Prévenir les violences sexuelles et sexistes envers les femmes dans les transports franciliens

Note rapide Prévention-Sécurité, n° 964

24 novembre 2022ContactHélène Heurtel, Fabrice Fussy (ONDT)

Comment décrypter les atteintes sexuelles et sexistes dans les espaces de transport en commun ? Une approche multi-sources, reposant sur les signalements et les données d'enquête, se révèle particulièrement utile pour mieux appréhender le phénomène et aider à la mise en place d'actions encore plus efficaces pour lutter contre cette forme de violence.

Plus de neuf victimes sur dix des atteintes sexuelles et sexistes dans les transports en commun d’Île-de-France sont des femmes. Tel est l’un des grands enseignements de deux études pionnières sur l’insécurité dans les transports collectifs, menées par L’Institut Paris Region et le ministère chargé des Transports. Selon la première, réalisée en 2019, 93,5 % des personnes déclarant avoir été victimes d’agressions sexuelles et sexistes dans les transports franciliens au cours des trois années précédentes sont des femmes. De son côté, l’Observatoire national de la délinquance dans les transports (ONDT) publie pour la première fois un bilan national des atteintes sexistes dont les données à l’échelle de l’aire urbaine de Paris évaluent à 91 % cette proportion. Par ailleurs, dans l’enquête de L’Institut, près de la moitié (47,4 %) des femmes victimes ont moins de 25 ans, un taux qui baisse à 34,7 % chez les hommes.

DAVANTAGE DE SIGNALEMENTS DE HARCÈLEMENT PARMI LES FEMMES VICTIMES

L’enquête révèle que les Franciliennes victimes ont davantage tendance à signaler des situations de harcèlement sexuel ou sexiste (77,1 %, contre 58,7 % chez les hommes). Cette surexposition des femmes semble particulièrement marquée chez les jeunes : l’écart entre la proportion d’hommes et de femmes victimes mentionnant ce type d’atteintes est de 23 points pour la tranche d’âge des 18-24 ans et de 22,7 points pour les 25-34 ans, contre 9,4 points pour les 35-54 ans et 2 points pour les 55 ans et plus. S’agissant des agressions sexuelles physiques (viol et tentative de viol, attouchements, frottements, etc.), il existe, en revanche, peu d’écart entre hommes et femmes. Si les hommes sont en général moins victimes que les femmes, lorsqu’ils le sont, ils subissent dans les mêmes proportions qu’elles des violences physiques : 59,1 % des femmes et 60,5 % des hommes victimes. Une même victime peut endurer différents types de violence en trois ans. Ainsi, parmi les femmes se déclarant victimes de violences sexuelles et sexistes dans l’enquête, plus d’un tiers (36,2 %) mentionnent à la fois une agression physique (viol ou tentative, attouchements, frottements, etc.) et une situation de harcèlement sexuel ou sexiste. Un peu moins d’une sur quatre (22,9 %) parle exclusivement de violence physique, et deux sur cinq (40,9 %) de harcèlement sexuel ou sexiste.

DES PEURS PLUS FRÉQUENTES ET PLUS RÉCURRENTES CHEZ LES JEUNES FEMMES VICTIMES

Si le sentiment d’insécurité dans les transports en commun est particulièrement ancré chez les femmes victimes de violences sexuelles et sexistes, ce constat est encore davantage marqué chez les plus jeunes, 87,1 % des femmes victimes déclarent au moins une expérience de peur au cours de l’année précédente, un taux qui diminue à 68,2 % chez les 55 ans et plus, tandis que, chez les hommes victimes, il oscille entre 74,3 % et 82,2 %, selon la tranche d’âge. Cela se traduit aussi par des jeunes femmes victimes de violences sexuelles et sexistes plus sujettes à se sentir en insécurité dans les transports en commun de manière récurrente (25,6 % de celles qui ont entre 18 et 24 ans et 23,1 % des 25-34 ans mentionnent plus de dix situations anxiogènes au cours de la dernière année, contre 15 % et 11 % pour les tranches d’âge supérieures à 35 ans).

UNE APPRÉHENSION PLUS MARQUÉE EN SOIRÉE ET LA NUIT

La peur du harcèlement sexuel ou sexiste et celle de l’agression sexuelle physique s’expriment moins en journée qu’en soirée ou la nuit (respectivement 24,7 % et 28,6 % des craintes ont été ressenties entre 8 h 30 et 18 h 30). Pourtant, au regard des résultats du bilan des atteintes à caractère sexiste de l’ONDT, la journée apparaît propice aux violences : 46,6 % des agressions sexuelles physiques et 50,1 % des autres types d’atteintes sexuelles et sexistes ont été commises le matin ou l’après-midi. Cette structuration des peurs autour de l’obscurité est donc, en partie, en décalage avec les faits. Toutefois, la répartition des atteintes sexuelles et sexistes par tranche horaire atteint son niveau le plus élevé entre 19h et la fin de service. Parmi les raisons d’avoir peur de subir une situation de harcèlement ou d’agression sexuelle physique, une forte proportion de femmes évoque la présence de personnes alcoolisées ou droguées (respectivement 50,1 % et 42,6 %, selon la nature de la peur). Le sentiment de solitude (lieu désert) est la deuxième raison la plus citée (45,5 % et 39,9 %), suivi par l’absence de personnel de transport5 (35,7 % et 35,2 %) et la présence de personnes inciviles6 (38,8 % et 28,1 %). Ces données sur les « stimuli » de la peur constituent des informations utiles pour adapter au mieux les actions visant à rassurer les utilisatrices des transports en commun. Reste à tenir compte aussi de la temporalité de ces facteurs, certains paraissant davantage diurnes ou nocturnes.

La peur du lieu désert la nuit et celle de la foule le jour

Le fait de se trouver dans un lieu désert est mentionné comme élément déclencheur par 50,9 % des femmes qui ont eu peur de subir un harcèlement sexuel ou sexiste en soirée ou la nuit, contre 29,3 % en journée (matin ou après-midi). En outre, l’écart est relativement important chez celles qui ont redouté une agression sexuelle physique (45,7 %, contre 25,3 %). Inversement, se retrouver dans un espace très fréquenté s’impose comme un facteur de peur davantage diurne : il est deux fois plus souvent cité par les femmes qui appréhendent un harcèlement sexuel ou sexiste ou une agression physique sexuelle (respectivement 18,9 % et 40,7 % des femmes inquiètes en matinée ou l’après-midi, contre 9,4 % et 19 % en soirée ou la nuit). Dans une moindre mesure, une différence émerge concernant les personnes alcoolisées ou droguées : leur présence est davantage mentionnée comme alimentant la peur en soirée ou la nuit (52,5 % des femmes qui redoutent un harcèlement sexuel ou sexiste et 47,1 % de celles qui craignent d’être agressées sexuellement, contre respectivement 42,8 % et 31,6 % en journée). En revanche, l’absence de personnel de transports n’entraîne pas de différence : environ un tiers des femmes sujettes à la peur mentionnent ce « stimulus » aussi bien en journée (36,5 % de celles qui redoutent un harcèlement sexuel ou sexiste et 32,8 % de celles qui appréhendent une agression sexuelle physique) qu’en soirée ou la nuit (respectivement 35,4 % et 36,2 % des femmes). La présence de personnes aux comportements incivils alimente également de la même façon les peurs diurnes et nocturnes (38,8 % des femmes qui ont peur de subir un harcèlement sexuel ou sexiste en journée et 38,8 % en soirée ou la nuit ; respectivement 26,9 % et 28,6 % s’agissant de la crainte de l’agression sexuelle physique).

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TRAINS ET RER DAVANTAGE ANXIOGÈNES

Pour mieux comprendre le fonctionnement de la peur des atteintes sexuelles ou sexistes chez les femmes, il faut se pencher sur le lieu où cette peur se manifeste. Les modes de transport les plus cités comme étant anxiogènes (hommes et femmes confondus) sont aussi ceux qui enregistrent le plus d’atteintes. Selon le bilan 2020 des atteintes à caractère sexiste dans les transports de l’ONDT, les atteintes sont en effet majoritairement commises dans le mode de transport « train/RER » (1 447 atteintes). Viennent ensuite le métro (599), le bus (308) puis le tramway (156). Ce classement se révèle conforme à celui obtenu à partir des données de l’enquête « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France », menée tous les deux ans par L’Institut depuis 2001 auprès des Franciliens : 32,8 % des personnes interrogées déclarent avoir eu peur, au moins de temps en temps dans le RER ou le train, 29,2 % dans le métro, 15 % dans le bus et 13 % dans le tramway, pour la dernière édition de l’enquête, en 2021. Autre dimension à prendre en compte : la localisation précise de ces expériences de peur au sein des espaces de transport, sachant qu’il existe des variations selon le moment de la journée. Si le véhicule de transport (rame, wagon, bus…) apparaît comme un espace particulièrement propice aux craintes, il l’est plus encore quand une agression sexuelle physique est redoutée en journée, rassemblant jusqu’à 82,5 % des expériences de ce genre. En soirée ou la nuit, ce constat est moins prononcé, le véhicule de transport concentrant 66,7 % des peurs. Il en est de même pour la peur d’être victime de harcèlement sexuel ou sexiste en journée (63,9 %), moins quand cette peur se manifeste en soirée ou la nuit (54,1 %). Cette concentration des peurs en fonction des espaces montre que les quais ou les points d’arrêt se révèlent être bien plus propices à la crainte du harcèlement sexuel ou sexiste en soirée ou la nuit (24,6 %), voire en journée (20 %), que celle d’agression sexuelle physique nocturne (12,1 %) et encore moins le jour (7,7 %). Concernant les autres lieux, comme les couloirs ou les rampes d’accès, il semble en revanche ne pas y avoir de différence selon la nature de la peur, mais davantage selon le moment de la journée.

LE RENFORCEMENT DE LA PRÉSENCE HUMAINE PLÉBISCITÉ

Pleinement engagés dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans les espaces de transport, les acteurs locaux du transport, autorités organisatrices et exploitants, mettent en place différentes mesures pour prévenir ce type d’atteintes. C’est le cas en particulier du numéro d’alerte 3117 mis en place par Île-de-France Mobilités sur le réseau francilien. Ces dispositifs influent sur le sentiment des voyageuses et voyageurs d’être en sécurité.

Il est important de prendre en compte cette dimension, au regard de l’impact que cela peut avoir sur l’utilisation des transports, certaines femmes allant jusqu’à renoncer à les prendre, car elles redoutent d’y subir un vol ou une agression. Selon l’enquête « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de- France », réalisée début 2021, 5 % des Franciliennes âgées de 15 ans et plus sont dans cette situation. Certains dispositifs sont particulièrement attendus par les femmes qui redoutent des violences sexuelles ou sexistes, en particulier le renforcement de la présence humaine, qu’il s’agisse des représentants des forces de l’ordre ou des agents des entreprises de transport (respectivement 54,8 % et 53,8 % des femmes concernées par la peur de l’agression sexuelle physique, et 45,8 % et 58 % de celles qui déclarent craindre un harcèlement sexuel ou sexiste). Ces attentes sont aussi partagées par les femmes victimes de violences sexuelles ou sexistes (respectivement 48,4 % et 55,5 % d’entre elles). Relativement récente en France, la descente à la demande mise en place dans les bus en soirée ou la nuit est plébiscitée par les voyageuses et voyageurs, qui la trouvent rassurante. Ce dispositif consiste à offrir aux usagers la possibilité de descendre entre deux arrêts de bus afin de les rapprocher de leur destination. À ce jour, plus de 60 lignes de bus en Île-de-France proposent ce service. Le déploiement de la descente à la demande s’impose comme une attente des femmes qui redoutent l’agression physique sexuelle dans les transports (28,5 %) à peu près au même niveau que celle de caméras de surveillance (29,3 %). Chez les femmes qui appréhendent de subir un harcèlement sexuel ou sexiste en particulier, la descente à la demande devance même la présence de caméras, davantage de femmes aspirant à voir ce dispositif renforcé (32,5 %, contre 25,1 % pour la vidéoprotection). Cette volonté se retrouve également chez les femmes victimes de violences sexuelles ou sexistes, 27,2 % d’entre elles déclarant souhaiter son déploiement.

LES STRATÉGIES DES FEMMES CONTRE LA PEUR

L’insécurité associée aux espaces de transport en commun peut conduire les femmes à adopter des comportements de vigilance et d’évitement pour tenter de se prémunir contre ces atteintes ; une appréhension considérée comme « naturelle », « évidente » pour certaines7, fruit de l’éducation et plus généralement de la place de la femme dans la société encore aujourd’hui. Mettre en place des stratagèmes s’avère encore bien plus répandu parmi celles qui ont subi des violences sexuelles ou sexistes. Être attentives ou vigilantes dans les transports peut ainsi paraître « normal » pour les femmes8. Presque toutes adoptent cette tactique (98,6 % des victimes de violences sexuelles ou sexistes et 96,1 % des non-victimes déclarent le faire quelques fois ou souvent). Paraître occupées est aussi une stratégie fréquemment utilisée, d’autant plus chez celles qui ont subi des violences sexuelles ou sexistes (91,4 %, contre 79,1 % des non-victimes). Adapter son apparence9 fait également partie des stratagèmes utilisés (65,2 %, contre 53,3 %) et, dans une moindre mesure, opter pour d’autres modes de déplacement10 (48 %, contre 39 %) ou se faire accompagner (40,4 %, contre 26,4 %).

Ces stratégies adoptées par les femmes témoignent de la difficulté encore prégnante pour elles de se déplacer dans leur vie quotidienne. L’insécurité qu’elles associent aux transports en commun constitue une entrave à leur mobilité, et les comportements qu’elles adoptent ne peuvent s’imposer comme des solutions pérennes et encore moins acceptables. Sécuriser davantage ces espaces, et pas seulement en matière de lutte contre les agressions et les vols, mais également en contribuant à les rendre moins anxiogènes, reste une priorité pour les acteurs des transports. Cela correspond à une attente forte de la part, notamment, des Franciliennes victimes de violences sexuelles ou sexistes dans les transports : 42,7 % d’entre elles déclarent ne pas avoir d’autre choix que de les prendre.■

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