L'espace social francilien à la croisée des origines et positions professionnelles

Les Franciliens - Territoires et modes de vie   Sommaire

01 juillet 2021ContactMariette Sagot

Entre 1999 et 2017, les contrastes se sont accentués entre secteurs aisés du centre-ouest francilien, où la présence des cadres se renforce, et les secteurs modestes, où celle des ménages immigrés (hormis les cadres) s’intensifie. La valorisation du centre métropolitain par les cadres (natifs* et immigrés mêlés), doublée d’un recul du parc locatif privé à Paris, contribuent à y réduire la présence des ménages les plus modestes. Les classes moyennes et modestes françaises de naissance accèdent à la propriété de plus en plus loin du cœur de la métropole. La concentration des ménages immigrés, qui s’était accentuée entre 1999 et 2006, s’est stabilisée sur la période 2006-2017.

La segmentation sociale du territoire francilien s’appréhende généralement via les positions sociales ou le revenu des populations résidentes. Ces deux modalités conditionnent l’accessibilité des différents territoires, compte tenu de la forte hiérarchisation des marchés immobiliers (locatifs et de l’accession). Traitée séparément, la question de l’origine* (via la nationalité et le pays de naissance) est le plus souvent abordée sous le prisme de la ségrégation des immigrés et des regroupements plus ou moins accentués de ces populations selon leurs origines nationales. Dans une région où 24 % des ménages ont une personne de référence immigrée, et où il a été maintes fois souligné que les territoires les plus défavorisés sont aussi ceux qui concentrent beaucoup de population immigrée, le croisement de ces deux dimensions – position professionnelle et origine immigrée – permet d’éclairer sous un angle nouveau les logiques qui président à l’organisation socio-spatiale du territoire francilien (cf. encadré « Typologie des communes » et carte « Géographie sociale »). 

Chiffres clés

24 %

Part des ménages dont la personne de référence est immigrée* en Île-de-France

3,7 fois +

Les ménages ouvriers immigrés sont 3,7 fois plus concentrés en Île-de-France que les ménages français de naissance exerçant une profession intermédiaire

14 %

Part des immigrés parmi les personnes de référence cadres
 

La question de l’origine n’est pas soluble dans celle des positions sociales

Appréhender la géographie sociale en gommant l’origine revient à considérer que la localisation des immigrés reflète avant tout leur position sociale. Qu’en est-il en Île-de-France ? En 2017, en reclassant les retraités selon leur ancienne catégorie professionnelle, 54 % des ménages immigrés ont une personne de référence relevant des catégories « ouvriers » ou « employés », davantage que les Français de naissance, les « natifs » (34 %). Et inversement, 31 % exercent ou ont exercé un métier de cadre ou une profession intermédiaire, contre 55 % pour les natifs.

En dépit du fort recul des ouvriers et de la progression régulière des cadres et des professions intermédiaires parmi les immigrés, depuis le début des années 1990, seulement 14 % des personnes de référence cadres et 16 % des professions intermédiaires sont immigrées en 2017 en Île-de-France, contre 43 % des ménages ouvriers, pour une moyenne de 24 % de ménages immigrés en Île-de-France. Cette structure socioprofessionnelle très modeste n’explique pourtant que faiblement la spécificité de la géographie résidentielle des ménages d’immigrés. En 2017, il faudrait que 22 % d’entre eux changent de lieux de résidence pour qu’ils se repartissent entre les communes franciliennes de la même façon que les ménages français de naissance (ou l’inverse). Mais si les ménages immigrés, pour chacune des catégories sociales, partageaient les mêmes lieux de résidence que les autres ménages, c’est seulement 6 % des ménages immigrés qui « devraient » déménager pour se répartir comme les Français de naissance. La différence de composition sociale n’explique donc que faiblement, à hauteur de 29 %, leur concentration relative par rapport à l’ensemble des natifs.

La littérature scientifique souligne l’intrication de nombreux facteurs conduisant à la concentration des populations d’origine étrangère [1], où s’entremêlent : les traces de l’industrie passée, forte demandeuse de travailleurs étrangers logeant à proximité ; les effets des politiques urbaines et de logement – avec notamment la construction des ZUP dans les années 1960, puis les politiques d’aide à l’accession qui ont permis à nombre de classes moyennes du parc social de le quitter quand le regroupement familial rendait accessible le parc social aux ménages immigrés ; les préférences individuelles comme la recherche de l’entre-soi et de la solidarité des uns, renforcées par les logiques d’évitement des autres, notamment des quartiers où la part des enfants immigrés dans les établissements scolaires est très élevée ; le jeu du marché de l’immobilier, qui rend une partie croissante du territoire inaccessible aux plus modestes et aux classes moyennes ; les discriminations à l’entrée dans des logements selon l’origine ou les politiques d’attribution différenciées dans les logements HLM selon leur localisation.

La recherche de solidarité communautaire, souvent dénoncée, doit être relativisée. Si des logiques de rapprochement avec des personnes dont on partage les pratiques et les modes de vie, dont on recherche l’appui pour s’insérer sur le marché du travail ou pour développer des activités économiques sont à l’œuvre, elles n’expliquent ni l’extrême variété des origines dans les secteurs dévalorisés de la région, qui renvoie davantage à la conséquence de mécanismes d’évitement et d’exclusion du reste du territoire, ni l’éventail des degrés de regroupement selon l’origine nationale. La concentration des ménages immigrés s’est accentuée en Île-de-France entre 1999 et 2006, mais se stabilise depuis, avec des indices de ségrégation* respectivement de 20,0 % en 1999, 22,0 % en 2006 et 21,8 % en 2017.

L’origine étrangère et la catégorie modeste, facteurs cumulatifs de relégation sociale

Les ménages les plus ségrégés sur le territoire régional, en référence à l’ensemble des ménages franciliens, sont les ouvriers immigrés et les inactifs immigrés non retraités (jeunes et personnes en âge d’activité inactives). À l’opposé, les moins concentrés, sont les ménages français de naissance relevant des catégories professions intermédiaires ou employés. L’indice de ségrégation des ménages ouvriers immigrés est ainsi 3,7 fois plus élevé que celui des ménages natifs exerçant une profession  intermédiaire (30 % contre 8 %). Les cadres immigrés ont un indice (20 %) proche de celui des cadres natifs (21 %), et il en va de même pour les artisans, commerçants et chefs d’entreprise de moins de dix salariés. Pour les autres catégories socioprofessionnelles, la concentration des ménages immigrés est nettement plus forte que celle des ménages natifs.

Les cadres et les ouvriers, des territoires de vie dissociés

Une comparaison des catégories de ménages deux par deux, croisant position sociale et origine, montre que les territoires qui s’excluent le plus sont ceux des cadres et ceux des ouvriers, et plus encore des cadres natifs et des ouvriers immigrés (49 % des premiers devraient déménager pour se répartir entre les différentes communes comme les seconds, ou inversement). Les cadres sont fortement surreprésentés à Paris et dans les Hauts-de-Seine. À l’inverse, les ouvriers d’origine étrangère sont fortement présents en Seine-Saint-Denis, quand les ouvriers natifs résident davantage en grande couronne et notamment en Seine-et-Marne. Pour les premiers, la présence de logements locatifs bon marché, et pour les seconds la possibilité d’accéder à la propriété au prix d’un éloignement du centre sous-tendent des logiques résidentielles différentes. S’y ajoutent aussi la distanciation entre ouvriers immigrés et indépendants natifs (artisans, commerçants, chefs d’entreprise de moins de dix salariés) peu présents en Seine-Saint-Denis.

À l’opposé, la proximité des lieux de résidence se fait le plus souvent au sein de l’univers des natifs ou de celui des immigrés. Chez les natifs comme chez les immigrés, les catégories les plus proches sont celles des employés et des professions intermédiaires (11 %). Ce sont aussi les catégories où les personnes de référence sont plus souvent des femmes (respectivement 70 % et 50 %), qui vivent souvent seules avec ou sans enfant(s), sans doute davantage à proximité des équipements. Les artisans-commerçants immigrés vivent aussi à proximité des employés (12 %) et des professions intermédiaires immigrés (13 %) dans les mêmes territoires urbains souvent peu valorisés. 
À la croisée des origines, les cadres natifs sont peu distants des cadres immigrés (indice de 14 %). Les cadres natifs sont plus proches des cadres immigrés que de n’importe quelle autre catégorie sociale de ménages natifs ou non. Il en va de même pour les cadres immigrés, ce qui atteste du rôle moteur que jouent les prix immobiliers dans l’organisation sociale du territoire et de la recherche d’un entre-soi parmi les plus aisés, comme plusieurs recherches sociologiques l’ont montré. 
 

L’origine et la position professionnelle opèrent la segmentation sociale de l’Île-de-France

Une typologie des communes franciliennes croisant l’origine (immigrée ou non) et la catégorie socio-professionnelle de la personne de référence des ménages (cf. encadré « Typologie des communes ») atteste de deux éléments structurants : une mise à distance des territoires où les immigrés sont très présents (hormis les cadres) par les natifs les plus aisés principalement (cadres, professions intermédiaires) ; et l’attrait qu’exerce la centralité sur les cadres (immigrés ou non) en opposition à la nécessité des catégories moins aisées, natives pour la plupart, de s’éloigner pour pouvoir accéder à la propriété. La typologie permet de classer les communes en dix secteurs distincts dessinant quatre grands types d’espace. 

Dans les espaces aisés (secteurs 1 à 3 représentant 34 % des ménages), les cadres dominent. Dans le secteur le plus aisé, où figurent les arrondissements ouest de la capitale et Neuilly-sur-Seine, la part des ménages dont la personne de référence est cadre ou ancien cadre, est maximale (45 %), à la fois chez les Français de naissance et chez les immigrés, même si ces derniers restent très minoritaires. Dans les secteurs 2 et 3, la part des cadres reste élevée, respectivement 40 % et 39 %. Les profils par catégorie sociale sont assez proches, avec toutefois davantage d’immigrés dans le secteur 2, plus central – 22 % contre 17 % –, et davantage d’inactifs autres que retraités. Le secteur 2 reste très ancré sur Paris, le secteur 3 s’inscrit davantage dans le prolongement de cette zone aisée vers l’ouest, dans les Hauts-de-Seine et les Yvelines.

Dans les espaces urbains très modestes (secteurs 8 à 10 représentant 32 % des ménages), les catégories modestes sont prédominantes et en grande partie issues de l’immigration. Dans le secteur 10, le plus pauvre, sept ménages sur dix relèvent des catégories employés, ouvriers ou inactifs autres que retraités. Plus de la moitié des personnes de référence sont immigrées. Ce secteur forme un ensemble quasi contigu nord-sud de communes s’étirant de Saint-Denis et Aubervilliers à Villiers-le-Bel et Goussainville. S’y ajoutent Sevran et Clichy-sous-Bois plus à l’est, Villeneuve-Saint-Georges dans le Val-de-Marne, Grigny dans l’Essonne, Les Mureaux dans les Yvelines et Montereau-Fault-Yonne en Seine-et-Marne. Les trois secteurs forment des ensembles imbriqués et compacts dans l’agglomération parisienne : la banlieue nord, avec des ramifications jusqu’à Pontoise à l’ouest et Torcy à l’est ; le sud de Paris d’Ivry au secteur d’Évry avec des prolongements vers Saint-Georges-lès-Arpajon d’un côté et Melun de l’autre ; entre les deux, à l’est, l’axe Champigny-sur-Marne/Roissy-en-Brie. S’y ajoutent en grande couronne des villes emblématiques de la rénovation urbaine (Mantes-la-Jolie, Meaux ou Persan) ou structurant les espaces ruraux alentours (La Ferté-sous-Jouarre, Nangis, Nemours, Étampes).

Les espaces à dominante rurale et périurbaine sont situés majoritairement hors de l’agglomération centrale (secteurs 4 à 6 représentant 21 % des ménages). Ils se caractérisent par l’importance des ménages natifs, et notamment des professions intermédiaires, et a contrario par la faiblesse de la présence immigrée. Le profil social est d’autant plus modeste qu’on s’éloigne de Paris. Le secteur le plus aisé de cet ensemble (4) est situé de 20 à 30 km de Notre-Dame : plus d’un ménage sur quatre est cadre et autant exercent une profession intermédiaire. On y trouve des communes situées à l’ouest et au sud de Versailles, dans le secteur de Rambouillet, au nord de Saint-Germain-en-Laye sur les boucles de la Seine, ou encore, de façon plus dispersée dans un triangle formé, à l’est, par Maisons-Alfort, Chessy et Saint-Pierre-du-Perray près du plateau de Tigery. L’habitat y est un peu plus diversifié que dans les secteurs plus éloignés, ce qui permet l’accueil d’une population plus mixte : les maisons n’y constituent que la moitié des logements – 9 sur 10 dans le secteur le plus excentré (6) – et six ménages sur dix sont propriétaires (83 % dans le plus éloigné). Plus loin, la part des cadres est beaucoup plus faible (17 % à 18 %) au profit des classes intermédiaires et plus modestes. Dans le secteur le plus excentré, très rural, qui s’étend jusqu’aux limites administratives de la région, les natifs agriculteurs, artisans et ouvriers constituent 33 % des ménages, près de trois fois plus qu’en moyenne dans la région (13 %). 

Enfin, un espace plus mixte présente des caractéristiques proches du profil moyen régional (secteur 7 regroupant 13 % des ménages). La structure de son parc de logement est assez proche des deux secteurs les plus pauvres, avec toutefois un peu moins de logements sociaux (31 %). Deux types de communes s’y rattachent : des communes centrales à l’interface des secteurs aisés et modestes du centre (Nanterre, Asnières, Clichy, 19e, 20e, Montreuil, l’ouest du Val-de-Marne, Créteil ou encore Alfortville) ; des communes dont le développement urbain est plus récent et le parc de logements très diversifié, qui forment pour la plupart un corridor s’étirant de Fontenay-sous-Bois à Bailly-Romainvilliers situé à Marne-la-Vallée, auxquelles s’ajoutent des communes de grande couronne comme Massy, Cergy ou encore Carrières-sous-Poissy. 

Accentuation des contrastes entre secteurs aisés et modestes où la présence immigrée s’intensifie

Depuis 1999, la progression du nombre de cadres (immigrés ou non) s’est faite pour l’essentiel dans les trois secteurs les plus aisés et le secteur mixte, qui ont accueilli les deux tiers des ménages de cadres supplémentaires. La part des cadres s’est le plus accrue dans le secteur 2 (+9 points) et le secteur mixte (+7 points) attestant, dans le premier cas, d’un renforcement et d’une extension des territoires des plus aisés dans les arrondissements parisiens et dans certaines communes des Hauts-de-Seine ; dans le deuxième cas, d’une gentrification du nord de Paris et de nombre de communes plus modestes de proche banlieue. Dans les secteurs les plus aisés, 13 communes enregistrent une croissance du nombre de ménages cadres supérieure à 10 points entre 1999 et 2017, la moyenne francilienne étant de +4 points : les 2e, 9e, 10e, 11e et 18e arrondissements à Paris, La Garenne-Colombes, Puteaux, Suresnes, Bois-Colombes, Issy-les-Moulineaux, Montrouge, Châtillon dans les Hauts-de-Seine, et Vincennes à l’est de Paris. Dans le secteur mixte, sept communes sont aussi dans ce cas : Clichy-sur-Seine, Asnières, Colombes, Malakoff, Alfortville, Serris et Massy. Dix autres territoires de ce même secteur enregistrent une hausse de 7 à 10 points de la part des cadres : les 19e et 20e, Montreuil, Les Lilas, Neuilly-Plaisance, Arcueil, Cachan, Le Kremlin-Bicêtre, Nanterre et Carrières-sous-Poissy. La plupart sont à proximité de Paris. La présence des cadres s’est aussi nettement renforcée dans des communes plus pauvres en pleine transformation sociale et urbaine, aux portes de Paris et des espaces aisés, comme Saint-Ouen (+11 points), Pantin (+8), Romainville et Bagnolet (+7), Ivry (+6) et, un peu plus loin, Sartrouville (+8). Ces évolutions témoignent de l’attrait de plus en plus vif des cadres pour la centralité et de phénomènes de gentrification dans des communes plus modestes qui se doublent d’une accentuation des disparités sociales entre quartiers de ces territoires, comme c’est le cas notamment à Pantin, où les quartiers des Courtilières et des Quatre-Chemins, en lisière d’Aubervilliers, restent à l’écart de la gentrification qui s’opère au sud-est de la commune autour du canal de l’Ourcq.
À l’autre extrémité du spectre social, dans un contexte de désindustrialisation, la part des ménages ouvriers a baissé de 6 points en Île-de-France depuis 1999 pour passer sous les 15 % en 2017. Le recul des ménages ouvriers natifs est général et d’autant plus fort dans les secteurs modestes où ils étaient encore très présents à la fin des années 1990. Toutefois, à l’encontre de cette tendance, la présence des ménages ouvriers et employés immigrés s’est renforcée dans les secteurs les plus modestes. Si à l’échelle de la région, la part de ces ménages s’est accrue de 3 points sous l’effet essentiellement d’une hausse des ménages employés immigrés (+3 points), cette progression dépasse 5 points dans les secteurs modestes et atteint même +12 points dans le secteur 9, attestant d’un report de ménages immigrés modestes dans des espaces un peu plus éloignés de Paris. À l’opposé, la hausse est très faible dans les territoires les plus aisés et reste en deçà de la moyenne régionale dans le secteur mixte. 
De façon plus générale, la part des immigrés non cadres s’est accrue beaucoup plus fortement dans les trois territoires urbains les plus modestes : respectivement +8, +17 et +11 points dans les secteurs 8, 9 et 10, pour une hausse régionale de +5 points. L’évolution est proche de cette moyenne dans le secteur mixte, mais nettement en deçà dans les secteurs les plus aisés et le périurbain aisé. 
Enfin, les deux secteurs périurbains les plus éloignés voient la part des natifs relevant des professions intermédiaires et des employés s’accroître fortement, de près de 10 points, alors que cette proportion est restée stable en Île-de-France. La hausse de la part des employés natifs y compense presque le recul de la part des ouvriers natifs. Ce phénomène est en partie lié au vieillissement de la population et à une certaine homogamie entre ouvriers et employés, un ménage « ouvrier » en 1999 pouvant être devenu un ménage « employé » du fait du décès du conjoint. Il tient aussi à la désindustrialisation et à la poursuite de la tertiairisation des emplois. La progression de la part des ménages immigrés y reste très faible, bien en deçà des autres secteurs. Celle des ménages de cadres y est aussi faible que dans les secteurs modestes. En comparaison, le secteur périurbain le plus proche du cœur de l’agglomération, plus aisé, gagne un peu plus de cadres, mais en deçà de la hausse régionale. La progression des immigrés y est plus soutenue (+5 points) mais, là aussi, moindre que dans la région (+7).

Évolution 1999-2017 de la part des ménages selon la catégorie sociale

Les nouveaux locataires du parc libre pâtissent des effets de gentrification du centre

Les déménagements se traduisent généralement par un éloignement du centre, sauf pour les cadres accédant à la propriété. Au sein des ménages propriétaires natifs, les emménagés depuis moins de cinq ans sont plus près du centre que les autres. Chez les propriétaires immigrés, ils sont à équidistance. En 2016, les cadres natifs résident un peu plus près du centre (-0,5 km) qu’en 1999, pour un éloignement moyen de +0,6 km de l’ensemble des ménages. Le recentrage des cadres natifs témoigne des phénomènes de gentrification et de valorisation des territoires centraux. Pour les classes moyennes et modestes, la difficulté d’accéder aux parties les plus valorisées de l’espace central se traduit plus souvent chez les natifs par un départ vers la grande couronne, d’autant plus loin que les ressources sont modestes, alors que les immigrés restent davantage dans les secteurs peu valorisés de proche couronne. Entre 1999 et 2016, les employés et ouvriers natifs, tous statuts confondus, se sont éloignés de 2,1 km, les employés et ouvriers immigrés de 0,9 km. Ce sont surtout les ouvriers et employés locataires du parc privé libre qui se sont le plus éloignés du centre (respectivement +2,9 et +3,6 km). C’est aussi le cas des inactifs (hors retraités). Ils pâtissent de la transformation des petits logements locatifs libres centraux en meublés, de la concurrence des mises en location touristiques, ou de leur mise en vente à échéance des durées obligatoires de location associés aux dispositifs ayant favorisé la production de logements locatifs (lois Robien, Borloo, Scellier, Duflot et Pinel). Paris a perdu 79 000 logements locatifs libres entre 1999 et 2017, les Hauts-de-Seine, 4 700. L’offre nouvelle plus excentrée contribue aussi à cet éloignement (supplément de 72 000 locatifs libres en grande couronne sur la même période). Rien de tel pour les locataires du parc social, dont la géographie relativement centrale permet encore le maintien des populations les plus modestes au cœur de l’agglomération.

Mariette Sagot

Mariette est démographe à L’Institut Paris Region au sein du département Habitat et Société. Ses travaux ont évolué des cadrages démographiques pour la révision du schéma directeur de 1994 vers des questions sociales touchant la vie des Franciliens : le vieillissement de la population, les inégalités socio-territoriales, la pauvreté et l’immigration. Elle coordonne cet ouvrage sur les Franciliens avec François Michelot.

Typologie des communes franciliennes

La typologie des communes selon la catégorie sociale en huit postes de l’Insee (agriculteurs exploitants ; artisans, commerçants et chefs d’entreprise ; cadres et professions intellectuelles supérieures ; professions intermédiaires ; employés ; ouvriers ; retraités ; autres personnes sans activité professionnelle) croisée avec l’origine immigrée ou non de la personne de référence en 2017 porte sur les communes franciliennes, Paris étant découpé en 20 arrondissements. Les retraités ont été classés selon leur ancienne catégorie professionnelle. Elle a été réalisée à partir d’une analyse en composantes principales, en tenant compte du poids démographique (nombre de ménages) des communes. Une classification ascendante hiérarchique a été menée à partir des coordonnées des communes sur les trois premiers axes factoriels. Ces trois axes expliquent respectivement 41 %, 30 % et 9 % de la variance. 

  •  L’axe 1 oppose les secteurs où la concentration des immigrés est élevée (à l’exception de celle des cadres) aux secteurs où les cadres, les indépendants (artisans, commerçants, chefs d’entreprise de moins de 10 salariés) et les professions intermédiaires, tous non immigrés, sont bien représentés. 
  • L’axe 2 se polarise entre les espaces des cadres (immigrés ou non) et des inactifs autres que retraités (notamment des jeunes), aux espaces à dominante rurale et périurbaine où les ouvriers et employés, et dans une moindre mesure les professions intermédiaires, tous français de naissance, sont surreprésentés.
  •  L’axe 3 met en évidence les espaces ruraux des agriculteurs ou des artisans natifs. 

Cette typologie souligne à la fois la dissociation des espaces de vie selon l’origine, mais aussi la mise à distance des cadres des autres catégories sociales, par le biais notamment des prix immobiliers. Elle permet de distinguer 10 secteurs différents (cf. carte « Géographie sociale »).
 

Références

  • Botton H, Cusset P-Y, Dherbécourt C, George A, Quelle évolution de la ségrégation résidentielle en France ? France Stratégie, Note d’analyse n°92, juin 2020
  • Boussad N, Couleaud N, Sagot M, Une population immigrée davantage répartie sur le territoire régional, Note rapide IAU-Idf n°759, octobre 2017
  • Clerval A, Miot Y, Inégalités et habitat en Ile-de-France : quelles conséquences des politiques de renouvellement urbain sur le peuplement ? in Espace et sociétés, n°179, 2017 
  • Clerval A, Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, coll. « Hors collection Sciences Humaines », 2013
  • Clerval A, Delage M, La métropolisation parisienne : une mosaïque sociale de plus en plus différenciée », Métro politiques, septembre 2014
  • Clerval A, Delage M (Dr), Vivre à l’est de Paris, Inégalités, mobilités et recompositions sociales, Les éditions L’œil d’Or, 2019
  • Pinçon-Charlot M, Pinçon M, Les Ghettos du gotha : comment la bourgeoisie défend ses espaces, Seuil, Paris, 2007
  • Préteceille E, Oberti M, La ségrégation urbaine, Ed° La Découverte, Paris, 2016
  • Préteceille E, La ségrégation sociale a-t-elle augmenté ? La métropole parisienne entre polarisation et mixité, in Sociétés contemporaines n°62/2, 2006
  • Sagot M. : « Les immigrés et leur famille en Île de France », chapitre 3.11 ; « Les immigrés selon leur origine », chapitre 3.12 ; « Division sociale, regroupement des immigrés, quels liens ? », chapitre 3.13, dans Atlas des Franciliens. Édition 2013, IAU ÎdF, mars 2013
  • Sagot M., Gentrification et paupérisation au cœur de l’Île-de-France- Évolutions 2001-2015, Institut Paris Région, mai 2019

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