Ruptures des contrats d'apprentissage en Île-de-France
Cette étude s’inscrit dans le contexte d’une croissance inédite de l’apprentissage à l’échelle nationale, et de manière encore plus marquée à l’échelle francilienne. L’Île-de-France est la région qui compte le plus d’apprentis en France : plus de 200 000 nouveaux contrats ont été signés en 2023, soit près du quart (24 %) des nouveaux contrats enregistrés au national1. Entre 2019 et 2022, les acteurs se sont mobilisés sur le développement de l’apprentissage. Les enjeux étaient de sensibiliser, de promouvoir et de faciliter les entrées. À cette phase de déploiement de la réforme2 succède aujourd’hui une phase de consolidation traitant notamment de la sécurisation des parcours et des droits des apprentis. La mesure des ruptures est alors un indicateur qui vient renseigner la qualité du système d’apprentissage.
Cette étude a vocation à apporter des éléments permettant de mieux caractériser le phénomène de rupture, tout en tenant compte des spécificités franciliennes. Un travail statistique a été réalisé pour quantifier les ruptures en Île-de-France, mais aussi mettre en exergue les différentes méthodes de calcul et leur signification (partie 1 : mesurer). Un travail de terrain, par observations et entretiens, a également été mené, pour appréhender et qualifier les ruptures (partie 2 : qualifier) et pour identifier des pratiques permettant de les prévenir (partie 3 : prévenir).
1. Mesurer la rupture : enjeux méthodologiques et empiriques
La dernière publication de la DARES – dont la portée est nationale – livre un ensemble de constats importants par rapport aux données antérieures3. La probabilité de rupture dans les neuf mois est généralement plus élevée pour les apprentis plus âgés et pour les femmes (23 % contre 19,5 % pour les hommes). Les taux de rupture augmentent entre 2017 et 2022 pour les apprentis ayant plus de 18 ans au début de leur contrat, alors que le taux de rupture des mineurs est stable. Dans l’ensemble, les ruptures sont plus fréquentes dans le secondaire (26 %) que dans le supérieur (18 %). Cependant, les évolutions entre 2017 et 2022, indiquent une progression du taux de rupture très significative dans le supérieur (+ 8 points) par rapport au secondaire (+ 2 points). En 2022, les formations préparant un bac + 2 connaissent plus de ruptures que les formations au niveau du bac. La durée des contrats joue fortement. Ceux ayant une durée d’environ un an connaissent un taux de rupture de 12,6 % alors que ceux ayant une durée d’environ deux ans ont un taux de rupture de 37,6 %.
Les secteurs présentant le plus de ruptures restent inchangés, comme l’hébergement-restauration (36 % à neuf mois pour les contrats débutés en 2022) ou la coiffure. Cependant le taux de rupture double pratiquement dans des secteurs peu concernés historiquement par les ruptures (information-communication ; activités financière et assurance ; administration publique, enseignement, santé humaine et action sociale). De même, si les ruptures sont plus fréquentes dans les petites entreprises (28 % de ruptures dans les neuf mois dans les entreprises de moins de 5 salariés, 21 % dans les entreprises de 10 à 49 salariés, contre 12 % dans les entreprises de 250 salariés ou plus), la progression des ruptures dans les grandes entreprises est notable depuis 2017 (+ 5 points).
Les secteurs et niveaux de formation où les taux de rupture progressent le plus en cinq ans sont aussi les plus dynamiques en termes d’entrées en apprentissage. Près d'un contrat d’apprentissage sur deux commencé en 2022 est associé à une structure de formation qui n’accueillait pas d’apprentis entre 2012 et 2018. Ces contrats associés à des CFA récents ont une plus grande probabilité de rupture dans leurs neuf premiers mois : de 3 ou 4 points de pourcentage pour les CFA ayant accueilli des apprentis à partir de 2019 ou 2020 par rapport à ceux qui en accueillaient entre 2012 et 2014, et de 6 points pour ceux accueillant pour la première fois des apprentis à partir de 2021 ou 2022. L’expérience des employeurs en matière d’apprentissage joue aussi un rôle très net. Pour plus d’un tiers des contrats d’apprentissage commencés en 2022, l’employeur n’avait pas accueilli d’apprentis entre 2012 et 2019.
2. Qualifier la rupture : analyse qualitative des facteurs et logiques
Le contrat d’apprentissage est une relation multipartite. Il repose sur une relation entre une entreprise représentée par un maitre d’apprentissage, un apprenti, et l’organisme de formation dont les formes d’intervention dans cette relation peuvent varier. La relation entre le jeune et son employeur est comme tout contrat encadré par le code du travail. Or un changement majeur a été apporté par la loi « Avenir professionnel ». Elle ouvre droit à la démission pour l’apprenti pour les contrats conclus à partir du 1er janvier 2019 (dans des conditions définies par le décret n°2018-1231 du 24 décembre 2018). Avant cette réforme, l’apprenti ne pouvait rompre à son initiative (sauf dans le cas d’obtention du diplôme visé) et ce dernier devait se tourner vers le Conseil des prud’hommes pour demander la résiliation du contrat en cas de faute grave de l’employeur ou de manquements répétés à ses obligations. Les CFA notent que les jeunes disposent d’une bonne connaissance de leurs droits et n’hésitent plus à demander la rupture d’un contrat quand la situation ne correspond pas à leurs attentes.
Mais au-delà de ce constat, Il existe une corrélation entre les motifs des ruptures et le profil des jeunes et des entreprises, ainsi qu’entre la temporalité de la rupture et les motifs qui y conduisent. La rupture est différente si elle se produit au bout de quelques semaines ou de plusieurs mois ; si elle est le fait d’un jeune maîtrisant ses transitions sur le marché de l’apprentissage et du travail ou bien d’un jeune avec moins d’emprise sur son parcours scolaire et professionnel. Le terme de « rupture » englobe ainsi des fins de contrat subies ou bien choisies du point de vue des apprentis. Car la rupture est avant tout un phénomène relationnel dans une relation tripartite. Même si cette relation est encadrée par le code du travail, elle ne peut gommer le facteur humain et de multiples causes viennent fragiliser cette relation : défaut de cadrage du maitre d’apprentissage, dimension apprenante pas assez prise en compte par l’entreprise, défaut de posture de la part du jeune, défaut d’orientation du jeune, défaut de gestion d’une situation de handicap, défaut de suivi de l’organisme de formation, le rythme soutenu demandé par l’alternance notamment pour les plus jeunes, et particulièrement si les distances entre l’organisme de formation et/ou l’entreprise sont éloignées du lieu d’habitation, fragilité psychologique et sociale du jeune etc. Le profil socioéconomique du jeune est déterminant face à la rupture. L’appui familial, notamment sur le volet financier, peut ainsi autoriser le choix de la rupture et son déroulé positif, ou bien agir comme une contrainte.
L’étude souligne par ailleurs que dans les niveaux de formation supérieurs, certains apprentis mettent en place des stratégies de parcours qui peuvent passer par le choix de la rupture. Sans qu’il soit possible de chiffrer ce phénomène de façon longitudinale et comparative, il semble que la région francilienne soit assez concernée par ce phénomène en raison de la prédominance de l’apprentissage du supérieur et des opportunités d’embauche dans d’autres entreprises. Cela transparait notamment pour les contrats de deux ans et peut aussi se traduire par des cas de transition d’un contrat d’apprentissage vers un contrat de travail ordinaire (CDD ou CDI).
3. Prévenir la rupture : les actions mises en place par les CFA et les autres acteurs
Les solutions mises en place sont à la fois préventives et curatives autour de trois temps forts : avant, au moment et après la rupture.
Les CFA développent une logique d’accompagnement des postulants à l’apprentissage, en amont de l’inscription effective en CFA ou de la signature du contrat d’apprentissage. Si les actions observées ne sont pas nouvelles (préparation au mieux des candidats que ce soit les jeunes ou les entreprises et leurs maitres d’apprentissage), elles prennent une importance croissante dans la démarche de sécurisation des parcours
Pendant le contrat, plusieurs actions sont mises en place pour entretenir la relation. Les CFA jouent la carte de l’anticipation et de la médiation, en sensibilisant ses équipes sur le repérage des « signaux faibles » et en organisant des visites d’entreprise. Parfois difficiles à organiser par manque de temps ou de moyens, ces dernières peuvent se substituer par la tenue d’un livret électronique entre l’école, l’entreprise et le jeune. Le rôle du maître d’apprentissage en entreprise est aussi primordial, cependant, la fonction n’est pas toujours bien maitrisée par les employeurs. Certaines entreprises présentent des bonnes pratiques en proposant des formations, des manuels (livret d’accueil...). Par ailleurs, la prévention des ruptures de contrat ne peut se soustraire à la prise en compte des freins périphériques dans les parcours d’apprentis. La présence au sein des organismes de formation, de psychologues, de plateformes téléphoniques d’écoute, d’assistantes sociales pourrait apporter des solutions aux difficultés d’ordre matériel et social. Toutefois, ces dispositifs jugés coûteux, ne sont pas systématiquement développés. Malgré ces différentes interventions, des ruptures se produisent. Dans ce cas, les CFA sont tenus de garantir aux apprentis la poursuite de leur formation pendant six mois tout en les accompagnant dans la recherche d'un nouvel employeur, en lien avec le service public de l'emploi. Là encore différentes solutions sont apportées mais la période de rupture (en début ou milieu de contrat par exemple) conditionne aussi leur efficacité.
La recomposition du paysage de l’apprentissage et le remaniement des compétences des acteurs entraînent un besoin de clarification des missions notamment en matière de ruptures des contrats, qu’il s’agisse de la prévention ou de la sécurisation. Plusieurs pistes d’action ont été repérées dans l’étude, menées par ces différents acteurs, (CFA, entreprises, OPCO…). Le sujet « ruptures » réclame en effet une action portant sur de nombreuses dimensions et impliquant toutes les parties prenantes de l’apprentissage.
1 Données Dares : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/le-contrat-dapprentissage
2 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».
3 Fauchon A., « Ruptures des contrats d’apprentissage : quelles évolutions depuis la réforme de 2018 ? », Dares Analyses, juillet 2024, n° 43.
Voir aussi
Séminaire du 26 septembre 2024
Développement de l'apprentissage et ruptures de contrat : quelles réalités en Île-de-France ?
Cette étude est reliée à la catégorie :
Emploi et formation
Séminaire du 26 septembre 2024