distribué en camion à partir de sites de production centralisés ou semi-centralisés (un camion peut transporter 350 à 850 kg d’hydrogène au vu de sa faible densité volumique). Cette production par électrolyse de l’eau nécessite de l’électricité renouvelable ou bas carbone pour réduire l’empreinte carbone de l’hydrogène, de 11 kg CO2 par kg d’H2 (par vaporeformage de gaz naturel, technologie principale en France, hors transport) à moins de 3 kg CO2 par kg d’H2 (seuil d’hydrogène bas carbone, variable en fonction du mix électrique ou de la source d’électricité renouvelable, et de la distance d’approvisionnement de la station).

UN TERRITOIRE DE CHOIX POUR DES ÉCOSYSTÈMES DE MOBILITÉ HYDROGÈNE D’ENVERGURE

L’Île-de-France est la première région logistique française. Le transport de marchandises y est aujourd’hui assuré principalement par le transport routier, à 91 % (7 % de transport fluvial et 2 % de ferroviaire), dépendant en large majorité du diesel. Avec le déploiement des ZFE (Paris et Métropole du Grand Paris), les enjeux de neutralité carbone, de sortie des énergies fossiles (enjeu exacerbé par la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques avec la Russie, pays exportateur de gaz naturel, de pétrole brut et de diesel en particulier) et, à terme, l’interdiction de vente de véhicules thermiques (2035), il devient nécessaire de déployer dès aujourd’hui des alternatives énergétiques à faibles émissions (GNV/BioGNV) ou zéro émission (batteries, hydrogène). Ce basculement ne reposera pas sur une solution unique, mais davantage sur des transferts modaux et dans une logique de complémentarités entre les énergies, en fonction de leurs atouts et contraintes par rapport aux usages (TCO, autonomie, rapidité et infrastructure de recharge, charge utile…). Il s’agit également d’accompagner ces changements technologiques auprès de la filière automobile, des constructeurs aux équipementiers en passant par les garages, stratégique pour l’Île-de-France (73 000 personnes employées par plus de 1 600 établissements). Avec ses nombreux hubs de logistique intermodaux, ses aéroports, son axe fluvial, et des infrastructures routières et énergétiques (pétrole, gaz, électricité et chaleur), le territoire régional présente de multiples opportunités pour des écosystèmes territoriaux hydrogène afin de combiner production, distribution et usages, et de viser un équilibre dans les modèles économiques. L’Île-de-France est, par ailleurs, traversée par le Réseau transeuropéen de transport (RTE-T), programme de développement des infrastructures dans l’Union européenne, avec les couloirs « Atlantique » et « Mer du Nord-Méditerranée », ouvrant ainsi des financements européens pour des infrastructures destinées aux carburants alternatifs. Dans le cadre du paquet législatif sur le climat « Fit-for-55 », les règlements européens sur les infrastructures pour carburants alternatifs (Afir) ReFuel Aviation et Fuel Maritime, en cours de négociation par l’UE, permettront d’accélérer le déploiement des infrastructures hydrogène, en particulier dans des zones stratégiques et des corridors de transport comme l’Île-de-France. Le règlement Afir propose d’avoir, d’ici 2027, une station hydrogène au moins tous les 150 kilomètres sur l’ensemble du réseau routier RTE-T, et des exigences minimales de 2 tonnes d’H2/jour et 700 bars. Avec des premiers projets de démonstration et de déploiement, la région est vue comme un territoire clé dans l’accélération et la massification des mobilités hydrogène, tout en considérant ses limites fortes que sont l’accès au foncier pour des infrastructures de production et de distribution ou l’acceptabilité sociale dans une région densément peuplée.

QUELLE INFRASTRUCTURE RÉGIONALE ?

À l’occasion de la COP21, le territoire a acquis dès 2015 une visibilité mondiale sur l’hydrogène, avec le déploiement de la première flotte de taxis du monde et une station au cœur de Paris (place de l’Alma). Le premier appel à projets Écosystèmes de mobilité hydrogène de l’Ademe, en 2018, a permis d’installer les premières stations et flottes de véhicules terrestres dans des lieux stratégiques, comme les aéroports de Roissy et d’Orly (Air Liquide, reprises par Hysetco) ou le marché international de Rungis (Engie). D’autres stations ont été installées pour des expérimentations de bus hydrogène par Île-de-France Mobilités et ses partenaires locaux (Versailles Grand Parc, B.E. Green, Safra…) aux Loges-en-Josas (Air Liquide) ou d’utilitaires en dépôt à Ivry-sur-Seine (Ville de Paris). Un maillage embryonnaire du territoire se dessine, avec des premières zones d’intérêt et des usagers pionniers (les taxis), une volonté de la Région Île-de-France (via son appel à manifestation d’intérêt Innovation et structuration de la filière hydrogène) d’ouverture des stations à tous, d’interopérabilité des pressions proposées (350 ou 700 bars) et d’universalité des systèmes de paiement. Il est à noter que ces premières stations, au vu des capacités journalières (de 20 à 250 kilos d’H2 par jour), ne disposent pas de production sur place, mais sont approvisionnées par de l’hydrogène produit hors région, notamment par l’usine normande d’Air Liquide à Port-Jérôme-sur-Seine, fournissant de l’hydrogène bleu. Depuis 2020, de nouveaux écosystèmes se déploient ou se renforcent, soutenus par la nouvelle édition de l’appel à projets de l’Ademe et les dispositifs de la Région Île-de-France, avec un maillage du territoire plus conséquent ainsi que des stations plus nombreuses et de plus grande capacité (de 500 kg à plusieurs tonnes par jour). Des premiers électrolyseurs associés à ces stations sont prévus pour répondre à des besoins grandissants et projetés d’hydrogène (porte de Saint-Cloud, Le Bourget, Créteil, Gennevilliers…). La station de la porte de Saint-Cloud, avec une production sur place et une capacité d’une tonne par jour, est d’ailleurs la plus grande en Europe à ce jour. Les entreprises Hype (17 nouvelles stations) et Hysetco (6 nouvelles stations) oeuvrent ainsi à déployer des réseaux de stations de moyenne et grande capacité avec, pour certaines, de la production sur place. Un projet de production massive d’hydrogène renouvelable pour les mobilités est par ailleurs en cours de développement à Vigneux-sur-Seine (Essonne), par la société H2V. En parallèle, plusieurs acteurs publics (les villes d’Issy-les-Moulineaux et de Paris, la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, l’établissement public territorial Vallée Sud Grand Paris et sa société d’économie mixte-SEM Vallée Sud Mobilités, la SEM Sigeif Mobilités, le Sipperec…) ou gestionnaires d’infrastructures (Groupe ADP, Voies navigables de France-VNF et Haropa Port) lancent des appels à projets sur leur territoire pour des infrastructures de production et d’avitaillement en hydrogène. Enfin, des acteurs historiques ou nouveaux proposent, pour des flottes publiques ou d’entreprise, des solutions intégrées de vente ou de location de véhicules (utilitaires légers, taxis et poids lourds), et de distribution et de production d’hydrogène. Citons Hyvia (Renault et Plug Power, dont les véhicules et les stations vont être produits en partie en Île-de-France), Stellantis avec Engie, Hyliko, Distry, ou encore la toute nouvelle start-up francilienne TinHy, qui veut proposer des microstations hydrogène de l’ordre de 40 kg d’H2/jour pouvant s’implanter sur des places de parking, ou TotalEnergies, qui projette d’adapter ses stations AS24, destinées notamment aux poids lourds, avec de la distribution d’hydrogène. L’heure est à l’expansion de la filière. Une compétition est d’ores et déjà visible pour les emplacements les plus stratégiques de la région en fonction des opportunités foncières (corridors de transport RTE-T, zones logistiques, ports et aéroports…). Des zones urbaines ou périurbaines moins convoitées se révèlent également, marquant d’ores et déjà des inégalités territoriales déjà visibles sur les autres énergies alternatives (gaz ou électricité). Les premiers acteurs usagers souhaitant s’engager (transporteurs, logisticiens et autorités publiques) sont sollicités par plusieurs porteurs de projet, en amont d’éventuelles réponses aux dispositifs de soutien. Une double logique apparaît alors : une coopération public-privé indispensable pour la mutualisation des investissements, et la sécurisation de premiers usages et du foncier ; l’optimisation de celui-ci pour une maximisation des usages (terrestre, fluvial, logistique au sol – engins de manutention et services en escales –, voire industrie). Des sociétés de projet se créent pour porter les investissements et le fonctionnement. Près d’une cinquantaine de stations hydrogène sont actuellement en projet en Île-de-France. En l’absence de schéma directeur dédié, l’enjeu pour les acteurs publics est d’opérer un dialogue avec et entre les porteurs de projet, au-delà de la compétition et de la concurrence, pour assurer un maillage pertinent du territoire, en phase avec les perspectives d’utilisation de l’hydrogène dans les mobilités.

DE NOMBREUX DÉFIS POSÉS PAR LE DÉPLOIEMENT DES STATIONS

Avec une mobilité gaz en expansion, des batteries de plus en plus performantes et les biocarburants, la mobilité hydrogène doit relever plusieurs défis pour être considéré comme viable et robuste, notamment au niveau de son TCO, le transport routier étant le second secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en Île-de-France (29 % en 2018).

La compétitivité du combustible et sa distribution

Le prix à la pompe de l’hydrogène est actuellement de 15 €/kg d’H2 (soit 15 €/100 km pour un véhicule léger). L’Ademe vise un prix cible de 9 €/kg d’H2 hors taxes, pour avoir une compétitivité hors augmentation actuelle du prix de gazole et de l’essence. Afin de réduire ce coût distribué, les solutions mises en place sont une production d’hydrogène (à partir d’énergies renouvelables et bas carbone) intégrée ou à proximité des stations et, à terme, des hydrogénoducs pour transporter l’hydrogène à partir d’unités industrielles (de l’ordre de dizaines ou centaines de MW d’électrolyse pour plusieurs dizaines de tonnes d’H2 par jour).

La métrologie légale

Les stations existantes sont principalement dédiées à des flottes captives, avec des facturations internes ou bilatérales d’achat d’hydrogène. L’enjeu pour l’ouverture des stations est de disposer de systèmes de distribution certifiés « métrologie légale », permettant d’avoir confiance dans la loyauté des transactions commerciales. Avec un hydrogène à 700 bars, il peut y avoir des incertitudes de quantité distribuée assez élevées, de l’ordre de la dizaine de pourcents.

Le coût des équipements

Le prix des véhicules est conditionné principalement au prix des réservoirs et de la pile à combustible. La France a présélectionné 15 projets industriels majeurs dans le cadre du Projet important d’intérêt européen commun (Piiec), dédiés aux équipements clés de la filière (électrolyseurs, piles à combustible, réservoirs, stations…).
La massification de la production de ces équipements est l’une des clés pour réduire les coûts et viser une parité avec les véhicules thermiques à l’horizon 2030. Plusieurs de ces projets Piiec sont en Île-de-France : Hyvia (piles à combustible, assemblage de véhicules utilitaires, électrolyseurs et stations) à Flins, Villiers-Saint-Frédéric et Gretz-Armainvilliers, Elogen (électrolyseurs PEM) aux Ulis et Alstom à Saint-Ouen.

La localisation des stations d’avitaillement et le « Zéro artificialisation nette » (ZAN)

Dans une optique de maillage territorial en adéquation avec les besoins des usagers et en lien avec le foncier disponible, il s’agit de promouvoir le déploiement des stations sur des zones logistiques (délaissés routiers, à proximité des nœuds routiers), des dépôts de transport (sacrifiant tout de même des places de stationnement) ou des requalifications de friches ou d’infrastructures énergétiques fossiles (dépôts pétroliers, stations essence…). En 2019, l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) a identifié 222 stations existantes en zone métropolitaine (sur 402) mutables, pouvant accueillir de nouvelles énergies telles que le GNV/BioGNV ou l’hydrogène. Le foncier nécessaire varie grandement en fonction d’une production sur place et de la capacité de stockage, intégrant les distances de sécurité au sein du site, ou des besoins pour des poids lourds (retournement, parking…). La station de production et de distribution de la porte de Saint-Cloud (une tonne par jour, avec électrolyse, compression et stockage, et dotée de quatre pistolets de recharge) se situe sur un ancien parking de 1 000 m2 au-dessus du Boulevard périphérique. Des stations de grande capacité pour les poids lourds peuvent représenter 3 000 à 8 000 m2 de surface.

La sécurité et la réglementation associée

Par ses caractéristiques physico-chimiques (large plage d’explosibilité, inflammabilité et dispersion dans l’air), la molécule de dihydrogène est soumise à la réglementation des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en fonction de la capacité de stockage et de distribution (rubriques ICPE 3420 pour la production et ICPE 4715 pour le stockage d’hydrogène) en déclaration (> 100 kg/jour) ou en autorisation (> 1 tonne/jour), modifiant ainsi le régime et la temporalité administrative du projet de station. Les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) sont à solliciter en amont afin de les sensibiliser, et de leur faire connaître les stations et le risque hydrogène. Il existe des formations relatives à l’hydrogène pour les pompiers.

L’acceptabilité sociétale

Pour le grand public, l’hydrogène reste encore associé à des problématiques de sécurité ou peut jouir d’une image favorable. Les premiers taxis et véhicules hydrogène, et la multiplicité des communications permettent de sensibiliser tout un chacun aux atouts, mais aussi aux contraintes et aux cas d’usages pertinents de l’hydrogène. Chaque projet doit donc intégrer une concertation locale forte afin de limiter les recours.

L’articulation avec les autres énergies alternatives

L’avenir des mobilités n’étant pas mono-solution, il est nécessaire de déployer des bornes de recharge électrique ainsi que des stations GNV/BioGNV et hydrogène. Des enjeux réglementaires se posent en cas de stations multi-énergies (distances de sécurité de cinq mètres), mais celles-ci peuvent aussi bénéficier de synergies : l’hydrogène pourrait, via une pile à combustible, absorber les pics de puissance appelée par les véhicules électriques ; des stations GNV pourraient sanctuariser du foncier pertinent avant la massification du marché hydrogène.

PERSPECTIVES D’UNE MASSIFICATION DE L’HYDROGÈNE

Avec la présence de nombreuses flottes captives publiques et privées, de pôles logistiques majeurs et des aéroports, l’Île-de-France est actuellement la première région en quantité d’hydrogène et en besoins d’infrastructures d’avitaillement, et le demeurera assurément. Les demandes, pour le moment faibles, mais grandissantes, d’hydrogène dans les mobilités terrestres, fluviales à court terme et aériennes à plus long terme nécessiteront des productions massives d’hydrogène renouvelable et bas carbone, de l’ordre de milliers à dizaines de milliers de tonnes par an, selon les scénarios (France Hydrogène, Réseau de transport d’électricité-RTE, Ademe…). Cela nécessitera de grandes quantités d’électricité renouvelable et bas carbone, et donc de grandes capacités dédiées (l’électrolyse requiert environ 55 kWh/kg H2) et de grands volumes d’eau (10 à 20 litres/kg d’H2 par électrolyse de l’eau), mais aussi du foncier pour des installations de production, de stockage et de distribution. Afin d’éviter des flux supplémentaires de poids lourds pour la distribution de stations de grande capacité à terme (de 1 à 4 tonnes par jour), des canalisations d’hydrogène gazeux seront nécessaires pour assurer le transport de masse et à bas coût, en convertissant des infrastructures gazières existantes (avec les problématiques relatives aux fuites, à l’intégrité et à la corrosion des aciers, aux vannes et aux compresseurs) ou en créant de nouvelles installations dédiées (projet Backbone H2 des gestionnaires de transport de gaz européens, dont GRTgaz14). Ces productions massives d’hydrogène seront en premier lieu indispensables pour décarboner les usages actuels de l’hydrogène dans l’industrie (raffinage, engrais, verrerie…) et projetés (sidérurgie, méthanol, carburants de synthèse, chaleur haute température…). Des réflexions, portées par le Conseil national de l’hydrogène, l’association France Hydrogène et le Comité stratégique de filière Nouveaux systèmes énergétiques sont en cours afin de qualifier la meilleure organisation à l’échelle de grands bassins de production et de consommation d’hydrogène (Vallée de Seine avec la Normandie pour l’Île-de-France) : multiples productions locales de l’ordre de quelques tonnes par jour, production semi-centralisée ou centralisée, voire importation d’autres régions ou pays d’hydrogène renouvelable et bas carbone à bas coût (importé sous des formes dérivées plus denses énergétiquement et à moindre contrainte de stockage, comme l’ammoniac ou le méthanol). Le déploiement de la mobilité hydrogène doit donc être cohérent avec les objectifs de ZAN, de développement des énergies renouvelables, de décarbonation de l’industrie, de logistique propre, de requalification des infrastructures énergétiques et de géopolitique de l’énergie. Lorsque l’hydrogène sera présent en masse dans la mobilité, en particulier pour les activités logistiques, il s’agira également de disposer de stockages stratégiques de plusieurs dizaines, voire centaines de tonnes, au même titre que les stockages stratégiques obligatoires du pétrole et du gaz, afin de poursuivre les activités de transport et de logistique en cas de problématiques d’approvisionnement. L’hydrogène étant complexe à stocker, ces stockages de masse, a priori souterrains, en cavités salines ou cavités minées, sont à envisager en Île-de-France ou dans des régions voisines : le potentiel de cavités salines est dans le Grand Est, et des recherches sont en cours pour le stockage en aquifère présent en Île-de-France.

Avec ses atouts répondant à la fois aux enjeux de réduction des gaz à effet de serre dans les secteurs polluants (hard-to-abate sectors), à la baisse des polluants atmosphériques et de bruit, à la baisse des importations d’énergies fossiles, ainsi qu’à la réindustrialisation et à la souveraineté du territoire, l’hydrogène apparaît comme une solution séduisante. Il convient d’être conscient également de ses limites et des conditions nécessaires, notamment un développement massif des énergies renouvelables et bas carbone, pour en faire une solution non pas miracle mais réaliste, et adaptée aux besoins des territoires.■

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Mobilité et transports | Équipements et infrastructures | Énergies renouvelables et de récupération | Hydrogène

Quelle dynamique des projets de production et de distribution d’hydrogène en Île-de-France ?

État des lieux 2024

Le déploiement de la mobilité hydrogène est conditionné en premier lieu à la mise en place de stations de distribution d’hydrogène ainsi qu’à une production d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone. Depuis 2015, l’Île-de-France est le territoire du déploiement des premières flottes de véhicules légers pour des usages intensifs (taxis), pour plusieurs raisons :

  • La mise en place de la Zone à faibles émissions (ZFE) d’abord parisienne puis métropolitaine, dans le périmètre de l’A86,
  • La présence de nombreuses flottes captives permettant de développer des écosystèmes territoriaux hydrogène mutualisés entre plusieurs utilisateurs,
  • La forte visibilité mondiale des solutions hydrogène dans la région capitale,
  • La densité de nouveaux usages potentiels permettant l’émergence de nombreux acteurs relatifs à la production, à la distribution d’hydrogène ou aux solutions hydrogène.

En ce début d’année 2024, l’AREC vous propose une cartographie des projets hydrogène en Île-de-France, à la fois de production, de distribution et d'usages (faisant suite à un premier état des lieux : Note rapide n°960 « Quel déploiement des stations hydrogène pour la mobilité en Île-de-France? » - octobre 2022).

Quelle évolution depuis 2 ans ?

Au 1er janvier 2024, on dénombre 9 stations de distribution hydrogène dont une également de production (Porte de Saint-Cloud). Ces stations ont une capacité cumulée de 2,5 tonnes d’hydrogène par jour. Certaines des premières stations de petite capacité (< 100 kg d’hydrogène par jour) ont été fermées : Les Ulis, MIN de Rungis, Place de l’Alma (Cette dernière est toutefois rénovée par Air Liquide pour une réouverture début 2024). Plusieurs nouvelles stations, de plus grande capacité, ont ouvert en 2023 :

  • La station de production et de distribution HYSETCO de la Porte de Saint-Cloud, d’une tonne par jour, inaugurée le 26 juin 2023,
  • Les stations de distribution HYPE d’Issy-les-Moulineaux (inaugurées le 1er avril 2023) et de la Porte de Bercy (fin 2023) de 200 kg par jour chacune,
  • La station temporaire de distribution GCK Energy du Centre National de Réception des Véhicules (CNRV) de l’UTAC de Linas-Montlhéry (qui sert aux tests et à l’homologation de véhicules retrofités -poids lourds et autocars à hydrogène-).

En 2023, on peut également citer le démarrage des travaux de Vallée Sud Hydrogène (avec une cérémonie de première le 11 octobre 2023), d’H2 Créteil et de nouvelles stations HYPE et HYSETCO. Ces deux entreprises ont chacune annoncé à l’été 2023 huit nouvelles stations en déploiement en 2024, en prévision notamment des JOP2024.

Quels véhicules ?

Il est rappelé que les solutions hydrogène pour la mobilité terrestre sont destinées principalement à la mobilité lourde et intensive, pour un public professionnel. Dès 2015, les premiers véhicules franciliens ont été des véhicules légers de type berline ou SUV à usage taxi ou VTC sur la zone métropolitaine. Ensuite une première flotte de véhicules utilitaires légers avec prolongateurs hydrogène (Renault Kangoo), qui n’est aujourd’hui plus en service. En 2019, des premiers bus à hydrogène arrivent dans les Yvelines ainsi que des tests dans le Val-de-Marne. À noter également des vélos et triporteurs à hydrogène à Issy-les-Moulineaux et l’EPT Vallée Sud Grand Paris (92).

Au 1er janvier 2024, il est dénombré actuellement de l’ordre de 700 véhicules (soit près de la moitié du parc total français*) et plusieurs autres types d’équipements utilisant de l’hydrogène, composés de la sorte :

  • 600 véhicules légers de type berline et SUV (Toyota, Hyundai)
  • 50 véhicules utilitaires légers (Stellantis, Renault / Hyvia)
  • 7 bus (Solaris, Van Hool)
  • 25 vélos et triporteurs (Pragma Industries)
  • Des drones (HyLight, H3 Dynamics)
  • Des groupes électrogènes à hydrogène (EODev)

*France Hydrogène recense 1 320 véhicules en 2023 en France (Les Chiffres clés, édition 2023).

Ce parc est amené à doubler en 2024 avec l’arrivée programmée de 500 nouvelles berlines, au moins 150 véhicules utilitaires légers, des bus (en particulier 47 bus d’Île-de-France Mobilités pour Vallée Sud Hydrogène et H2 Créteil en 2025), des bennes à ordures ménagères, 10 autocars, des chariots élévateurs ainsi que les premiers bateaux de transport de marchandise et de passagers (SOGESTRAN et autres).

Quels acteurs ?

Les premiers acteurs en Île-de-France ont été Air Liquide, grand groupe présent historiquement sur la chaine de valeur de l’hydrogène et la société HYPE pour les usages taxis, puis HYSETCO. La région présente un vaste écosystème d’acteurs proposant à la fois des infrastructures de distribution (et de production dans certains cas) jusqu’à la location de véhicules et les services associés (accès aux stations, maintenance, assurance). Citons Air Liquide, AVIA, DISTRY, Engie, EnHYwhere, Fayat, H2byCol (Verso Energy, Colas, Bouygues Construction), H2 Créteil (SIP EnR, Suez), Hyliko, Hynamics (EDF), HYPE, HYSETCO, Hyvia (Renault Group, Plug Power), Lhyfe, TotalEnergies, Vallée Sud Hydrogène (SEM Vallée Sud Mobilités, Hynamics).

Signalons que TotalEnergies et Air Liquide viennent de créer une coentreprise, TEAL, dédiée aux stations poids lourds sur les corridors européens de transport (qui traversent notamment l’Île-de-France) et qui reprendra des actifs des deux entreprises ou requalifiera des stations poids lourds existantes.

Quelle production d’hydrogène ?

L’Île-de-France est une région structurellement dépendante de l’extérieur pour son approvisionnement énergétique (pétrole, gaz, électricité, bois). L’hydrogène, même si son transport reste limité, est également soumis à ce phénomène. Les premières stations de distribution d’hydrogène ne produisent pas sur place et sont approvisionnées par des sites industriels de production de gaz, généralement hors d’Île-de-France (Normandie, Hauts-de-France, Grand Est). L’hydrogène étant produit par vaporeformage de gaz naturel (pouvant intégrer une brique de captation de CO2) et acheminé par camion diesel, l’intérêt en décarbonation n’est pas justifié. Néanmoins, plusieurs sites de production d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone apparaissent en Île-de-France pour répondre à cet enjeu de décarbonation de la production d’hydrogène.

Au 1er janvier 2024, il est recensé 3 sites en fonctionnement pour une puissance cumulée de 4,5 MW (soit 15% de la puissance installée en France en 2023, 30 MW selon France Hydrogène) :

  • La station de production et de distribution HYSETCO de la Porte de Saint-Cloud (75), déjà citée : 2,5 MW du fabricant NEL,
  • Le site HYVIA sur l’usine ReFactory de Renault à Flins - Aubergenville (78), pour le test des piles à combustibles assemblées sur place pour des Renault Master : 1 MW du fabricant Plug Power,
  • La plateforme de test d’électrolyseurs d’EDF Lab aux Renardières (77) : 1 MW du fabricant McPhy.

Plusieurs projets sont en cours pour déployer entre 30 à 50 MW d’électrolyse. À noter également le projet de production massive d’hydrogène sur la bioraffinerie de Grandpuits, dans le cadre de la reconversion de la raffinerie vers les biocarburants en particulier aériens. D’une capacité de 20 000 tonnes d’hydrogène par an, l’unité sera un nouveau SMR (vaporeformage de méthane) avec captation CO2 (Cryocap® d’Air Liquide) et incorporation d’un tiers de gaz renouvelable produit sur place (méthanisation et pyrolyse).

Quelles infrastructures de transport et de distribution de l’hydrogène ?

Les réflexions en cours montrent que l’Île-de-France produira une majorité de l’hydrogène utilisé dans la mobilité, mais restera également approvisionnée par des flux extérieurs (par camion puis par canalisation de gaz dédiée : les "hydrogénoducs"), en particulier venant de la Normandie ou des Hauts-de-France. Au sein de la Vallée de Seine, la Normandie concentre 4 projets d’envergure en cours de construction (Air Liquide Normand’HY, 200 MW) ou en planification (Verso Energy - 350 MW, Engie - 250 MW, Lhyfe - 100 MW). Dans le cadre de l’European Hydrogen Backbone (corridor européen hydrogène) GRTgaz étudie la connexion de l’Île-de-France pour en faire un hub de connexion sur trois axes : Le Havre – Paris, Saint-Nazaire – Paris avec AtlantHYc et Valenciennes – Paris avec WHHYN.

À une échelle plus locale, GRDF étudie, en partenariat avec l’AREC, l’identification de premières boucles locales de distribution d’hydrogène, afin de relier par canalisations des électrolyseurs et des sites industriels ou mobilité consommateurs. Une première boucle fait l’objet d’une étude de faisabilité avec le SIGEIF, le SIGIDURS et le SIAH autour de la station d’épuration du SIAH (Bonneuil-en-France, 95), de l’unité de valorisation énergétique du SIGIDURS (Sarcelles, 95).

L’hydrogène étant un vecteur énergétique mouvant, à la fois dynamique et soumis à des forts enjeux technologiques et économiques, l’AREC poursuivra son travail de mise à jour de ces informations. Restez connectés !

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