Les familles monoparentales et les hommes seuls sont les plus exposés à la pauvreté
En 2017, en Île-de-France, 786 250 foyers allocataires des caisses d’allocations familiales vivent sous le seuil de pauvreté, regroupant 1 788 400 personnes, dont 743 570 jeunes de moins de 20 ans (soit 42 %). La précarité financière touche 17 % des Franciliens de moins de 65 ans et 24 % des moins de 20 ans.
Les familles monoparentales et les allocataires vivant seuls sont les plus vulnérables : 35 % des familles monoparentales sont à bas revenus ; parmi les personnes seules de moins de 65 ans, 31 % sont des hommes et 20 % des femmes. Les couples avec des enfants sont d’autant plus exposés que le nombre d’enfants est élevé : 10 % des couples avec un ou deux enfants sont pauvres, 22 % des couples qui ont trois enfants ou plus.
La pauvreté concentrée dans le cœur de l’agglomération
La pauvreté est particulièrement marquée en Seine-Saint-Denis où 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, bien au-delà des niveaux atteint par le Val-d’Oise (20 %) et le Val-de-Marne (18 %), plus proches de la moyenne régionale (17 %). À l’inverse, les trois départements les plus aisés de la région – Paris, les Hauts-de-Seine et les Yvelines – sont beaucoup moins touchés.
Ce constat vaut aussi pour les jeunes. En Seine-Saint-Denis, 40 % des moins de 20 ans vivent dans des foyers à bas revenus, soit 2,5 fois plus que dans les Yvelines.
L’analyse communale atteste d’une pauvreté plus aigüe dans le cœur de l’agglomération. Elle est très élevée en banlieue nord, où elle dépasse 20 % des personnes de moins de 65 ans dans 33 des 40 communes de la Seine-Saint-Denis. C’est également le cas dans la plupart des communes attenantes du Val-d’Oise et du nord des Hauts-de-Seine, telles Garges-lès-Gonesse (37 %), Argenteuil (28 %), Gennevilliers (29 %) ou Villeneuve-la-Garenne (26 %). Elle s’étend aussi au sud-ouest du Val-de-Marne, avec des taux très élevés à Villeneuve-Saint-Georges (35 %) et Valenton (30 %).
En grande couronne, elle est prégnante dans les communes qui relèvent de la politique de la ville où le parc social est important, comme à Grigny (41 %), et plus généralement le secteur d’Évry, de Melun et à Montereau-Fault-Yonne (45 %), soit l’un des taux les plus élevés de la région, ou encore à Mantes-la-Jolie (33 %). Elle est nettement plus faible en zone rurale, où elle tend à se concentrer dans les villes structurantes comme Provins (33 %), La Ferté-Gaucher (27 %) ou encore Nemours (27 %) dotées d’un parc social et d’un parc privé dégradé plus importants.
Le halo de la précarité
Tous les allocataires de la CAF ne touchent pas les minima sociaux et ne sont donc pas « pauvres ». C’est notamment le cas d’une grande partie des familles percevant les prestations familiales. Au-delà de la pauvreté, d’autres indicateurs étayent la notion de précarité monétaire telles que la fragilité économique ou encore, la dépendance aux prestations. La fragilité économique concerne les allocataires qui basculeraient dans le champ des allocataires à bas revenus en l’absence de prestations sociales. La dépendance aux prestations se mesure par le poids des prestations sociales versées dans les ressources des allocataires.
En 2017, sans prendre en compte les aides de l’État, la région compterait 275 070 foyers allocataires à bas revenus supplémentaires, soit 36 % de plus. Ces ménages fragiles sont plus souvent des familles avec enfants (63 %) que les foyers à bas revenus (47 %). La différence porte surtout sur les familles nombreuses : les couples avec au moins 3 enfants constituent 20 % de ces ménages fragiles contre 9 % des ménages à bas revenus. Ce constat atteste du rôle très important joué par les prestations familiales dans le soutien des familles aux revenus très modestes. A contrario, les personnes seules (34 %) sont moins fréquentes qu’au sein des foyers à bas revenus (48 %). Géographiquement, on retrouve, comme pour les foyers à bas revenus, une très forte surreprésentation des adultes isolés à Paris et, dans une moindre mesure, dans les Hauts-de-Seine. On note également une présence importante de familles avec enfants en Seine-Saint-Denis et en grande couronne.
Au regard de la dépendance aux prestations sociales, 500 200 foyers à bas revenus franciliens et 61 300 ménages fragiles ont des ressources composées à plus de 50 % des aides de l’État, soit 64 % des premiers et 22 % des seconds. La dépendance aux prestations est particulièrement prégnante parmi les allocataires à bas revenus : ces aides constituent la totalité des ressources pour 20 % d’entre eux, et au moins les trois quarts des ressources pour la moitié des foyers à bas revenus. Ce sont les familles monoparentales et les personnes seules, essentiellement à bas revenus, qui dépendent le plus des prestations sociales. Les aides de la CAF dépassent la moitié des ressources de près du quart des premières (24 %) et de 22 % des secondes.
Entre 2013 et 2017, un appauvrissement marqué dans les territoires les plus défavorisés
Entre 2013 et 2017, le nombre de personnes vivant dans un foyer à bas revenus a augmenté de 158 880 (+9,8 %) et les moins de 20 ans de 49 110 (+7,1 %). Une partie de cette hausse est « artificielle » puisqu’elle découle d’un meilleur repérage des jeunes en situation précaire grâce à la mise en place de la prime d’activité en 2016 (voir encadré).
Entre 2013 et 2015, année précédant la mise en place de la prime d’activité, le nombre de personnes vivant dans un foyer à bas revenus augmente de 101 850 puis de 57 030 personnes entre 2015 et 2017. Sur 160 800 allocataires nouvellement entrés en 2016, 130 000 ont intégré le système des CAF pour le bénéfice de la prime d’activité. Parmi les nouveaux allocataires concernés par cette prestation, 61 200 sont à bas revenus et 17 000 sont considérés comme étant des allocataires fragiles. La montée en charge de la prime d’activité s’est poursuivie en 2017 avec 90 000 nouveaux allocataires, dont 46 750 à bas revenus et 10 900 fragiles. Fin 2017, 403 600 allocataires perçoivent la prime d’activité, 135 000 ne touchent que la prime d’activité et parmi ces derniers, 53 620 sont à bas revenus. Autrement dit, si la hausse des foyers à bas revenus entre 2015 et 2017 repose majoritairement sur la mise en place de la prime d’activité, la progression du nombre d’allocataires à bas revenus sur la période 2013-2017 est bien réelle, elle atteint 3 % l’an en moyenne entre 2013 et 2015.
Géographiquement, la hausse a été maximale en Seine-Saint-Denis (+32 440 personnes à bas revenus entre 2013 et 2017), significative dans le Val-de-Marne, l’Essonne et le Val-d’Oise (à plus de 19 000). Ces quatre départements rassemblent les trois quarts de la progression des foyers pauvres en Île-de-France. La pauvreté s’est ainsi accentuée dans les départements où elle était la plus élevée, et s’étend notablement en Essonne. Le même schéma d’évolution vaut pour les moins de 20 ans. Les quatre départements précités accueillent 86 % de ces nouveaux enfants pauvres. À l’encontre de cette tendance, le nombre des moins de 20 ans vivant sous le seuil de bas revenus a baissé à Paris. L’évolution de la pauvreté dans les Hauts-de-Seine et la Seine-et-Marne est plus faible qu’en moyenne dans la région, et à peine plus élevée dans les Yvelines.
Les plus fortes évolutions de la population relevant des foyers allocataires à bas revenus se situent dans des communes modestes. Aubervilliers compte 3 900 personnes à bas revenus supplémentaires entre 2013 et 2017, et Argenteuil, 3 300 de plus. Les croissances relatives sont particulièrement fortes dans une diagonale qui relie Villiers-le-Bel et Goussainville dans le Val-d’Oise, d’une part, à Montfermeil et Neuilly-sur-Marne, à l’est de la Seine-Saint-Denis, d’autre part, témoignant d’une extension des territoires très pauvres en banlieue nord, dans des secteurs plus éloignés de Paris. On observe aussi des progressions relatives élevées au sud du Val-de-Marne (Choisy-le-Roi, Villeneuve-Saint-Georges, Ablon, Villecresnes) et dans le secteur d’Evry (Ris-Orangis, Viry-Châtillon, Fleury-Mérogis) dans des communes déjà touchées par la précarité.
À l’opposé, des territoires centraux, en voie de gentrification, voient leur nombre d’allocataires à bas revenus baisser. C’est le cas du quart nord-est de Paris, où les 10e, 11e, 18e, 19e et 20e enregistrent 5 000 allocataires à bas revenus de moins qu’en 2013. Ces arrondissements sont de plus en plus valorisés par les ménages aisés, ce qui se traduit par l’éviction de ménages plus modestes du parc locatif privé qui disparait en partie lors d’opération d’acquisition-rénovation en propriété ou à échéance des dispositifs favorisant leur production tels les lois Duflot et Pinel. Les mises en location type Airbnb viennent aussi puiser dans le parc privé locatif disponible. À Saint-Ouen et Clichy, le nombre d’allocataires à bas revenus continue de progresser dans les quartiers pauvres, mais à l’échelle de la commune, la pauvreté recule en proportion, en raison de la livraison de programmes de logements importants accueillant des populations plus aisées.
Ces événements qui font basculer dans la pauvreté
L’évolution de la pauvreté est fortement liée à la conjoncture économique et à l’exposition au chômage. D’autres éléments relevant de la sphère familiale peuvent aussi faire basculer dans la pauvreté. C’est notamment le cas des séparations. Les allocataires ayant déclaré une séparation entre 2013 et 2017 ont subi le plus souvent une dégradation importante de leur niveau de vie. Certains sont passés d’un niveau de confort économique à la zone de fragilité économique, d’autres sont entrés dans la zone des bas revenus : 24 % des allocataires ayant déclaré une séparation entre 2013 et 2017, ont franchi le seuil des bas revenus et 12 % vivent une situation de fragilité économique. Cette précarité s’accompagne d’une dépendance aux prestations élevée.
À l’inverse, la mise en couple permet aux allocataires préalablement isolés de sortir de la zone de précarité économique (une fois sur quatre) et de moins dépendre des prestations.
Le départ d’un enfant améliore aussi la situation financière des foyers allocataires. Globalement, 43 % des allocataires ayant déclaré le départ d’un enfant sortent de la zone des bas revenus. Le niveau de dépendance aux prestations, en revanche, s’infléchit moins que dans le cas des mises en couple, se situant toujours parmi les tranches les plus élevées.
Enfin, la naissance d’un enfant, ou la mise en couple jumelée à une naissance, n’influent pas significativement sur le niveau de pauvreté et le niveau de dépendance aux prestations. L’allocataire reste le plus souvent dans sa situation économique d’origine, le versement des prestations sociales ne changeant rien à la situation financière antérieure du foyer au regard de l’augmentation du nombre d’ayants droits.
Depuis sa mise en place en 2016, la prime d’activité a permis de mieux appréhender la précarité des jeunes et a donc concouru à la hausse du nombre de foyers à bas revenus de la CAF, du moins dans sa période de montée en charge. En revanche, l’amélioration de la situation de l’emploi depuis 2016, et qui perdure jusqu’à fin 2019, a eu plutôt l’effet inverse. Ainsi, fin 2018, l’Île-de-France compte 17 000 allocataires à bas revenus de moins que fin 2017, mais ce nombre augmente légèrement en 2019, avec + 2 000 allocataires. Finalement, à la fin de l’année 2019, le nombre de foyers allocataires à bas revenus (771 300) et le nombre de Franciliens vivant dans ce type de foyer (1 785 000) est un peu en deçà de son niveau de 2017. Toutefois, la pandémie de 2020 et ses conséquences négatives sur le marché du travail changent totalement la donne. Selon une étude de la Drees, le nombre d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) a fortement augmenté depuis le début de la crise sanitaire (+ 8,5 % entre octobre 2019 et octobre 2020). Ces chiffres ne couvrant pas le deuxième confinement, il faudra attendre la disponibilité des données pour avoir une vue d’ensemble des effets de la pandémie à l’échelle nationale et régionale.