Quel impact des locations saisonnières à l'année au cœur de l'agglomération parisienne ?

Les Franciliens - Territoires et modes de vie   Sommaire

17 juin 2021ContactEmmanuel Trouillard

Portée par des plates-formes comme Airbnb, la location saisonnière (de courte et moyenne durées, inférieures à neuf mois) a connu une croissance fulgurante au sein de l’agglomération parisienne au cours des années 2010. À côté de ménages occupants à la recherche de revenus d’appoint occasionnels, des investisseurs ont dédié des logements à l’année à ce type de locations, au risque de déstabiliser certains marchés immobiliers locaux. L’Institut Paris Region propose un état des lieux d’avant-crise sur la question.

Paris, champion des locations saisonnières touristiques

Le développement de la location saisonnière, par son impact sur le parc de logements, contribue à tendre le marché du logement, surtout à Paris. Entre 2011 et 2017, période d’implantation d’Airbnb sur le marché parisien, alors que le nombre total de logements continue à augmenter dans la capitale, le nombre de résidences principales diminue, au profit des logements inoccupés*. Avant ce retournement engagé au début des années 2010, le nombre de résidences principales augmentait à Paris depuis la période intercensitaire 1990-1999 (cf. graphique).

Seuls trois arrondissements parisiens (13e, 19e et 20e) échappent à la diminution de leur parc de résidences principales entre 2011 et 2017. À l’inverse, le recul est particulièrement fort dans le 11e, suivi des 7e, 14e, 15e, 16e et, dans une moindre mesure, du 18e arrondissement, qui perdent tous plus de 2 000 résidences principales sur la période. Ce repli des résidences principales profite aux résidences secondaires, occasionnelles et autres logements vacants, dont la croissance sur la même période atteint plus de 3 400 logements par arrondissement pour toute la zone s’étalant du 10e au 15e arrondissement, à laquelle il faut rajouter le 18e arrondissement.
Sur plus de 80 000 locations saisonnières identifiées sur le marché parisien en 2019, environ 29 % ont été louées « à l’année », c’est-à-dire plus de 120 jours (une part similaire au ratio régional, cf. planche infographique). Paris regroupait, à elle seule, 78 % des locations saisonnières louées à l’année en 2017. Cette part s’est réduite à 68 % en 2019 avec la diffusion croissante des locations saisonnières dans le reste de la région.

Ces locations saisonnières à l’année représentent 41 % des logements inoccupés supplémentaires dénombrés à Paris entre 2011 et 2017. Le développement des plates-formes touristiques type Airbnb et de l’offre locative saisonnière contribue donc très largement à retirer du marché des logements destinés aux ménages, au profit de courts séjours. Cette évolution s’inscrit toutefois dans un mouvement plus général de progression des résidences inoccupées à Paris depuis le tournant des années 2010.
L’impact des locations saisonnières à l’année dans l’évolution du parc de logements inoccupés se révèle particulièrement important dans quatre arrondissements centraux (du 3e au 6e). Dans ces arrondissements, la quasi-totalité de la progression des logements inoccupés est imputable à la location saisonnière à l’année. À l’inverse, cette même contribution est inférieure à 25 % dans d’autres arrondissements comme les 7e, 12e, 13e, 14e et 15e.
Ainsi, il n’y a pas de véritable corrélation entre le nombre de locations saisonnières à l’année d’un arrondissement et la contribution estimée de ce parc spécifique à la hausse de son parc inoccupé. De tous les arrondissements parisiens, le 15e a enregistré la plus forte progression de son parc inoccupé entre 2011 et 2017, mais la location saisonnière à l’année n’a compté que pour 21 % de cette évolution. Cette forte hausse traduit avant tout le développement de « pied-à-terre » plus classiques, dont l’achat ne relève pas directement d’une optique opportuniste d’investissement dans le locatif de courte durée, mais plutôt de pratiques de doubles résidences. De même, la contribution des locations saisonnières reste inférieure ou égale à 50 % dans des arrondissements concentrant un nombre important de locations saisonnières comme les 10e, 11e et 18e
Ayant dû faire face à une croissance fulgurante du parc de locations saisonnières en son sein au cours des années 2010, la mairie de Paris est aux avant-postes en matière de régulation du secteur. Elle a institué dès 2014, dans la foulée de la possibilité ouverte par la loi Alur, un régime d’autorisation et de compensation des locations saisonnières à l’année, c’est-à-dire une obligation pour le bailleur de transformer des surfaces commerciales en logements, en contrepartie de la surface d’habitation perdue au profit d’une ou plusieurs locations saisonnières à l’année. Elle a par ailleurs mis en place une télédéclaration préalable obligatoire des locations saisonnières sur son territoire dès le 1er décembre 2017. 
 

Une possible propagation des problématiques parisiennes dans d’autres secteurs de l’Île-de-France ?

Au regard du centre parisien, la problématique des locations saisonnières reste pour le moment moins aiguë dans le reste de la métropole.

Tout d’abord, peu de communes se sont d’ores et déjà emparées des nouveaux outils de régulation mis à leur disposition depuis le milieu des années 2010 par le législateur, signe d’une volonté de suivi renforcé du phénomène sur leur territoire. Au 1er janvier 2021, en dehors de Paris, seules 18 communes franciliennes (sur plus de 1 280) avaient mis en place une télédéclaration préalable obligatoire des locations saisonnières sur leur territoire, et seules 15 des mesures de compensation. Ces régulations n’étant toutefois effectives que depuis très récemment, le nombre de communes amenées à s’en saisir devrait encore croître à l’avenir.

En attendant, peu de communes franciliennes ont connu, à l’instar de Paris, une diminution véritablement marquée de leur parc de résidences principales sur la période récente : ainsi, seules 22 en ont perdu plus de 50 entre 2011 et 2017. Finalement, trois communes se distinguent véritablement par des pertes plus conséquentes : Rueil-Malmaison (-445), Neuilly-sur-Seine (-785) et Courbevoie (1 940). Elles ont toutes mis rapidement en place une télédéclaration préalable des meublés de tourisme en 2018-2019, disposition complétée, dans le cas de Neuilly-sur-Seine et de Courbevoie, d’une compensation obligatoire des locations saisonnières à l’année créées, et ce « dès le premier logement ». Hormis ces cas spécifiques, l’hypothèse pourrait être faite que des communes ayant vu leur parc résidentiel continuer à progresser ces dernières années pourraient considérer la régulation du développement du parc locatif saisonnier comme moins urgente. Toutefois, une très forte croissance du parc inoccupé, même combinée à une croissance soutenue du parc de résidences principales, peut amener des communes à réagir face à une captation importante des nouveaux logements créés au profit des résidences secondaires et occasionnelles : c’est en particulier la situation des communes voisines d’Issy-les-Moulineaux et Boulogne-Billancourt, qui ont, elles aussi, fait le choix de mettre en place une télédéclaration et une compensation au premier logement. 
Mais, de manière générale, la contribution des locations saisonnières à la croissance du parc de logements inoccupés reste faible hors de la capitale. Elle n’est supérieure à 20 %, en 2017, que dans 23 communes de petite et grande couronnes, où la croissance du parc inoccupé est d’au moins 50 logements (cf. carte) – et c’est notamment le cas dans les pôles touristiques majeurs de grande couronne que sont Versailles et Val d’Europe (Disneyland Paris). Parmi cette vingtaine de communes qui sont les plus concernées par le phénomène, une seule (Versailles, où la contribution estimée des locations saisonnières au développement du parc inoccupé atteint les 30 %) a mis en place à l’heure actuelle une télédéclaration obligatoire des meublés de tourisme.
Les quelques rares communes présentant des contributions particulièrement élevées – comparables à celles des arrondissements centraux parisiens les plus affectés –, comme Vincennes, Clichy ou encore Charenton-le-Pont, se caractérisent quant à elles par des croissances limitées de leur parc inoccupé.

Se projeter au-delà de la crise sanitaire

À l’instar de l’ensemble du secteur touristique, le paysage de la location saisonnière en Île-de-France a été très largement bouleversé par la crise sanitaire, qui a fait fondre les revenus des bailleurs, et notamment de ceux qui exploitaient leur bien en location saisonnière à l’année. De nombreux sites spécialisés et articles de presse ont ainsi décrit le reflux d’une partie de ces investisseurs vers la location meublée classique de longue durée. Reste bien entendu la question cruciale de l’après-crise, lorsque l’activité touristique francilienne aura repris son rythme de croisière. Si l’on peut s’attendre à un fort redémarrage de la location saisonnière une fois la crise passée, la géographie du secteur est toutefois certainement appelée à évoluer. La mise en place d’une véritable régulation des locations saisonnières à l’année au niveau national (dont la validité juridique vient d’être confirmée au niveau européen après des années de procédures entre bailleurs, collectivités locales et plates-formes spécialisées) devrait a priori signer la fin du « far-west » réglementaire qui a longtemps perduré au cœur des métropoles et principaux pôles touristiques. Pour peu que les mécanismes de contrôle et de sanction se révèlent efficients, cette nouvelle régulation permettra de limiter tout nouvel essor incontrôlé.

Le développement désormais entravé à Paris et dans les communes en cœur de marché devrait alimenter la dynamique centrifuge des locations saisonnières à l’année vers le reste de la région, au sein de communes moins régulées. En effet, si la focalisation sur Paris intra-muros et le cœur de la métropole a mis en avant des antagonismes entre collectivités locales et bailleurs/plates-formes de locations saisonnières, les communes plus excentrées pourraient, au contraire, tirer profit de ces plates-formes pour développer une offre d’hébergement touristique abondante et structurée. Ces évolutions seront à n’en pas douter favorisées par un projet de transport structurant comme le Grand Paris Express, ou encore par certaines retombées potentielles de la crise sanitaire (développement d’un tourisme vert, de proximité, essor du télétravail, etc.). 

Emmanuel Trouillard

Normalien et titulaire d’un doctorat en géographie suite à une thèse portant sur les stratégies de la promotion privée résidentielle en Île-de-France, Emmanuel fait chargé d'études au sein du département Société et Habitat de L’Institut Paris Région depuis 2015. Il est spécialiste du fonctionnement des marchés immobiliers métropolitains, des acteurs de la production de logements, en particulier privés, et des politiques du logement. 
Au sein de L’Institut, il est en charge de l’exploitation de plusieurs bases de données logement. Il a coordonné et réalisé plusieurs études reposant sur des exploitations statistiques et cartographiques autour de sujets comme l’habitat métropolitain, la TVA Anru, les investisseurs institutionnels, les marchés locatifs, etc. Il a également conçu plusieurs applications en ligne en lien avec la thématique du logement. 

Sources

Les données Airdna

Les analyses présentées, outre les données issues du recensement de la population, s’appuient sur les données fournies par la société Airdna, qui sont issues du scraping (aspiration automatisée de données) des plates-formes Airbnb et Abritel-HomeAway, spécialisées dans la mise en relation d’une offre et d’une demande de locations saisonnières.

La société Airdna collecte les données sur les annonces Airbnb pour des logements localisés dans Paris intra-muros depuis novembre 2014, et sur 492 autres communes de la région parisienne depuis mai 2015. À cela s’ajoute, depuis juin 2017, l’ensemble des annonces partagées sur le site Abritel-HomeAway, avec un travail de dédoublonnement effectué par l’entreprise pour ne pas compter en double les annonces pour un même logement publiées sur les deux plates-formes. 

La société propose également une ventilation des locations saisonnières selon leur nombre estimé de jours de location effectifs par an. Il est ainsi possible d’estimer la part des locations saisonnières « à l’année », c’est-à-dire louées plus de 120 jours au cours d’une année. Selon l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs : « La résidence principale est entendue comme le logement occupé au moins 8 mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure.»
 

Définition

Logement inoccupé : logement vacant, résidence secondaire et logement occasionnel, en particulier destiné à la location touristique de courte durée. Autrement dit, il s’agit de l’ensemble des logements non affectés à la résidence principale. 

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