Mobilité résidentielle forte pour les propriétaires, faible pour les locataires

Les Franciliens - Territoires et modes de vie   Sommaire

03 juin 2021ContactFrançois Michelot

Le marché de l’emploi de l’Île-de-France lui confère, par son étendue et sa diversité, une forte attractivité que l’on peut mesurer par l’ampleur des flux migratoires. Néanmoins, la faiblesse relative de la mobilité des locataires franciliens, contraints par les tensions sur le marché du logement, témoigne des difficultés rencontrées par les habitants pour s’ancrer à un territoire, en harmonie avec leurs aspirations familiales et professionnelles. Statut d’occupation et nature du parc, taille du logement, secteur géographique… Autant de paramètres qui viennent contraster les situations. 

L’attractivité d’un espace métropolitain, ou de territoires aussi vastes que les départements, peut se mesurer à l’aune de leur dynamisme démographique, l’ampleur de leur marché du travail, et l’importance des courants migratoires qui les traversent. À cette échelle macroscopique, l’attractivité va de pair avec la mobilité résidentielle. Paradoxalement, à une échelle plus fine comme celle de la commune, l’ancrage dans un même logement semble plutôt synonyme d’attractivité, même s’il résulte toujours d’arbitrages divers. Pourquoi changer de logement si on s’y trouve bien et qu’il offre des avantages comparatifs ? Existe-t-il des territoires en Île-de-France dans lesquels on s’attarde plus qu’ailleurs, indépendamment de la structure particulière de leur parc de logement ? Est-ce toujours signe d’attractivité ou, à l’inverse, d’une impossibilité d’accéder à d’autres territoires ? Comment se concrétise l’attractivité de la région dans les différents segments de son parc de logement au regard du reste de l’Hexagone ?

Chiffres clés

25 %

Part des ménages franciliens dans leur logement depuis au moins 20 années

14,8 ans

Ancienneté moyenne des Franciliens locataires du parc social dans leur logement 

7,9 ans

Ancienneté moyenne des Franciliens locataires du parc privé dans leur logement 

L’Île-de-France : forte attractivité et faible ancienneté dans le logement

En Île-de-France, comme en France métropolitaine, un ménage sur neuf a changé de logement au cours de l’année précédente, selon le recensement de 2016. Pourtant, l’ancienneté* des ménages franciliens dans leur logement actuel est la plus faible de toutes les régions métropolitaines (14,3 années contre 15,8 années), signe d’une mobilité résidentielle plus élevée. Cette différence ne s’explique pas par l’importance de la construction neuve au cours des dix dernières années : la part des logements habités en 2016, construits dans la décade précédente, y est plus faible qu’ailleurs (8,3 % en Île-de-France contre 11,7 % en France métropolitaine). Or, plus celle-ci est faible, comme en Île-de-France, plus la part des ménages ayant emménagé depuis moins de dix ans est réduite et plus l’ancienneté moyenne des ménages dans leur logement devrait être forte. Pourtant, c’est l’inverse qui s’observe en Île-de-France.

La faiblesse de l’ancienneté dans le logement actuel en Île-de-France est due à l’attractivité de son marché de l’emploi, vaste et diversifié, qui attire les jeunes en phase d’insertion professionnelle, mais aussi aux retours en province à des âges plus avancés. Les échanges avec la province rythment les durées d’installation dans les logements : arrivées de jeunes, départs de familles avec enfant(s), puis de retraités. Autant d’événements qui supposent des déménagements et expliquent que les longues durées passées dans le même logement sont moins fréquentes dans la région.

Si la moitié des ménages franciliens occupent leur logement depuis moins de 9,5 années (comme en France métropolitaine), ils sont 25 % à y être depuis au moins vingt années (30 % en France métropolitaine). Les occupations longues, moins fréquentes en Île-de-France, expliquent donc l’essentiel des écarts avec les autres régions. Elles traduisent la jeunesse de la population francilienne, la part des personnes âgées y étant nettement plus faible que dans les autres régions.

L’attractivité économique et universitaire de l’Île-de-France soutient donc son dynamisme démographique. Celui-ci concourt à une mobilité plus forte (nouvelles arrivées, changement de logement à l’agrandissement des familles, etc.), à un moindre vieillissement de la population, et, en conséquence, tend à réduire l’ancienneté moyenne des ménages dans leur logement. Ce lien est nettement perceptible à l’échelle des départements et des régions. Les régions qui affichent le plus faible dynamisme démographique depuis 2006 sont aussi celles où les ménages vivent le plus longtemps dans leur logement, comme dans le Grand Est (17,5 années), en Bourgogne-Franche-Comté (17 années), dans les Hauts-de-France (16,9 ans) ou dans le Centre-Val-de-Loire (16,7).
 

Une structure du parc de logement à première vue propice à la mobilité

La faiblesse de l’ancienneté moyenne dans les logements est aussi en partie liée à la structure du parc de logement francilien. Avec davantage de petits logements locatifs propices à l’accueil des jeunes et moins de grands logements détenus en propriété, ce parc offre, a priori, un terrain favorable à une plus grande mobilité (cf. encadré « Singularité du parc de logement francilien »).

Les ménages propriétaires affichent, en effet, l’ancienneté moyenne la plus forte dans le logement, tant en Île-de-France (18,3 ans) qu’ailleurs en France (20,7 ans). Cette ancienneté est d’autant plus marquée que le logement compte de pièces. A contrario, les ménages locataires du parc privé (non meublé et meublé) demeurent moins longtemps dans leur logement — 7,9 ans en moyenne en Île-de-France et 6,8 ans dans l’Hexagone —, d’autant moins que le nombre de pièces est réduit. Les petits logements locatifs du secteur libre sont mécaniquement générateurs d’une plus grande mobilité résidentielle. 
Dans le parc social, l’ancienneté moyenne des locataires est de 14,8 ans (12,5 ans en France), inférieure à celle des propriétaires et plus proche de celle de l’ensemble des ménages.

L’Île-de-France se singularise donc par une ancienneté des ménages propriétaires plus faible que celle observée au niveau hexagonal et, a contrario, par des locataires qui restent plus longtemps dans leur logement. 

Bien qu’ils se compensent en partie, ces comportements singuliers participent globalement à la surmobilité* des Franciliens. En effet, si on applique aux différents segments du parc francilien les anciennetés moyennes observées en France (cf. « Méthode et définitions »), l’ancienneté moyenne de l’ensemble des ménages franciliens dans leur logement serait un peu plus forte que ce qui est observé (14,8 ans contre 14,3 ans), mais demeurerait sensiblement en deçà du niveau national (15,8). La structure spécifique du parc francilien, tout comme les comportements de mobilité des Franciliens, contribuent donc à cette surmobilité régionale. 

Singularité du parc de logement francilien

En Île-de-France, la faiblesse de l’ancienneté dans le logement actuel s’explique en partie par la structure spécifique du parc (date de construction, statut d’occupation, taille des logements). 
La région se caractérise par une proportion de ménages propriétaires en deçà de celle observée dans l’Hexagone (47 % contre 58 %), une part de ménages locataires du privé semblable (23 %), et une part de ménages résidant en HLM plus élevée (22 % contre 15 %). 

De plus, le parc de résidences principales est constitué de logements plus petits comparé à celui de la France métropolitaine (trois fois plus de logements d’une pièce, deux fois plus de logements de deux pièces, et une fois et demie moins de logements comptant cinq pièces et plus). Ce trait est particulièrement prononcé à Paris et dans la petite couronne. La structure du parc de logement observée en grande couronne, selon son statut d’occupation et le nombre de pièces, est en revanche assez proche de celui de l’Hexagone.

Des locataires franciliens moins mobiles qu’à l’échelle nationale, en lien avec un marché du logement tendu…

En Île-de-France, les anciennetés dans les parcs locatifs privé et social sont supérieures à celles observées en France métropolitaine, quel que soit l’âge de la personne de référence. La sous-mobilité dans le parc locatif est d’autant plus forte que l’âge est avancé, conséquence en partie des niveaux de loyers plus élevés des logements plus récents. Les loyers sont comparativement d’autant plus faibles que l’ancienneté dans le logement est plus grande, ce qui n’incite pas les locataires à déménager.

Dans le parc locatif privé, les écarts de mobilité sont très marqués entre départements. Les ménages parisiens affichent les anciennetés les plus élevées, quel que soit l’âge de la personne de référence. Cette ancienneté diminue quand on s’éloigne de la capitale. Elle s’aligne sur le niveau national en grande couronne, la Seine-et-Marne étant le seul département francilien où la mobilité des ménages du parc locatif privé apparaît plus élevée que dans l’Hexagone. 

Dans le parc locatif social, l’hétérogénéité des situations est moins marquée que dans le parc locatif privé. Au cœur de la région, et plus particulièrement à Paris et dans les Hauts-de-Seine, l’ancienneté des ménages vivant dans le parc social se confond presque avec l’ancienneté des ménages propriétaires. Elle s’affaiblit quand on s’éloigne du centre de la région, tout en restant plus élevée qu’en France. Seule la Seine-et-Marne offre un profil d’ancienneté par âge similaire à celui de la France métropolitaine. 

Cette sous-mobilité dans le parc locatif, privé comme social, surtout à Paris et en petite couronne, reflète les tensions sur le marché immobilier, avec des loyers et des prix de vente peu compatibles avec la concrétisation des envies de déménager pour un logement plus grand et/ou d’accéder à la propriété, au prix d’une perte de centralité. Cette sous-mobilité découle d’une tension entre attractivité et contraintes budgétaires, bloquant le bon déroulement du parcours résidentiel souhaité.

Ce phénomène d’ancrage des locataires du privé se renforce avec l’âge de la personne de référence jusqu’aux âges de départ à la retraite, un moment où certains ménages font le choix de partir en province. Dans le parc social, au contraire, l’ancrage ne cesse de se renforcer avec l’âge, sauf en Seine-et-Marne où ce parc est plus récent.

… mais des propriétaires en appartement comparativement plus mobiles

Contrairement aux locataires, les propriétaires franciliens ont une ancienneté moyenne dans leur logement inférieure à la moyenne hexagonale des propriétaires (18,3 années contre 20,7). Ils y restent donc moins longtemps.

Seuls les jeunes propriétaires de moins de 30 ans, peu nombreux, sont moins mobiles. C’est aux âges d’activité et de la vie en famille que la surmobilité des ménages propriétaires franciliens est notable. Elle s’estompe ensuite une fois l’âge de départ à la retraite atteint.
L’ancienneté des ménages propriétaires est relativement homogène au sein de la région et suit les mêmes variations selon l’âge, mais tend à être un peu plus faible dans les deux départements les plus aisés : Paris et les Hauts-de-Seine. Les propriétaires d’appartement (16 années) restent moins longtemps dans leur logement que ceux qui détiennent une maison (20,5 années). Il faut y voir l’effet de logements plus petits, d’où il faut partir pour s’ajuster au mieux à l’agrandissement de la famille. Parmi les propriétaires de maison, les ménages de petite couronne présentent une ancienneté plus élevée que ceux qui résident en grande couronne (21,6 années contre 20,1 années), et plus particulièrement vis-à-vis de ceux résidant dans le Val-d’Oise, les Yvelines et la Seine-et-Marne. Le parc de petite couronne est beaucoup plus ancien, ce qui favorise structurellement des anciennetés plus marquées.
Finalement, la légère surmobilité des ménages franciliens tient aussi à celle des propriétaires franciliens dont la personne de référence est âgée de 30 à 65 ans, autrement dit les classes d’âge de mise en couple et d’agrandissement des familles. 

Des ménages moins mobiles à Paris et dans les secteurs modestes, plus mobiles en grande couronne

Les écarts d’ancienneté dans le logement entre les territoires dépendent à la fois de la structure du parc, mais aussi de l’attrait particulier du lieu ou des contraintes pour en partir, qui s’expriment à travers les comportements de mobilité. Pour démêler ces deux types d’effets, de structures et de comportements, il convient de comparer le niveau actuel d’ancienneté à celui qu’on observerait si les comportements de mobilité étaient les mêmes qu’à l’échelle de la France pour chaque segment du parc (cf. « Méthode et définitions »). 
Les départements de la grande couronne apparaissent ainsi nettement en surmobilité dans le contexte national, notamment dans les périmètres des villes nouvelles. L’ancienneté moyenne dans les logements est plus faible que celle attendue au regard de l’importance de leur parc en propriété individuelle. Dans les départements de la petite couronne, l’ancienneté observée est, quant à elle, supérieure à l’ancienneté attendue, ce qui indique donc une certaine sous-mobilité. Mais, à Paris, on devrait observer une ancienneté plus faible compte tenu de l’importance du parc locatif de petite taille. Ce résultat atteste clairement d’une sous-mobilité résidentielle dans la capitale, liée d’une part à la forte attractivité résidentielle que lui confère sa centralité et, d’autre part, à la cherté croissante de l’immobilier locatif qui rend l’installation des nouveaux entrants de moins en moins accessible. 

Toutefois, Paris se caractérise par une situation contrastée. Les arrondissements de la rive gauche et de l’est sont en sous-mobilité car ils concentrent la très grande majorité du parc locatif social de la capitale, marqué par une forte sous-mobilité. Les arrondissements de la rive droite, eux, présentent en leur centre une certaine surmobilité qui peut être liée au développement des meublés et des locations de courte durée. On observe aussi des zones de sous-mobilité dans les espaces de banlieue modeste, liée à la sous-mobilité particulièrement forte du parc social qui s’y trouve très développé. Dans le contexte d’un marché francilien tendu où les loyers sont élevés, le parc social est devenu un parc refuge que l’on quitte de moins en moins.

Des cartes rebattues par la pandémie ?

Les ménages franciliens locataires apparaissent donc moins mobiles qu’ailleurs en France. Pendant la pandémie de Covid-19, le choc vécu à travers les phases de confinement (restrictions de mouvement et d’espace de vie) a été d’autant plus difficile à vivre pour les occupants d’appartements et de logements exigus. Cette période a sans doute réveillé des envies d’espace et de déménagement au vert, souhait conforté par le développement du télétravail. Il est fort probable que la concrétisation de ces envies dépendra du type de logement dans lequel vivent les Franciliens, du statut d’occupation et évidemment de leur âge. Cette expérience va-t-elle rendre attractives des zones qui ne l’étaient plus, ou rendre répulsives les zones actuellement en tension ? La crise actuelle, qui vient renforcer celle, plus profonde, du logement, va-t-elle contribuer à différencier encore davantage les comportements des ménages entre type de parc, et donc selon les territoires ? Un sujet qu’il conviendra de suivre au plus près.

François Michelot

Démographe, François a été formé à l’Institut de démographie à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et au Conservatoire national des Arts et Métiers de Paris.  Il a rejoint L’Institut Paris Region en mars 2020 après plus d’une quinzaine d’années passées dans le domaine de l’observation sanitaire et sociale, plus particulièrement sur les champs des inégalités sociales et territoriales de santé, la santé au travail et la lutte contre l’exclusion. Actuellement, il pilote et participe à la réalisation d’études démographiques (analyse spatiale et régionale des dynamiques de population, géographie sociale, inégalités territoriales). Il participe également à la gestion des données de population et à l’enquête sur les comportements des Franciliens.  

Méthode et définitions

Ancienneté théorique d’occupation du logement

La durée d’ancienneté moyenne dans un logement dépend de la structure du parc de logement, mais aussi des comportements de mobilité des occupants. Le parc de logement de chaque territoire a été découpé en 175 segments (issus des fichiers détails du recensement), selon le type de construction, la période d’achèvement (7), le nombre de pièces (5) et le statut d’occupation (5).
Pour estimer la surmobilité ou sous-mobilité des occupants d’un territoire, l’ancienneté moyenne observée dans les logements a été comparée à l’ancienneté « théorique » qui serait obtenue en supposant que les durées d’occupation sont les mêmes qu’à l’échelle de la France métropolitaine pour chaque segment du parc.
Cette ancienneté « théorique » ne dépend que de la structure du parc du territoire retenu. Si l’ancienneté observée est supérieure à l’ancienneté calculée, les ménages sont comparativement moins mobiles qu’en moyenne en France, et inversement. 
 

Références et compléments bibliographiques

• Alexandre Hervé, Cusin François, Juillard Claire, L’attractivité résidentielle des agglomérations françaises, Observateur de l’immobilier, 2010. hal.archives-ouvertes.fr/hal-00672601/document

• Beaufils Sandrine, Joinet Hélène (L’Institut Paris Region), Bertaux Frédéric, Laurent Pierre, Wolber Odile (Insee Île-de-France), « Les trajectoires résidentielles des habitants des QPV », Note rapide, n°860, L’Institut Paris Region, juillet 2020.

• Delance Pauline, Vignolles Benjamin, « Ça déménage ? La mobilité résidentielle et ses déterminants », dans Les conditions de logement en France. Édition 2017, Insee, février 2017, pp.55-73.
www.insee.fr/fr/statistiques/2586010

• Louchart Philippe, « Habitat et population : quelles dynamiques et quelles évolutions ? » dans Atlas des Franciliens, IAU îdF, janvier 2013, pp.44-48. 

• Michelot François, « Le confinement : qui l’a mal vécu et pourquoi ? », Note Rapide, n°867, L’Institut Paris Region, octobre 2020.

• Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (Olap), Évolution en 2018 des loyers d’habitation du secteur locatif privé dans l’agglomération parisienne, juillet 2019.

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