Quelle stratégie lumière en ville pour le confort des piétons ?

Chronique de la marche et de l'espace public n° 5   Sommaire

13 juillet 2023ContactNicolas Cornet

Voici l’occasion de repartir du bon pied à propos de l’éclairage ! Parlons de la marche aux heures sombres. Une marche urbaine nocturne, a fortiori sur un itinéraire quotidien, s’apparentera plus facilement à un passage obligé qu’à un moment pour soi. Comment faire alors pour qu’un trajet nocturne réalisé à pied devienne un moment de détente et ne se réduise pas à l’élaboration d’une stratégie pour relier au plus vite, et le plus sûrement, un point de départ et sa destination ? Quel arbitrage pour les villes entre les enjeux d’économie d’énergie, de biodiversité et de prise en compte des besoins des riverains ?

Avec 17,2 millions de déplacements quotidiens, la marche est le premier mode de déplacement utilisé en Île-de-France, dont une part importante est réalisée de nuit si l’on considère la période de jours courts et le nombre de travailleurs de nuit et en horaires décalés1.

L’augmentation récente du coût de l’énergie provoque une accélération fulgurante de la rénovation du parc de luminaires, d’une part, et des extinctions pures et simples, d’autre part. Qu’il s’agisse de motivations économiques ou environnementales au sens large, le mobilier et les pratiques d’éclairage sont complètement bousculés. Et l’usager souvent laissé de côté, alors que les choix techniques seraient l’occasion de le reconsidérer.

Seule la question de l’impact de la lumière artificielle nocturne sur la santé, bien que souvent évoquée à la marge et de manière incomplète, le concerne directement4. Avec cette équation, il n’est pas étonnant de voir à quel point il est difficile d’infléchir la pollution lumineuse. Une étude parue dans la revue Science en janvier 2023 montre que la luminosité du ciel a augmenté de près de 10 % par an entre 2011 et 2022, ce qui correspond à un doublement de la pollution lumineuse tous les huit ans5. Si les bienfaits de la marche ne sont plus à démontrer6, le confort ressenti dans la pratique en détermine une grande part. Bien que non suffisant en soi, un éclairage adapté reste essentiel pour pratiquer sereinement la marche.

L’état de santé du parc d’éclairage en France n’est pas reluisant. Les lampadaires sont vieillissants. Plus de 4 millions d’entre eux (40 %) ont plus de 25 ans. Ils sont énergivores et ont de plus été installés à une époque où les considérations relatives à la protection de la biodiversité et du ciel étoilé n’étaient pas aussi clairement ancrées dans la réglementation.

Il s’agira ici de revenir sur deux notions fondamentales que sont la pollution lumineuse et le confort visuel. La première notion étant mal comprise et la seconde simplement occultée. Sous ce nouvel angle il apparaîtra qu’améliorer le confort visuel est un excellent moyen de juguler la pollution lumineuse. Et inversement. Démonstration.

Pour une définition opérationnelle de la pollution lumineuse

Du point de vue de l’écologie, toute lumière artificielle nocturne, même d’intensité faible, constitue une pollution pour la biodiversité7. Chacune des longueurs d’ondes qui composent le spectre visible impactent les écosystèmes, les espèces et les fonctions métaboliques de la faune et de la flore. C’est pourquoi l’extinction de l’éclairage urbain est un levier pour diminuer la pollution lumineuse en milieu rural comme en centre-ville.
Mais l’extinction n’est pas le seul ! Cette mesure entraîne avec elle tout un lot de représentations propices à l’inquiétude, à savoir des rues qui seraient « plongées dans le noir » et le retour de l’insécurité. De même qu’assimiler de manière systématique, éclairage et pollution lumineuse est un raccourci facile qui laisserait penser à la collectivité qu’elle se trouve face à un dilemme (dissonance cognitive) qui l’inviterait à choisir entre le (son) bien-être des riverains et piétons, et la préservation de l’environnement au sens large.

Du point de vue anthropique, la pollution lumineuse doit se définir de manière plus souple. Qu’elle soit naturelle ou artificielle, la lumière définit notre espace de mobilité. Homo sapiens a besoin d’une trame lumineuse8, tout comme les espèces sauvages ont besoin d’une trame noire. Dans ce contexte, la pollution lumineuse peut se définir comme toute lumière émise inutilement. En d’autres termes, comme toute composante de la lumière artificielle qui ne participe pas à répondre au besoin des usagers. L’être humain, en tant que mammifère, a également besoin de la trame noire, et même de l’absence totale de lumière à certains moments pour préserver pleinement sa santé9.

La question essentielle n’est plus donc de savoir s’il faut allumer ou éteindre. Il est désormais question d’identifier les besoins exprimés par les riverains10 et d’y répondre en élaborant une stratégie lumière qui prenne en compte les besoins physiologiques de l’être humain tout comme les mécanismes impliqués dans la vision.

Si toute modification de l’éclairage est implicitement perçue par le piéton comme une perte de confort c’est parce que celui-ci, par habitude, considère la pratique actuelle d’éclairage comme optimale, même si elle ne l’est pas.

Les clés du confort visuel et du ressenti

Deux aspects permettent qualifier le confort. Le premier interroge l’adéquation de l’éclairage avec la vision humaine. L’éclairage occasionne-t-il une gêne ou un inconfort ? Le second aspect concerne le ressenti : la personne se sent-elle bien dans l’espace public ? Il s’agit d’une dimension subjective mais la plupart des usagers interrogés semblent partager des préférences communes à ce sujet11. Un éclairage confortable doit donc répondre aux bonnes pratiques suivantes :

  • Placer les sources lumineuses aux bons endroits
    L’emplacement judicieux des sources lumineuses apparaît de loin comme le premier critère d’un éclairage rassurant pour plus de 80 % des usagers, loin devant le rendu des couleurs (10,3 %), le nombre de sources lumineuses (6,2 %) et l’intensité lumineuse (2,1 %).
     
  • Éviter l’éblouissement direct
    Un éblouissement direct est provoqué lorsque qu’un rayon lumineux, dont l’intensité est supérieure à celle pour laquelle l’œil est adapté à ce moment, croise le regard. Cela peut provoquer une persistance rétinienne du halo lumineux qui se superposera au champ visuel pendant une durée plus ou moins longue en fonction de l’intensité de l’éblouissement. Durant ce laps de temps la capacité à voir un danger ou un obstacle sera grandement diminuée. Si cela occasionne simplement une gêne pour la marche, cela devient un risque à vélo ou en en voiture. Par ailleurs, un bref éblouissement suffit à déclencher des migraines ophtalmiques chez certaines personnes. De plus, les personnes présentant des déficiences visuelles sont particulièrement sensibles à l’éblouissement. Pour éviter l’éblouissement direct, il sera donc nécessaire de diriger avec précision la lumière uniquement sur la surface à éclairer.

Les LEDs ont un fort pouvoir d’éblouissement, car le flux lumineux qu’elles produisent est puissant et provient d’une surface d’émission très petite. À ce jour, l’intégralité des modifications sur l’éclairage se fait au profit des LEDs.

  • Assurer des transitions douces dans les conditions d’éclairage
    Les forts contrastes entre des zones avec des intensités d’éclairage différentes augmentent le sentiment d’insécurité pour 40 % des personnes interrogées. Ces ruptures brutales d’ambiances peuvent également engendrer un éblouissement indirect le temps que l’œil s’adapte aux nouvelles conditions d’éclairage plus intenses. Inversement, l’entrée dans un espace ayant une plus faible luminosité que le précédent peut engendrer un sentiment d’insécurité, car la personne aura une sensation de manque de lumière le temps que sa vision s’adapte aux nouvelles conditions. De la même manière que la flamme d’une bougie suffit à éblouir une personne ayant passé un long moment dans le noir complet mais passe presque inaperçue en plein jour, c’est la différence rapide de luminosité qui occasionnera une gêne et non la luminosité initiale ou finale en elles-mêmes.
     
  • Choisir une intensité modérée de l’éclairage
    Près des trois quarts (70 %) des usagers trouvent l’espace public trop éclairé et 96 % sont favorables à une diminution de l’intensité lumineuse. Voici un ordre de grandeur intéressant au sujet de l’intensité lumineuse. En plein jour, l’éclairement est de 100 000 lux. En condition de pleine lune sans nuage, cette valeur tombe à moins de 1 lux. Pourtant, une personne sans déficience visuelle y verra assez pour réaliser une marche nocturne.
     
  • Optimiser la vision des contrastes
    Lorsque la luminosité baisse, l’œil passe progressivement de la vision photopique, une vision centrale qui permet de voir les couleurs et la précision des détails, à une vision scotopique, très efficace dans la lecture des contrastes et mettant en jeu la vision périphérique. En condition de luminosité intermédiaire, les deux mécanismes sont activés. Les lumières tamisées permettent donc de mieux percevoir les contrastes en conditions nocturnes.

Montpellier Méditerranée Métropole a mené depuis 2021 des marches nocturnes avec des personnes présentant des déficiences visuelles. Lors de cette concertation, les participants ont plébiscité les éclairages doux et très chaud (1600 K). Ces préférences sont en fort décalage avec les pratiques actuelles qui déploient des lumières assez blanches (3000 K le plus souvent, seuil max autorisé par la réglementation), des intensités plus fortes. Ces préférences sont également valables pour les personnes ne présentant pas de trouble visuel car les mécanismes mis en jeu sont les mêmes.

 

  • Éclairer au bon moment
    Afin de conserver un bon niveau de confort visuel, l’éclairage devrait servir uniquement en compensation d’une luminosité naturelle insuffisante. L’éclairage public est la plupart du temps déclenché grâce à des horloges astronomiques qui sont calées sur le lever et le coucher du soleil. Or la luminosité reste excellente 30 minutes après le coucher du soleil et 30 minutes avant son lever. L’aube et le crépuscule sont également des moments de connexion avec la nature, en complément des étoiles observables en cœur de nuit.
     
  • Utiliser des couleurs chaudes
    La longueur d’onde bleue présente dans les lumières LEDs est nocivs pour le métabolisme de l’être humain et pour la vision. C’est pour cette raison que les médecins préconisent l’utilisation de lumières orangées pour préserver la santé.

L'adaptation de l'œil

L’œil12 humain possède une fabuleuse capacité à s’adapter à des variations d’intensité de la lumière ambiante. Il est capable de traiter une information visuelle dans une gamme de luminance variant de 1 à 100 millions. Le terme adaptation est utilisé pour définir les modifications de la sensibilité du système visuel aux variations d’intensité de la lumière et, plus particulièrement, l’augmentation de la sensibilité de la rétine en obscurité et sa diminution dans un environnement éclairé. L’adaptation est essentiellement photochimique. Les récepteurs rétiniens contiennent des pigments qui absorbent l’énergie lumineuse. Lorsque la lumière est absorbée, les pigments se décomposent et libèrent un signal nerveux interprété comme de la lumière. Dans l’obscurité, le pigment des bâtonnets (rhodopsine) est régénéré et il est de nouveau disponible pour capter la lumière. Il faut 25 minutes pour que l’œil récupère 80 % de sa sensibilité et une heure pour un adaptation complète.

Éblouissement : lors du passage d’une zone de pénombre vers une zone plus lumineuse. En condition de pénombre, la pupille se dilate pour que l’œil maximise la quantité de lumière reçue. En cas d’augmentation rapide de la luminosité, l’œil est ébloui le temps de contracter la pupille.
Adaptation : lors du passage d’une zone lumineuse à une zone moins éclairée.

Les cinq facteurs d’un éclairage vertueux

Les guides d’écologie permettant d’élaborer des réseaux sombres favorables à la biodiversité (ou trames noires) proposent des bonnes pratiques d’éclairage pour limiter l’impact de la lumière sur le vivant. Le bon paramétrage de cinq facteurs permet d’optimiser la part de lumière utile. Il s’agit d’ajuster l’intensité lumineuse, la température de couleur, l’orientation du flux lumineux, l’emplacement de la source lumineuse et l’horaire de fonctionnement14.

1. L'emplacement

Afin de limiter l’impact de la lumière artificielle nocturne sur la faune et la flore, il est nécessaire d’identifier les secteurs ayant un haut niveau de biodiversité et de prioriser les actions de sobriété lumineuse sur ces secteurs.

2. L'horaire d’allumage

L’aube et le crépuscule constituent des pics d’activité pour la faune sauvage. Contre toute attente, en cœur de nuit, la faune est bien moins active que dans ces périodes charnières entre le jour et la nuit. Cela s’explique par le fait que les proies (rongeurs, insectes…) profitent de la baisse de luminosité. Elles peuvent ainsi se déplacer facilement tout en étant moins visibles qu’en plein jour. Inversement, les prédateurs (chauves-souris, rapaces nocturnes…) profitent de cette augmentation d’activité de leurs proies pour chasser mais sans pouvoir bénéficier de conditions nocturnes complètes qui les avantageraient. Il est ainsi primordial de ne pas déclencher l’éclairage en extrémité de journée comme c’est le cas actuellement. Il est préférable de décaler l’allumage de l’éclairage une demi-heure après le coucher du soleil et de l’éteindre une demi-heure avant son lever.

3. L’orientation du flux lumineux

Une grande part de la pollution lumineuse est due à la dispersion de la lumière directement vers le ciel. Pour cette raison, la réglementation interdit désormais que les lampadaires éclairent au-dessus de l’horizontale. La lumière doit être intégralement dirigée vers le sol. Par ailleurs, il convient d’éclairer uniquement la surface cible en évitant les déperditions latérales de lumière. Pour le confort de la marche, il est important que le sol soit éclairé de manière à gérer les irrégularités du terrain et à voir les obstacles à éviter.

4. La température de couleur

Les longueurs d’ondes nocives notamment le bleu doivent être évitées au maximum. Pour cette raison il est préférable d’utiliser des couleurs orangées. Par ailleurs, comme chaque longueur d’onde est associée à des impacts plus ou moins forts sur la biodiversité, il est également conseillé de privilégier des spectres lumineux les plus étroits possibles. Cela limitera de manière mécanique les impacts. À noter que ces spectres étroits donneront un moins bon rendu des couleurs en comparaison d’une lumière blanche. Cependant, comme vu plus haut, ce paramètre est considéré comme secondaire pour les usagers.

5. L'intensité de la lumière

Diminuer l’éclairement est également d’un moyen très efficace de réduire la pollution lumineuse. La réglementation fixe des limites maximales au sujet du flux lumineux total émis. Ces valeurs restent très au-dessus de celles qui suffiraient à un bon confort visuel. Les retours d’expérience montrent qu’une baisse d’intensité très importante de l’éclairage passe très souvent inaperçue par les habitants.

Pollution lumineuse et biodiversité

La température de couleur, exprimé en Kelvin, traduit la proportion de bleu et de rouge dans le spectre lumineux. Une lumière dite chaude comportera une forte proportion de rouge et correspondra à une faible température de couleur. Pour préserver la biodiversité il est conseillé de limiter la proportion de bleu émise dans le spectre lumineux car cette longueur d’onde est la plus nocive pour la faune. Le bleu est aussi responsable des impacts sur la santé humaine.

L'IRC, c'est quoi ?

L’indice de rendu des couleurs est une grandeur comprise entre 0 et 100 traduit la capacité d’une lumière artificielle à restituer les nuances de couleurs comme elles seraient perçues de jour. La valeur 100 caractérisant un rendu des couleurs parfait. Ainsi, plus la lumière artificielle a une composition proche celle du soleil plus le rendu des couleurs sera bon. En conséquence, sous un éclairage composé d’une lumière pour lesquelles certaines longueurs d’ondes sont réduites ou absentes les couleurs seront altérées. Plus le spectre lumineux sera étroit plus les couleurs se confondront dans des nuances de gris. Cet indice de rendu des couleurs est souvent cité comme un élément important dans le choix de l’éclairage par les décideurs alors que seulement 10% des riverains y attachent de l’importance selon l’enquête de L’Institut.

En conclusion...

L’un des plus grands défis pour l’éclairage sera d’arriver à créer une cohérence à l’échelle régionale dans les mises en lumière pour éviter les ruptures brutales d’ambiances propices à la gêne et au sentiment d’insécurité. Repenser l’éclairage public ou privé en replaçant l’être humain parmi les espèces modèles utilisées en écologie permettrait de faire un bond qualitatif majeur vers une meilleure compréhension du sujet. Cette approche permet de révéler de nombreuses synergies encore inexploitées.

Nicolas Cornet, écologue, L'Institut Paris Region

1. De l’ordre de 15 % de travailleurs de nuit en France selon Santé Publique France.
2. La nécessaire optimisation de la gestion des éclairages publics : l’exemple de communes d’Auvergne.
3. Arrêté du 27 décembre 2018 relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses.
4. Nicolas Cornet, Laetitia Touzain, « La trame lumineuse, un nouveau concept au service d'un environnement nocturne apaisé », Note rapide Environnement, n° 920, L'Institut Paris Region, novembre 2021.
5. DOI: 10.1126/science.abq7781
6. Voir la Chronique de la marche et de l'espace public, n° 4, « Vivre la ville en bonne santé, marcher, bouger ! ».
7. Même les petites décorations de jardin qui utilisent des LEDs solaires peuvent perturber les insectes. Voir, notamment Eccard J.A., Scheffler I., Franke S. & Hoffmann, J., 2018. Off‐grid: solar powered LED illumination impacts epigeal arthropods. Insect Conserv Divers 11, 600-607
8. Op. cit.
9. Rapport de l'Académie nationale de médecine, 2021.
10. Nicolas Cornet, Laetitia Touzain, « Reconnecter l'éclairage public aux besoins des usagers », Note rapide Environnement, n° 921, L'Institut Paris Region, novembre 2021.
11. Les chiffres mentionnés dans ces paragraphes sont issus d’une étude menée par L’Institut en 2021 auprès de 2 778 personnes en France et en Île-de-France : NR 921 « Reconnecter l’usager à l’éclairage public ».
12. R. Floru. Éclairage et vision. [Rapport de recherche] Notes scientifiques et techniques de l’INRS NS 149, Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS). 1996, 135 p., ill., bibliogr. hal-01420151
13. Arrêté du 27 décembre 2018
14. Guide « Trame Noire »

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