Votre bailleur connaît-il votre organisation ? Y adhère-t-il ?
Nous n’avons pas de relations directes avec lui. Il possède un parc immobilier important dans le secteur, géré par une agence. Il nous a juste fait part par courrier de ses remarques sur le jardin, qu’il trouvait trop « potager », pas assez « paysager ». Il faut dire qu’il est paysagiste… L’agence est venue le visiter, mais il n’y a pas eu de suite… En revanche, d’autres propriétaires sont sensibilisés. Nous avons été contactés par une voisine qui partait s’installer en province et souhaitait accueillir une colocation écologique dans sa maison. Et par une autre qui héritait d’une maison et nous demandait si nous étions intéressés pour y emménager.
Comment fonctionne un bail solidaire ?
Nous avons signé un bail collectif, solidaire. Le loyer s’élève à 1 770 € pour une surface totale de 220 m2 (sous-sol compris) et une surface habitable de 110 m2. C’est une raison qui conduit les propriétaires à accueillir favorablement les colocations, car les loyers restent souvent prohibitifs pour des familles.
Nous faisons un avenant au bail pour chaque colocataire entrant, après un temps d’adaptation réciproque de deux à trois mois. Cet avenant est facturé 600 € par l’agence gestionnaire, qui ne se déplace pourtant pas pour réaliser un état des lieux… sur une règle de calcul de 5,30 € le m2… Nous sommes en train de nous renseigner sur cette règle... Dans une colocation précédente, alors qu’il s’agissait d’une simple reconduction du bail puisque je demeurais dans les lieux, l’agence m’avait demandé de donner mon préavis et avait établi un nouveau bail, comme s’il s’agissait d’une nouvelle location. En facturant l’intégralité de ses honoraires, l’équivalent d’un loyer, divisé par deux après négociation…
Quelle gestion collective avez-vous mise en place ?
Une personne du groupe règle le loyer à l’agence et nous nous arrangeons entre nous. Mais des agences acceptent que chaque colocataire règle sa quote-part. Au quotidien, nous partageons tout, les charges et les courses alimentaires. Nous avons mis en place un système de gestion et chacun s’y attelle à tour de rôle pour une période de deux mois, dans un souci de complète transparence. Pour les courses du quotidien, c’est également à tour de rôle. Toutes les factures sont conservées et les comptes effectués à la fin du mois, avec le logiciel Bonscomptesentreamis.com, qui calcule la répartition directe de tous les frais : qui doit quoi à qui. C’est une gestion rigoureuse, certes, mais nous y tenons. Même les frais générés par l’avenant au bail sont partagés, entre l’arrivant, le partant et les colocataires restants. Nous « cagnottons » aussi avec un virement mensuel de 15 € chacun effectué sur un compte épargne, en prévision des dépenses d’électroménager et de gros entretien de la maison. Nous faisons de même pour la taxe d’habitation. Cette provision permet de lisser les dépenses, d’assurer la régularisation des charges importantes et d’éviter les conflits éventuels.
Qu’en est-il de la répartition des tâches quotidiennes ?
Elles font aussi partie de l’engagement collectif… Pour l’entretien du jardin, par exemple, même si nous avons un spécialiste, chacun apprend et participe. La cuisine est faite collectivement et nous partageons tous nos repas. Chacun fait son ménage au quotidien et nous nous bloquons deux heures pour un grand nettoyage de fond une fois par mois. Pas de réelle contrainte, c’est plutôt fait dans la joie et la bonne humeur. Ce sont des questions très matérielles et pratiques, mais qui font partie de notre réflexion globale sur le sens du partage et de la communauté. Nous nous accordons sur le fait qu’il ne peut exister de répartition strictement égalitaire des tâches, du fait des emplois du temps et des disponibilités de chacun, etc. Mais nous recherchons toujours la situation la plus juste.
Quel est votre mode de gouvernance, de prise de décision collective ?
Notre groupe a développé une réflexion et des outils pour faciliter la vie en communauté. Nous nous accordons une journée mensuelle pour discuter de toutes les décisions à prendre, des projets à monter : réparation d’envergure dans la maison, fabrication de meubles, amélioration du jardin, etc. Cette journée collective permet aussi de mettre fin à l’illusion du « groupe formé d’individus toujours dispos et motivés au même moment pour faire les choses »… Nous devons restés engagés sur un minimum commun, tout en permettant à certains d’être plus « spécialisés » : gros œuvre, jardin, etc. Une réunion plus légère se tient tous les quinze jours (1 h/1 h 30) pour aborder l’organisation quotidienne : jardin, soins à nos canards, personnes à accueillir, etc. Le rythme peut paraître soutenu, mais cette périodicité nous convient.
Le regroupement autour de mêmes valeurs ne suffit pas pour assurer la cohésion d’un groupe. Cela peut même constituer un piège : tout ne va pas « fonctionner de fait » parce qu’il existe un socle de valeurs. Il faut que le projet soit soutenu par une organisation clairement définie et un dialogue permanent. C’est une ligne de conduite et une organisation qui peuvent paraître rigides, mais elles permettent de faire les ajustements nécessaires pour préserver l’équilibre du groupe. Tout devient ainsi plus léger…
Quels sont les apports et les limites du projet ?
Nous nous nourrissons en partie grâce au jardin : nous avons des plantes sauvages comestibles ; un potager : choux, blettes, tomates, courgettes, poivrons, courges, betteraves, petits pois, fèves ; des fruitiers : poires, figues, cassis, groseilles, etc. Un atelier a été aménagé dans le garage, qui nous sert à toutes les réparations dans la maison. Il est également ouvert aux voisins. Nous recevons aussi régulièrement des visiteurs qui viennent demander des conseils sur la permaculture, etc. Cette expérience nous permet d’avoir de multiples échanges.
Les limites de la colocation écologique se trouvent dans la rénovation, la transition énergétique, par exemple. Concernant les travaux d’isolation, nous n’avons pas vraiment le choix des matériaux. On ne peut pas aller très loin dans ce domaine.
Comment la colocation a-t-elle été accueillie localement ?
« C’est quoi, ces petits jeunes qui vivent en communauté ? » Les voisins, plutôt une population de retraités, n’étaient pas habitués à voir ce genre de « famille »… La fête des voisins a permis de les rassurer. Nous avons pu nous rencontrer, des liens se sont tissés, ainsi que des relations d’entraide. Aujourd’hui, nous avons repris l’initiative, avec deux fêtes annuelles. En revanche, nous connaissons peu les élus, car nous ne nous affichons pas en tant qu’« initiative locale », via une forme associative, par exemple. Mais le maire nous connaît, a participé à notre fête et a pu visiter le jardin. Nous peinons à nous impliquer dans la vie locale par manque de disponibilités, car nous travaillons tous à temps plein. Il faut savoir qu’un projet communautaire, écologique, même à petite échelle, requiert beaucoup d’investissement.
Avez-vous fait des émules dans votre secteur ?
Gagny n’a pas vraiment un tissu militant et associatif développé. Mais il semble qu’un mouvement s’opère depuis la crise sanitaire de Paris vers la banlieue, voire la province. Gagny risque donc d’évoluer, à l’image de Pantin et Montreuil, par exemple, qui encouragent les initiatives liées à l’écologie et à la solidarité. Nous sommes en relation avec d’autres colocations écologiques en Île-de-France, que nous rencontrons régulièrement. La Maison bleue (Arcueil), depuis l’article de Kaisen et le portrait de nos deux colocations, la grande colocation de Villeneuve-Saint-Georges, celle de Bobigny. Il est très important d’avoir ce type d’échanges sur des méthodes d’organisation, les bonnes pratiques, etc. La colocation écologique est un terrain expérimental permanent et nous cherchons toujours à avancer dans la réflexion sur la vie en communauté.