Des plates-formes dédiées pour organiser la rencontre

Dossier colocation, article n° 2   Sommaire

17 novembre 2022ContactIsabelle Barazza

La colocation conquiert du terrain, socialement et géographiquement : nouveaux publics et classes d’âges, territoires diversifiés, en métropoles et en régions. Si cette solution locative est privilégiée pour des raisons économiques, elle traduit aussi une forte demande de lien social. Des plates-formes se sont ainsi spécialisées et structurées pour répondre aux attentes de ces publics élargis et diversifiés : étudiants et jeunes actifs, seniors, familles monoparentales, etc. Des regroupements s’opèrent pour trouver ses « cohabitants » selon des affinités comme celles liées à l’âge ou au genre, mais aussi autour de valeurs, comme l’écologie, les convictions politiques ou la religion.

Une diversité des publics et des territoires de la colocation 

Si la colocation ne constitue plus une pratique marginale et est devenue un sujet largement abordé dans l’actualité, elle reste encore peu étudiée en sciences sociales. Les données officielles sont également rares sur ce statut d’occupation du logement, du fait d’un difficile repérage des colocataires dans les enquêtes de recensement. L’Insee les comptabilise parmi les 2 % de « ménages complexes » (cf. encadré définition) en France métropolitaine et 2,6 % en Île-de-France1, c’est-à-dire près de 133 000 ménages franciliens, et une estimation de 300-350 000 personnes. Cette rubrique composite regroupe les ménages « inclassables », présentant des configurations différentes des formes traditionnelles de cohabitation (personne seule, couple, famille avec enfant(s), famille monoparentale, etc.). La colocation se caractérise ainsi par une diversité de publics et de situations sociales. Aussi pour les nouveaux acteurs mobilisés sur ce créneau immobilier, il n’est plus seulement question de structurer l’offre et la demande de logement, mais de mettre en relation des personnes selon des affinités. À cette diversité des publics vient s’ajouter une nouvelle géographie de la colocation. Le phénomène n’est plus cantonné à la seule capitale, mais déborde sur les métropoles régionales et, depuis peu, investit les villes moyennes au marché immobilier pourtant « détendu » (Saint-Étienne, Nîmes, Pau, etc.). D’autre part, la colocation ne concerne plus seulement les appartements des centres-ville, les plus valorisés et les mieux desservis, mais aussi des maisons et d’autres lieux reconvertis davantage excentrés. Selon locservice.fr, 66 % des recherches de colocation ciblent aujourd’hui la province (contre 58 % en 2020), 34 % l’Île-de-France (contre 42 % en 2020) où 14 % ciblent la grande couronne, 26 % la petite, et 60 % Paris, attestant d’une perte de l’attractivité francilienne depuis la crise sanitaire2.

Des dynamiques de regroupement qui s’opèrent selon les affinités

Le premier critère de regroupement est naturellement celui de l’âge. Les étudiants et les jeunes actifs bénéficient de plates-formes comme Studapart.com et Immojeune.com, qui ont noué des partenariats avec des écoles et des universités souhaitant faciliter l’accès au logement de leurs élèves (souvent avec offres mixtes : hébergement en résidence, chez un particulier, ou en colocation). La cherté des maisons de retraite, l’isolement dans les campagnes ou en ville, les difficultés liées au grand âge et la crainte d’achever sa vie dans un « mouroir », sont autant de motifs qui peuvent sensibiliser les seniors à l’idée de la colocation. Ils y retrouvent leurs semblables pour partager un rythme de vie adapté et les mêmes souvenirs. Des initiatives très variées, associatives, institutionnelles ou privées, témoignent d’expériences nouvelles pour améliorer les conditions de vie du grand âge. Citons la « colocation » entre seniors chez un propriétaire occupant, qui permet de réduire la sous-occupation des grands appartements et d’apporter quelques revenus pour compléter une pension de retraite (Colocation-adulte.fr) ; la colocation au sein de maisons aménagées par le centre communal d’action sociale (CCAS) ; les petites unités de vie des Maisons Marguerite en milieu rural, l’habitat partagé des Maisons des Sages, pour les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer, ou encore le domaine de Monrepos à Libourne qui combine colocation seniors et chambres d’étudiants, et Loki Ora en Loire-Atlantique avec ses colocations en milieu urbain.

La colocation intergénérationnelle reste une pratique d’entraide assez marginale. Elle est pourtant largement promue pour répondre à deux enjeux majeurs : le manque et la cherté du logement étudiant d’une part, l’isolement et les difficultés d’autonomie des personnes âgées d’autre part. La demande est forte de la part des étudiants, mais les seniors sont encore peu accoutumés à cet usage. Cette formule locative facilite pourtant leur maintien à domicile, dans un environnement familier et sécurisé, grâce à la présence d’un(e) étudiant(e) au quotidien. Ces derniers peuvent quant à eux accéder à un logement confortable, gratuitement ou à moindre coût. La colocation intergénérationnelle est encadrée par des associations comme le Parisolidaire.fr, Ensemble2generations.fr, Untoit2generations.fr. Des propositions originales voient également le jour comme la colocation étudiante dans un Ehpad proposée par le CCAS de Montpellier : des appartements aménagés accueillent des étudiants pour un loyer modique en échange d’heures d’animation auprès des pensionnaires. L’habitat intergénérationnel constitue une étape, tant que le maintien à domicile des seniors est possible. Il n’est pas une alternative à la maison de retraite, encore moins à l’Ehpad.

Un veuvage, un divorce, une séparation, ont des conséquences financières qui précarisent souvent les ménages. Depuis peu, les parents isolés se tournent aussi vers la colocation, et notamment les femmes avec enfant(s), qui composent la majorité des familles monoparentales. Elles rencontrent de nombreuses difficultés3, liées entre autres à l’accès au logement, déterminant pour accueillir le ou les enfants et bénéficier de leur garde alternée ou principale. Difficultés exacerbées en Île-de-France, où le parc privé reste difficilement accessible sur présentation d’un bulletin de salaire unique. Si la mutualisation des besoins et des ressources est leur première motivation, la dimension humaine de partage et d’entraide se révèle tout aussi essentielle. Briser la solitude après une rupture, partager l’organisation du quotidien en mettant en place des échanges de services (garde d’enfants, par exemple), recréer une atmosphère familiale pour les enfants, sont les raisons couramment invoquées. La cohabitation se formalise d’ailleurs souvent autour de la proximité d’âge des enfants, et de valeurs et principes éducatifs communs. La colocation permet également à certaines familles de se maintenir dans des appartements devenus trop coûteux en louant une de leurs chambres (Parent-solo.fr, portail de la monoparentalité avec annonces de colocation, Colocation-adulte.fr/parent solo).

Certains sites de colocation disposent de filtres qui permettent la recherche de colocations genrées, très appréciées des femmes notamment (Colocation-adulte.fr « Vivre entre femmes » ; Locservice.fr « Uniquement des femmes »). La colocation exige le partage de l’espace et trace des frontières plus floues entre le privé et le commun. Elle oblige à construire un nouveau rapport à l’intimité et des stratégies de préservation des corps. L’entre-soi féminin peut dès lors constituer un cadre rassurant. Selon l’observatoire LocService.fr, « 20 % des femmes ciblent uniquement les colocations entre femmes, alors que 3 % des hommes exigent une colocation 100 % masculine ».4 Les colocations entre femmes concernent tous les âges. Elles se développent notamment parmi les plus âgées, proposant une forme de béguinage moderne qui facilite la relation de confiance. 

Les colocations peuvent se former plus solidement autour de « valeurs » qui renforcent la cohésion de groupe. C’est le cas par exemple des colocations écologiques, qui réactualisent les expériences communautaires des années 1960-1970. Elles fleurissent aussi bien en milieu urbain, en banlieue, que dans les espaces ruraux, et vont au-delà du simple partage d’un logement. À la Maison bleue de Bourg-la-Reine (92), au Vieux Poirier à Gagny (93) (cf. l’interview), l’habitat devient le terrain expérimental de la transition écologique et de modes de gouvernance alternatifs. Ces colocations se pérennisent parfois en se transformant en habitat partagé ou coopérative d’habitants, comme le Moulin bleu à Vendôme (41), émule de la Maison bleue francilienne. 

Si Cécile Duflot, alors ministre du Logement, avait suscité un temps la polémique sur la vacance du domaine foncier de l’Église et son éventuelle réquisition pour l’hébergement d’urgence, ce patrimoine semble s’ouvrir aujourd’hui à de nouvelles expériences communautaires grâce à la colocation. C’est le cas avec les Maisons d’unité, à Paris, Enghien, Aubervilliers, etc., mais aussi au sein de colocations paroissiales, dans des presbytères, instituts religieux, prieurés, couvents et monastères. Ces initiatives rassemblent le plus souvent des publics jeunes, entre 20 et 35 ans, qui souhaitent conjuguer vie étudiante, professionnelle et spirituelle. Elles se prêtent aussi à de nouvelles interactions sociales à travers des démarches inclusives, comme celles de l’association Lazare, qui ouvre des « maisons » à Paris et en régions, dans lesquelles de jeunes actifs particulièrement engagés cohabitent avec des sans-abris. Dans une « dynamique de sortie de la rue » et de premier pas vers la réinsertion, chacun participe aux frais généraux et de loyer selon ses moyens. L’association Aux captifs la libération propose des colocations solidaires entre bénévoles, salariés, avec des sans-abris et des personnes prostituées. 

La numérisation des recherches : accélérateur du phénomène ? 

Comment imaginer partager son lieu de vie avec des « cohabitants », dans cette relation singulière « d’étrangeté », avec ces « autres non familiaux » qui, pourtant, vont devenir des « familiers » ? Cette question, tout candidat à la colocation se la pose, et les plates-formes numériques s’en saisissent avec la promesse d’apporter un « supplément d’âme5  » à la colocation. Pour capter une demande grandissante, elles se spécialisent et se positionnent sur la dimension affinitaire ─ du latin affinitas qui signifie « parenté » ─ dans le choix de la colocation idéale. Leurs sites proposent des arborescences par publics, toujours plus diversifiés et précis : appartenir à la même génération (jeunes, adultes, seniors), partager une organisation et des contraintes communes (famille monoparentale, étudiants), certaines valeurs (écologie, spiritualité, solidarité), préférer un entre-soi féminin, qui constituent des prémices possibles pour construire un lieu de vie partagé. En s’appuyant sur le matching et la technologie des algorithmes utilisée par les sites de rencontres pour estimer la compatibilité entre individus, une mise en relation directe entre locataires, ou entre locataires et propriétaires, peut s’opérer selon les aspirations et les modes de vie (Whoomies.com, Cooloc.com, Appartoo.com, Appartager.com, etc.). 

À l’image de Colocation-adulte.fr, certaines plates-formes explicitent leur ambition de s’adapter à l’évolution des modes de vie, voire de répondre aux difficultés rencontrées par les candidats à la colocation : accès au logement des jeunes et autonomie des personnes âgées grâce aux colocations intergénérationnelles, entraide entre seniors, autonomie et accès à un domicile pour les femmes isolées ou à la tête d’un foyer monoparental avec la colocation entre femmes, parents solo séparés partageant un logement en parallèle d’une garde alternée au domicile des enfants, etc. De son côté, la Cartedescolocs.fr6 (cf. l’interview) propose, via la géolocalisation, de trouver ses colocataires selon un matching géographique, en ciblant un quartier, voire une rue, proche d’un lieu d’études ou d’emploi. 

Mais ces sites sont en concurrence avec les communautés et les réseaux affinitaires préexistants. Les communautés spirituelles ont ainsi développé leurs propres plates-formes numériques, comme Jéricho’loc (groupe Facebook avec mise en relation de jeunes d’obédience chrétienne qui souhaitent former une colocation), Fraternitez.com (mise en relation pour colocations au sein d’établissements religieux ou offres privées), le réseau-magis.org des colocations ignaciennes, et celles de l’ONG Points Cœur. 
De manière semblable, les éco-colocations se développent davantage par le bouche-à-oreille, entre personnes acquises à la cause ou en s’appuyant sur les réseaux sociaux spécialisés comme L’Auberge de la Solidarité, les groupes Facebook Eco-Colocation et le réseau Ekolok (cf. l’encadré), notamment quand il s’agit de remplacer un colocataire. La Carte des colocs cherche néanmoins à capter ce public : la prochaine version du site comportera un filtre « écologie » (cf. l’interview).

Matching, casting, coloc dating

La relation humaine est ainsi réintroduite au cœur du discours marketing de la colocation, moins centré sur le bien recherché que sur le « bénéfice humain », comme l’illustre le pitch de Cooloc.com : « Les colocataires se réunissent non plus uniquement pour des raisons financières, mais aussi pour partager et s’entraider. » Sur d’autres sites, il est question d’« ériger la colocation en art de vivre en plaçant l’humain au cœur de ce véritable projet de vie », de « transformer les lieux vides en histoire commune », de « mise en relation de qualité », et d’« expérience communautaire ». Les algorithmes de matching et les formulaires d’inscription (plus ou moins élaborés) sont les deux outils permettant d’associer les « profils compatibles ». Le formulaire de Cooloc.com révèle ainsi une étude poussée des tendances lifestyle, des nouvelles pratiques, modes et sensibilités : psychologie, rythme de vie, pratique religieuse, type d’alimentation, look, style préféré de déco, etc. Une sophistication qui contraste bien souvent avec la réalité de l’offre colocative, notamment à Paris, dans des appartements souvent exigus et inadaptés, et avec des affinités de profils toutes relatives.
 

Toutefois, ce « casting » numérique semble avoir trouvé ses limites et s’est réinventé dans la relation directe avec les « apéro-colocs » ou coloc dating, un genre de speed dating pour colocataires (pratique suspendue pendant la crise sanitaire), qui rassemblent dans des lieux conviviaux un public composé de jeunes actifs fuyant la solitude et les appartements parisiens étriqués. « On en revient aux bonnes vieilles méthodes du lien direct. S’il y a beaucoup de digital, la rencontre entre futurs colocataires et propriétaires est fondamentale. Dans ces soirées, nous les orientons vers d’autres colocataires ou propriétaires dans une démarche de matching en direct », explique Jimmy Crombez, fondateur d’Appartoo.com. Une pratique qui se diffuse également dans les métropoles régionales. Le Crous de Paris organise aussi ses coloc dating avant les rentrées universitaires.

L’offre de colocation prospère ainsi sur l’incapacité du secteur immobilier traditionnel à répondre aux évolutions sociales et aux besoins d’une grande diversité de publics. Si la question économique constitue une motivation primordiale pour beaucoup de colocataires, la recherche de lien social s’affirme comme une très forte aspiration. L’idée de partage du logement peut alors incarner un « idéal de vie », se projeter dans de nouvelles formes d’habitat, d’environnements et de territoires. L’essor de la colocation est également corrélé à la complexité des parcours de vie modernes, jalonnés de multiples situations de rupture et de transition : les étudiants quittent le foyer parental, les jeunes actifs démarrent leur vie professionnelle avec de maigres revenus, les adultes traversent une rupture conjugale, vivent une reconversion ou une mobilité professionnelles, les personnes âgées font face au veuvage et aux difficultés de l’isolement. La diversification de ces publics montre que la colocation n’est plus seulement liée à une première prise d’autonomie, mais constitue une pratique résiliente à laquelle on peut recourir à plusieurs étapes de sa vie. 

 

Remerciements à : Marjolaine Bert, présidente de l’association Eko!, pour ses informations sur la colocation écologique, et Jimmy Crombez, fondateur d’Appartoo.com.

1. Insee, recensement de la population 2018.
2. Observatoires 2021 et 2022 de la colocation. Les chiffres du marché de la colocation en France, Locservice.fr
3. Drieux Sylvaine, Martinez Corinne (Insee Île-de-France), Azaroili Nagat, Demonchy Valérie (DRDFE Île-de-France), « Familles monoparentales franciliennes : les femmes toujours en première ligne face aux difficultés », Insee Analyses, n° 29, Insee, mars 2016.
4. Observatoire LocService de la colocation 2022, LocService.fr
5. Emery Stéphanie, La colocation ou l’art de la proximité distante, éditions universitaires de Fribourg, 2005.
6. Le site sera rebaptisé lors de sa mise à jour courant 2023.

La colocation : un statut d’occupation du logement avec peu de données officielles

« Un ménage complexe se définit par rapport aux autres types de ménages. Il s’agit d’un ménage qui n’est pas composé :

  • d’une personne seule dans le logement ;
  • d’une famille monoparentale, c'est-à-dire un ménage composé d’un adulte et d’un ou plusieurs enfants ;
  • d’un couple sans enfant ;
  • d’un couple avec au moins un enfant.

Les ménages complexes, au sens statistique du terme, sont ceux qui comptent plus d’une famille ou plusieurs personnes isolées partageant habituellement le même domicile, ou toute autre combinaison de familles et personnes isolées.
Ces ménages sont qualifiés de complexes dans la mesure où le type de lien (lien de parenté, liens amicaux, etc.) peut être très variable entre les personnes. Ils comportent notamment les ménages au sein desquels cohabitent plusieurs générations, ainsi que les personnes vivant en colocation. Il est difficile de mettre en évidence une configuration type de ces ménages. »

www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1641

La colocation écologique et solidaire : le guide incontournable

Marjolaine Bert et Célie Couché ont réalisé un tour de France en 2016 pour publier le premier guide de la colocation écologique, en partenariat avec le mouvement des Colibris. Ekolok, un des projets portés par l’association EKO!, fondée par Marjolaine Bert, a pour vocation de promouvoir ce nouveau mode d’habiter et de créer un réseau d’échanges entre éco-colocataires. Guide pratique à l’usage de ceux qui souhaitent se lancer, ce petit ouvrage en ligne réunit tous les conseils pour monter le « projet » : repérages des lieux, choix de ses colocataires, mutualisation des ressources et des forces, gouvernance, gestion budgétaire commune, statut juridique de la colocation, etc. Le guide est en outre agrémenté de portraits d’éco-colocations et de leurs habitants, ainsi que de témoignages recueillis à l’occasion de ce tour de France.

La colocation écologique et solidaire. Le petit guide Colibris : Cliquez ici

L’association Eko

Interview

La Carte des colocs, une plate-forme gratuite créée par d’anciens colocataires

Entretien avec Thibaut Ehrhart, responsable communication et marketing de La Carte des colocs
www.lacartedescolocs.fr

Trois amis ont lancé en 2013 La Carte des colocs, un site gratuit d’annonces de colocation basé sur la géolocalisation. Le succès de l’initiative les conduit aujourd’hui à se professionnaliser, à définir un nouveau business model et à élargir leur échelle géographique. En 2023, La Carte des colocs s’étendra à l’international et sera rebaptisée Tipis.com. Cette évolution permettra également d’enrichir l’offre de logement.

Comment La Carte des colocs est-elle née ?

C’était une idée de Raphaël Pflieger qui, de retour d’Australie, s’est mis en quête d’une colocation à Strasbourg. Les sites dédiés étaient tous payants, comme Appartager.com, par exemple, qui a d’ailleurs été racheté par le géant britannique SpareRoom. Raphaël a donc décidé de créer un site gratuit d’annonces de colocation et s’est mis à la programmation en utilisant les dernières technologies liées à la cartographie. Il nous a associés à son projet : Gaëtan Ebmeyer pour la partie commerciale et les partenariats, et moi-même pour la communication et le marketing. Nous n’avons aucune formation de programmeur ou de développeur, mais nous avons tous les trois une expérience de plusieurs années en colocation ! 
La Carte des colocs a été lancée en juin 2013 sur les principes de gratuité, d’innovation avec la géolocalisation, et avec une interface simple axée utilisateur. Il s’agissait de proposer une alternative aux oligopoles du marché, qui nous donnaient une impression de « racket » en profitant de la crise du logement. Ce positionnement nous a valu un certain succès, mais tout a vraiment « explosé » à partir de 2016. Aujourd’hui, nous maintenons une croissance très forte en matière d’audience, mais parvenons à la phase critique du développement qui nous oblige à revoir notre business model.

Quelle est cette évolution du business model ?

Nous sommes aujourd’hui tous les trois salariés de notre société, mais nous avons débuté grâce à une levée de fonds de 45 000 € auprès de nos parents et amis avec le LoveMoney. Nous bénéficions de deux prêts « innovation » garantis de la BPI et espérons réaliser une deuxième levée plus conséquente en 2023, après le lancement de Tipis.com et l’étude des premiers résultats… Le marché est là incontestablement, et nous recherchons un modèle économique rentable et stable à l’échelle européenne. Pour les personnes en quête d’un logement, le site reste bien sûr gratuit. Y compris pour les propriétaires qui y déposent des annonces. Seules les options de mise en visibilité seront payantes. 
Depuis le lancement du site, nous nous appuyons sur la publicité et les partenariats. Il s’agit de continuer à développer ces deux sources de revenu. Nous relayons les annonces de sites concurrents, comme Roomlala.com, par exemple, et sommes rémunérés sur les redirections, ou à l’inscription sur des sites partenaires comme LocService.fr. Le reste vient de la publicité, via les régies classiques comme Google Ads. Ce modèle va être enrichi. De plus en plus de professionnels de l’immobilier postent leurs annonces sur La Carte des colocs et nous sommes même devenus le principal « pourvoyeur » des entreprises de coliving. Même si les loyers sont élevés, le coliving constitue une solution de logement dans certaines configurations. Grâce à des options de mise en visibilité de leurs annonces, nous allons mieux rémunérer la création de valeur que nous apportons à ces professionnels.
Des partenariats vont être consolidés, notamment avec Erasmus Student Network (ESN), puisque notre plate-forme va devenir européenne. Côté institutionnel, nous avons bénéficié du relais des Crous, des écoles de commerce et des universités via leurs pages Facebook. Nous avons aussi remporté un appel d’offres avec la ville de Strasbourg en 2019 pour inciter les Strasbourgeois à mettre à disposition des hébergements provisoires pour les étudiants. Une page spéciale a été intégrée sur La Carte des colocs pour qu’ils puissent y déposer leurs offres. 

Souhaitez-vous toucher de nouveaux publics ?

L’Afev poste beaucoup sur La Carte des colocs, pour des logements à destination de jeunes en difficulté. Mais nous sommes plutôt focalisés sur les tendances de fond du marché, notamment avec ce nouveau phénomène du coliving, investi par les jeunes actifs. Nous n’excluons pas du site les niches plus confidentielles comme les familles monoparentales, l’intergénérationnel, mais elles s’inscrivent davantage dans un cadre associatif. 

Depuis 2013, vous bénéficiez d’un certain recul sur le phénomène de la colocation. Quel constat en faites-vous ? 

Il existe une crise du logement dans les grandes métropoles notamment, et pas qu’en France. Se loger reste très compliqué, surtout pour les étudiants et les jeunes actifs. Encore plus s’ils sont étrangers : ils sont quasiment à la rue, prennent un Airbnb pour une semaine, mais n’ont aucune solution de logement stable. Soit parce qu’ils n’ont pas de garant, soit parce que ce dernier ne correspond pas aux critères des agences immobilières. Les propriétaires restent également très frileux. Nos statistiques montrent que de plus en plus de jeunes actifs optent pour la colocation : ils représentent 50 % de nos utilisateurs, et 45 % sont des étudiants. Cette part des jeunes actifs ne cesse de croître, car les étudiants restent souvent en colocation après leurs études. La motivation n’a pas changé, elle est avant tout économique. Un choix contraint qui est totalement corrélé à la crise du logement et aux faibles salaires obtenus au sortir des études. Aussi, la demande de colocation ne cesse de croître chaque année en France.

Comment le coloving parvient-il à se développer malgré ses loyers élevés ?

En France, la gestion de la colocation reste lourde pour des propriétaires ou des agences : modification des baux, solidaires ou pas, gestion du turnover, etc., ce qui explique qu’elle ne s’implante pas aussi facilement. Les entreprises de coliving ont saisi l’opportunité. Il s’agit d’un dérivé de colocation, avec des chambres indépendantes louées en baux individuels, à la semaine, au mois, avec formule de services all inclusive. C’est l’hyperflexibilité à l’anglo-saxonne liée à l’occupation d’un logement, avec une perspective d’hyper-rentabilité. La demande de logement est telle que ce modèle parvient malgré tout à s’imposer avec des loyers supérieurs de 20 à 30 % par rapport à une colocation standard. Car le coliving offre un « avantage » de poids : ni garant, ni garantie salariale ne sont exigés pour louer une chambre. Une clientèle de jeunes actifs et d’étudiants, français et étrangers, est avant tout attirée par la souplesse du dispositif.

interview

Colocation et engagement écologiques dans le pavillonnaire francilien

Entretien avec Laure, résidente de la colocation écologique du Vieux Poirier, à Gagny (93)
 

La colocation écologique du Vieux Poirier s’est installée il y a dix ans dans un secteur pavillonnaire de Gagny (93). Grâce à une organisation rigoureuse concernant le partage des tâches quotidiennes, la gestion des comptes, les modalités de gouvernance et de prises de décision, la vie communautaire gagne en sérénité.

Quelle a été la genèse de ce projet ? 

Ce projet a été lancé il y a dix ans par un groupe de quatre amis âgés de 25 ans environ. Ils avaient défini un type de logement, qui devait comprendre un jardin et des parties communes assez spacieuses. La recherche s’est effectuée de manière classique par annonces immobilières, sans cibler de territoire particulier, mais en privilégiant des secteurs où les loyers étaient abordables, et en sachant que les « fondateurs » étaient originaires du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis. Cette maison des années 1970, située dans un lotissement pavillonnaire, correspondait à leurs critères, avec quatre chambres principales, et une chambre d’amis au sous-sol, attenante au studio de musique. Actuellement, nous sommes quatre colocataires permanents. La colocation est assez stable, avec un changement tous les deux ans environ. Un seul résident du premier groupe est encore présent. Dans l’idéal, nous souhaitons que les personnes séjournent au moins une année, car cela nous demande beaucoup de temps pour rechercher et intégrer un nouveau colocataire. 

Quels sont les profils des colocataires et comment ont-ils été « sélectionnés » ? 

Nous avons entre 30 et 38 ans. Il y a un jardinier, un intermittent du spectacle, un professeur, une chargée de communication, et je suis moi-même éducatrice spécialisée. Nous avons tous un sens de l’engagement, plus ou moins militant. Pour certains, c’est l’écologie. Nous avons par exemple accueilli beaucoup de participants de la COP21. Pour d’autres, ce sont les questions d’éducation. C’est principalement le réseau amical et militant qui est sollicité lorsque nous recherchons un colocataire, mais aussi les réseaux sociaux spécialisés dans l’économie sociale et solidaire, comme L’Auberge de la Solidarité, ou la page Facebook Eco-colocation. Le Bon Coin propose certes des annonces de colocation, mais elles sont généralistes. Or, notre particularité, c’est un projet écologique assez affirmé. Nous ne pouvons accueillir que des colocataires qui partagent nos aspirations. L’enjeu est également de taille pour le groupe car nous sommes liés par un bail solidaire. Aussi, nous avons créé un « guide méthodologique », avec une liste de questions à poser et points majeurs à discuter. Nous ne « convoquons » pas à la chaîne, mais prenons vraiment le temps de la discussion. 

Quels sont les principes du projet qui sont présentés aux nouveaux arrivants ?

Le projet s’articule autour du jardin cultivé en permaculture et des modes de consommation « vertueux ». Nous menons une réflexion globale sur la sobriété et expérimentons ce qui a le moins d’impact pour la planète. Cela se manifeste, entre autres, dans des actes très concrets : fabriquer de la lessive avec des cendres, acheter des produits zéro déchets, de la seconde main, etc.

Votre bailleur connaît-il votre organisation ? Y adhère-t-il ?

Nous n’avons pas de relations directes avec lui. Il possède un parc immobilier important dans le secteur, géré par une agence. Il nous a juste fait part par courrier de ses remarques sur le jardin, qu’il trouvait trop « potager », pas assez « paysager ». Il faut dire qu’il est paysagiste… L’agence est venue le visiter, mais il n’y a pas eu de suite… En revanche, d’autres propriétaires sont sensibilisés. Nous avons été contactés par une voisine qui partait s’installer en province et souhaitait accueillir une colocation écologique dans sa maison. Et par une autre qui héritait d’une maison et nous demandait si nous étions intéressés pour y emménager.

Comment fonctionne un bail solidaire ?

Nous avons signé un bail collectif, solidaire. Le loyer s’élève à 1 770 € pour une surface totale de 220 m2 (sous-sol compris) et une surface habitable de 110 m2. C’est une raison qui conduit les propriétaires à accueillir favorablement les colocations, car les loyers restent souvent prohibitifs pour des familles. 
Nous faisons un avenant au bail pour chaque colocataire entrant, après un temps d’adaptation réciproque de deux à trois mois. Cet avenant est facturé 600 € par l’agence gestionnaire, qui ne se déplace pourtant pas pour réaliser un état des lieux… sur une règle de calcul de 5,30 € le m2… Nous sommes en train de nous renseigner sur cette règle... Dans une colocation précédente, alors qu’il s’agissait d’une simple reconduction du bail puisque je demeurais dans les lieux, l’agence m’avait demandé de donner mon préavis et avait établi un nouveau bail, comme s’il s’agissait d’une nouvelle location. En facturant l’intégralité de ses honoraires, l’équivalent d’un loyer, divisé par deux après négociation…

Quelle gestion collective avez-vous mise en place ?

Une personne du groupe règle le loyer à l’agence et nous nous arrangeons entre nous. Mais des agences acceptent que chaque colocataire règle sa quote-part. Au quotidien, nous partageons tout, les charges et les courses alimentaires. Nous avons mis en place un système de gestion et chacun s’y attelle à tour de rôle pour une période de deux mois, dans un souci de complète transparence. Pour les courses du quotidien, c’est également à tour de rôle. Toutes les factures sont conservées et les comptes effectués à la fin du mois, avec le logiciel Bonscomptesentreamis.com, qui calcule la répartition directe de tous les frais : qui doit quoi à qui. C’est une gestion rigoureuse, certes, mais nous y tenons. Même les frais générés par l’avenant au bail sont partagés, entre l’arrivant, le partant et les colocataires restants. Nous « cagnottons » aussi avec un virement mensuel de 15 € chacun effectué sur un compte épargne, en prévision des dépenses d’électroménager et de gros entretien de la maison. Nous faisons de même pour la taxe d’habitation. Cette provision permet de lisser les dépenses, d’assurer la régularisation des charges importantes et d’éviter les conflits éventuels. 

Qu’en est-il de la répartition des tâches quotidiennes ?

Elles font aussi partie de l’engagement collectif… Pour l’entretien du jardin, par exemple, même si nous avons un spécialiste, chacun apprend et participe. La cuisine est faite collectivement et nous partageons tous nos repas. Chacun fait son ménage au quotidien et nous nous bloquons deux heures pour un grand nettoyage de fond une fois par mois. Pas de réelle contrainte, c’est plutôt fait dans la joie et la bonne humeur. Ce sont des questions très matérielles et pratiques, mais qui font partie de notre réflexion globale sur le sens du partage et de la communauté. Nous nous accordons sur le fait qu’il ne peut exister de répartition strictement égalitaire des tâches, du fait des emplois du temps et des disponibilités de chacun, etc. Mais nous recherchons toujours la situation la plus juste.

Quel est votre mode de gouvernance, de prise de décision collective ?

Notre groupe a développé une réflexion et des outils pour faciliter la vie en communauté. Nous nous accordons une journée mensuelle pour discuter de toutes les décisions à prendre, des projets à monter : réparation d’envergure dans la maison, fabrication de meubles, amélioration du jardin, etc. Cette journée collective permet aussi de mettre fin à l’illusion du « groupe formé d’individus toujours dispos et motivés au même moment pour faire les choses »… Nous devons restés engagés sur un minimum commun, tout en permettant à certains d’être plus « spécialisés » : gros œuvre, jardin, etc. Une réunion plus légère se tient tous les quinze jours (1 h/1 h 30) pour aborder l’organisation quotidienne : jardin, soins à nos canards, personnes à accueillir, etc. Le rythme peut paraître soutenu, mais cette périodicité nous convient. 
Le regroupement autour de mêmes valeurs ne suffit pas pour assurer la cohésion d’un groupe. Cela peut même constituer un piège : tout ne va pas « fonctionner de fait » parce qu’il existe un socle de valeurs. Il faut que le projet soit soutenu par une organisation clairement définie et un dialogue permanent. C’est une ligne de conduite et une organisation qui peuvent paraître rigides, mais elles permettent de faire les ajustements nécessaires pour préserver l’équilibre du groupe. Tout devient ainsi plus léger… 

Quels sont les apports et les limites du projet ?

Nous nous nourrissons en partie grâce au jardin : nous avons des plantes sauvages comestibles ; un potager : choux, blettes, tomates, courgettes, poivrons, courges, betteraves, petits pois, fèves ; des fruitiers : poires, figues, cassis, groseilles, etc. Un atelier a été aménagé dans le garage, qui nous sert à toutes les réparations dans la maison. Il est également ouvert aux voisins. Nous recevons aussi régulièrement des visiteurs qui viennent demander des conseils sur la permaculture, etc. Cette expérience nous permet d’avoir de multiples échanges.
Les limites de la colocation écologique se trouvent dans la rénovation, la transition énergétique, par exemple. Concernant les travaux d’isolation, nous n’avons pas vraiment le choix des matériaux. On ne peut pas aller très loin dans ce domaine.

Comment la colocation a-t-elle été accueillie localement ? 

« C’est quoi, ces petits jeunes qui vivent en communauté ? » Les voisins, plutôt une population de retraités, n’étaient pas habitués à voir ce genre de « famille »… La fête des voisins a permis de les rassurer. Nous avons pu nous rencontrer, des liens se sont tissés, ainsi que des relations d’entraide. Aujourd’hui, nous avons repris l’initiative, avec deux fêtes annuelles. En revanche, nous connaissons peu les élus, car nous ne nous affichons pas en tant qu’« initiative locale », via une forme associative, par exemple. Mais le maire nous connaît, a participé à notre fête et a pu visiter le jardin. Nous peinons à nous impliquer dans la vie locale par manque de disponibilités, car nous travaillons tous à temps plein. Il faut savoir qu’un projet communautaire, écologique, même à petite échelle, requiert beaucoup d’investissement. 

Avez-vous fait des émules dans votre secteur ? 

Gagny n’a pas vraiment un tissu militant et associatif développé. Mais il semble qu’un mouvement s’opère depuis la crise sanitaire de Paris vers la banlieue, voire la province. Gagny risque donc d’évoluer, à l’image de Pantin et Montreuil, par exemple, qui encouragent les initiatives liées à l’écologie et à la solidarité. Nous sommes en relation avec d’autres colocations écologiques en Île-de-France, que nous rencontrons régulièrement. La Maison bleue (Arcueil), depuis l’article de Kaisen et le portrait de nos deux colocations, la grande colocation de Villeneuve-Saint-Georges, celle de Bobigny. Il est très important d’avoir ce type d’échanges sur des méthodes d’organisation, les bonnes pratiques, etc. La colocation écologique est un terrain expérimental permanent et nous cherchons toujours à avancer dans la réflexion sur la vie en communauté.

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