D'une crise à l'autre, une décennie de croissance de l'emploi en Île-de-France

Les Franciliens - Territoires et modes de vie   Sommaire

06 mai 2021ContactDelphine Brajon, Renaud Roger

L’apparition de la Covid-19 et ses conséquences économiques marquent l’arrêt d’une décennie de croissance de l’emploi. La région Île-de-France s’est très largement inscrite dans le phénomène de métropolisation observé dans les économies avancées avec une polarisation de la croissance de l’emploi au cœur du territoire.

L’Île-de-France est de loin la région française la plus dense en emploi. Fin 2019, elle comptait 6,5 millions d’emplois, soit 23 % du total national, une proportion assez stable depuis plus de trente ans. Entre fin 2006 et fin 2019, soit le cycle économique incluant l’épisode récessif de 2009, la croissance moyenne de l’emploi francilien a été de +45 000 emplois par an. L’Île-de-France est ressortie plus forte de la crise de 2009, concentrant ainsi 31 % des gains d’emplois en France depuis 2010, deux fois plus que les deux précédentes décennies. 

Chiffres clés

31 %

part de l’Île-de-France dans la croissance de l’emploi français depuis 2010 

45 000

emplois/an créés en Île-de-France entre 2007 et 2019

8 %

taux de chômage moyen en Île-de-France entre 2007 et 2019

500 000 emplois supplémentaires en Île-de-France ces dix dernières années

La croissance du nombre d’emplois place donc l’Île-de-France en tête des régions françaises, devant Auvergne-Rhône-Alpes qui affiche un rythme de +22 000 emplois par an sur la même période. Cependant, si le taux de création d’emplois* annuel francilien est supérieur à la moyenne française (+0,7 % contre +0,5 % à l’échelle nationale), les régions Occitanie (+0,9 %) et Pays de la Loire (+0,8 %) apparaissent plus dynamiques. Toutefois, le volume de création d’emplois de ces dernières est deux à quatre fois moins important que celui de l’Île-de-France (respectivement +20 000 et +12 000 emplois par an). 

De plus, cette croissance de l’emploi est allée de pair avec une croissance démographique soutenue sur la dernière décennie (+5 %). Entre 2006 et 2016, 280 000 personnes supplémentaires sont ainsi arrivées sur le marché du travail en Île-de-France. Cette hausse traduit aussi, globalement, celle de l’activité des personnes en âge de travailler, avec des différences selon l’âge : le taux d’activité des plus de 55 ans augmente avec le recul de l’âge à la retraite, mais celui des plus jeunes (moins de 25 ans) tend à diminuer. 

Concernant le taux de chômage, son évolution est intrinsèquement liée aux dynamiques de création d’emplois avec, néanmoins, des effets de décalage. Ainsi, son mouvement de baisse s’amorce véritablement à partir de 2015, année qui coïncide avec le retour du niveau d’emploi salarié de 2007. Avant cette date, c’est surtout l’essor de l’emploi non salarié qui porte la croissance de l’emploi total. Sur une longue période, l’évolution du taux de chômage francilien est proche du taux national. Si le taux francilien est structurellement inférieur au taux national (d’un point), l’écart tend à se resserrer en haut de cycle économique. A contrario, pendant la crise de 2009, et les quelques années qui ont suivi, l’Île-de-France résiste mieux et s’affirme comme l’une des régions où le taux de chômage est le plus faible.

Une polarisation spatiale croissante des gains d’emplois

La dynamique régionale revêt des réalités très différenciées à l’échelle des territoires franciliens. La structure du tissu économique et les moteurs du développement économique varient fortement entre l’espace rural, les territoires de villes petites et moyennes [1] et l’agglomération parisienne*. Au sein même de cette dernière, des disparités apparaissent également en fonction de spécificités sectorielles ou fonctionnelles. Les différentes polarités interagissent et fonctionnent en réseaux, mais s’inscrivent sur des trajectoires hétérogènes. La zone d’emploi (ZE)* est l’échelon géographique le plus intéressant pour appréhender ces dynamiques locales à l’intérieur de la région. 

L’Île-de-France compte 15 zones d’emploi selon la dernière refonte opérée par l’Insee en 2020. 
Parmi elles, six sont situées en dehors de l’agglomération parisienne (cf. carte), à savoir Coulommiers, Étampes, Fontainebleau, Meaux, Provins et Rambouillet. Ces zones d’emploi, caractérisées par des espaces ruraux importants et la présence de villes petites et moyennes, représentent une part réduite des emplois régionaux (4 %). Dans le cycle économique 2006-2017, elles ont accueilli moins de 1 % de la croissance de l’emploi régional, et ont été affectées comme toutes les autres zones d’emploi par la crise de 2009. Mais ces territoires sont ceux qui ont mis le plus de temps à retrouver une trajectoire de croissance. Les zones d’emploi de l’agglomération parisienne, hors zone d’emploi de Paris, affichent des trajectoires contrastées, reflets des spécificités économiques propres à chacune. Les zones de Marne-la-Vallée et Évry enregistrent des performances supérieures à la moyenne régionale entre 2006 et 2017, avec des taux de création d’emploi de 10 % et 7 %, contre 6 % à l’échelle régionale. Les zones d’emploi de Melun (taux de création de 5 %), Seine-Yvelinoise (3,5 %) et Saclay (2 %) s’inscrivent quant à elles plutôt dans la dynamique régionale. En revanche, les zones d’emploi de Versailles-Saint-Quentin, Roissy et Cergy-Vexin n’ont pas retrouvé leur niveau d’emploi d’avant crise.

La zone d’emploi de Paris, dont le périmètre épouse celui de la Métropole du Grand Paris, concentre plus de deux tiers de l’emploi régional (68 %). Cette polarisation, aussi ancienne que l’urbanisation de la région elle-même, s’est toutefois singulièrement amplifiée. Alors qu’entre 1998 et 2007, elle capte 65 % de la croissance régionale de l’emploi lors des cycles de croissance, cette part atteint 77 % entre 2010 et 2017. Ce territoire, qui avait été durement touché par la récession du début des années 2000, a beaucoup mieux traversé celle de 2009 et a rebondi plus rapidement que les autres zones d’emploi. La croissance économique et la concentration spatiale des activités ressortent ainsi comme deux phénomènes qui se nourrissent l’un et l’autre, et caractérisent le processus de métropolisation à l’œuvre jusqu’au déclenchement de la crise de la Covid-19. Paris intra-muros, qui accueille 32 % de l’emploi régional, a ainsi encore enregistré une progression de plus de 100 000 emplois entre 2006 et 2017, trajectoire qui s’est accélérée jusqu’à la crise sanitaire (+80 000 emplois entre fin 2017 et fin 2019 selon le fichier Estel). Les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne ont conservé leur dynamisme de long terme, captant respectivement 25 % et 9 % de la croissance de l’emploi régional entre 2006 e 2017. De son côté, la Seine-Saint-Denis récolte les fruits des transformations en cours et concentre 26 % des gains d’emplois franciliens entre 2006 et 2017, contre 15 % sur la période 1998-2006.

Population active et emplois : une localisation pas forcément corrélée

L’emploi se révèle plus concentré géographiquement que la population et dessine une région avec une diversité de configurations territoriales. Cette mise en regard des emplois présents sur un territoire avec la population résidente active permet de mesurer des taux d’emploi* qui rendent compte des spécialisations fonctionnelles des territoires, mais peuvent masquer des désajustements possibles entre les types d’emplois offerts et les profils des actifs résidents. Les configurations territoriales sont très diverses avec des taux d’emploi sensiblement plus élevés en cœur de métropole. Les évolutions attestent alors, dans la plupart des cas, des inadéquations entre les évolutions économiques et démographiques. 
Les zones d’emploi en dehors de l’agglomération parisienne affichent les taux d’emploi les plus faibles de la région : entre deux et trois emplois sur leur territoire pour quatre actifs résidents. Pour un certain nombre d’entre elles, ce profil résidentiel s’est encore renforcé depuis dix ans avec une croissance démographique supérieure à la moyenne régionale, à l’instar de Coulommiers, Étampes et Meaux. Ce faisant, moins de 40 % des actifs de ces zones y travaillent, soit les parts les plus faibles observées dans la région, avec la zone d’emploi de Rambouillet.
À l’opposé, l’hyperpolarité de la zone d’emploi de Paris s’intensifie avec un taux d’emploi déjà supérieur à 1 et qui tend à augmenter. La croissance de l’emploi est significativement plus forte que celle de la population active, qui elle, évolue dans les mêmes proportions que la tendance régionale. Des disparités sont toutefois à noter au sein de ce vaste territoire. Si dans le Val-de-Marne, emplois et population active résidente augmentent au rythme régional, les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis voient leur nombre d’emplois augmenter pratiquement deux fois plus rapidement que celui de leurs actifs résidents. Ce renforcement économique à l’échelle départementale ne s’accompagne pas nécessairement d’une meilleure adéquation emploi-actif résident. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, département le plus dynamique en termes de créations d’emploi sur la période (+1,6% par an), la moitié des emplois sont occupés par des non-résidents, tandis que le taux de chômage des Séquano-Dionysiens est structurellement très élevé [2]. Paris intra-muros connaît une situation particulière marquée par une quasi-stagnation de sa population active alors que l’emploi y augmente.

Exception faite de Versailles-Saint-Quentin, dont le taux d’emploi est aussi supérieur à 1, les autres zones d’emploi de l’agglomération accueillent entre trois et quatre emplois pour quatre actifs, soit un taux d'emploi proche de 1. Toutefois, là encore, moins de la moitié des actifs travaillent et résident au sein de leur zone d’emploi. Ces territoires, qui ressortent comme équilibrés à travers ce prisme habitat-emplois, ont connu une croissance plus forte de leur population en comparaison avec la moyenne régionale. Surtout, un lien ressort, celui entre dynamisme démographique et dynamisme de l’emploi.

Dans l’ensemble, le taux de chômage et son évolution sont indépendants du taux d’emploi initial et des trajectoires de croissance de l’emploi des zones d’emplois. Ceci met en évidence un appariement sur le marché du travail qui s’opère à l’échelle de la région et déborde largement du simple périmètre de ces territoires. L’ajustement entre lieu de résidence et lieu d’emploi se fait par l’amplitude plus ou moins forte des navettes domicile-travail qui renvoie aux arbitrages des ménages et à leur stratégie de localisation. Il conviendra de suivre avec attention les possibles évolutions de ces comportements résidentiels nés de la crise que nous traversons, avec le développement du télétravail notamment.

Delphine Brajon

Statisticienne de formation, Delphine travaille sur les questions d’emplois et développe notamment l’outil de modélisation territoriale de projections d’emplois. Elle collabore également à l’enquête de L’Institut Paris Region sur les comportements des Franciliens. Ses travaux récents portent sur le commerce en ligne, le télétravail, les filières santé et agro-alimentaire.

Renaud Roger

Diplômé de l’Institut français d’urbanisme et titulaire d’un DEA d’économie, Renaud est chargé d’études au département Économie de L’Institut Paris Region depuis 2012. Son expertise porte sur les marchés de l’immobilier d’entreprise et les projections localisées d’emploi.

Sources

Estimations d’emploi localisées (Estel)

Si les données de population et des actifs sont issues de l’exploitation principale du recensement de population, les données d’emploi et de taux de chômage proviennent du dispositif Estel.
La source Estel qui fournit des estimations localisées d’emploi sur longue période et est toujours privilégiée lorsqu’elle est disponible par rapport au recensement, prend en compte la multi-activité et mesure l'emploi de telle façon à entreprendre des comparaisons internationales (Bureau international du travail/BIT). L'emploi est mesuré sur la dernière semaine de l'année et tout emploi déclaré est comptabilisé.
Estel combine plusieurs sources administratives : déclarations sociales réalisées par les employeurs (DSN qui remplacent les déclarations annuelles de données sociales unifiées/DADS) portant sur les salariés du privé, données des fichiers de paie de l’État (FiPE), les salariés des particuliers employeurs ; Mutualité sociale agricole (MSA) pour les affiliés au régime agricole et les fichiers de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) pour les autres. 
Estel permet de disposer pour chaque année de la double localisation au lieu de résidence et au lieu de travail pour les salariés, et d'informations sur le sexe et la tranche d'âge quinquennale des travailleurs salariés et non salariés.

Taux de chômage localisés

Produits par l’Insee, ils synthétisent les informations de l’enquête Emploi en continu et celles du Pôle emploi sur les demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM).

 

Méthode et définitions

L'agglomération parisienne correspond à l'unité urbaine de Paris. Basée sur la continuité du bâti, elle regroupe 429 communes (définition Insee).

Zone d’emploi (découpage Insee 2020) : une zone d'emploi est un espace géographique à l'intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l'essentiel de la main-d'œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts. Ce découpage est adapté pour l’étude du marché du travail.

Taux de création d’emploi : rapport entre la moyenne des emplois créés (ou détruits) chaque année et l’ensemble des moyennes entre années consécutives deux à deux sur la période étudiée. 

Taux d’emploi : rapport entre le nombre d’emplois localisés sur un territoire et le nombre d’actifs (occupés + chômeurs) qui y résident (15-64 ans). Cet indicateur permet ainsi d'informer sur l’attractivité du territoire. Par exemple, lorsqu’il est inférieur à 1, le nombre d’emplois sur le territoire est inférieur au nombre de résidents actifs (ayant un emploi et chômeurs), un territoire qualifié de résidentiel.

Bibliographie

[1] Le Goff Tanguy, Villes des franges de l’agglomération parisienne. « Être plus qu'une simple campagne à Paris », L'Institut Paris Region, juin 2019.

[2] Chevrot Joseph, Khelladi Issam, Omont Laure, Wolber Odile (Insee), Bikun Bi Nkott Frank, Fourré Clémentine, Oudin Benoît (conseil départemental de la Seine-Saint-Denis), « La Seine-Saint-Denis : entre dynamisme économique et difficultés sociales persistantes », Insee Analyses Île-de-France, n°114, Insee, février 2020.

Fauret Camille, Lebeaupin François, « Les nouvelles zones d’emploi franciliennes : principalement métropolitaines ou résidentielles », Insee Analyses Île-de-France, n°120, Insee, septembre 2020.

Coline Bouvart, Vincent Donne, Taux de chômage et zones d’emploi : vers une nouvelle approche de la performance territoriale ? France Stratégie, juillet 2020

Arnoult Émilie, « Migration résidentielle et croissance locale de l’emploi : une analyse des zones d’emploi de France métropolitaine », Revue économique, Presses de Sciences Po, vol. 71, 2020.

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