Entre petits boulots et recherche d’appartement : un parcours semé d’embûches pour les jeunes en quête d’autonomie

Les Franciliens - Territoires et modes de vie   Sommaire

30 septembre 2021

Julie, 24 ans, étudiante à Sciences Po

Paris, 75

Julie a vécu à Vanves (92) chez ses parents jusqu’à son entrée en classe préparatoire au lycée Lakanal de Sceaux (92). Sa situation devenait compliquée dans l’appartement familial, car elle partageait une chambre avec son frère. Elle choisit donc d’intégrer l’internat à Lakanal pour gagner un peu en indépendance et intimité. Après ses deux années de prépa, elle trouve une chambre à la Cité internationale universitaire de Paris (14e arrondissement), toujours partagée afin de bénéficier d’un loyer réduit (320 €/mois). Depuis quatre ans, elle occupe une chambre de bonne de 10 m2 dans un quartier central de la capitale, pour un loyer mensuel de 560 € charges comprises. Elle est aidée par ses parents et reçoit deux bourses mensuelles : celle du Crous (100 €) et celle de Sciences Po (75 €). Elle perçoit également l’APL, dont le montant a été réduit à 200 €. Avant la réforme des APL dites « en temps réel », cette allocation s’élevait à 254 € mensuels. Pour compléter ses revenus, Julie a longtemps donné des cours particuliers. Les stages en entreprises lui ont permis depuis de les augmenter quelque peu, le dernier ayant été rémunéré 1 000 € bruts mensuels. 

« Longtemps, je n’ai connu que des chambres partagées… »

La crise sanitaire est venue grandement bouleverser le quotidien de Julie. Lors du premier confinement, elle reste cloîtrée dans sa chambre de bonne. Les cours à Sciences Po sont suivis en visioconférences, « des conditions pas très stimulantes », et le reste de la journée consacré à la quête d’une formation en alternance. La solitude dans cet espace de vie réduit et les recherches inabouties du fait d’une situation générale de blocage l’affectent particulièrement. Pour le deuxième confinement, elle est accueillie chez des amis qui occupent un appartement plus spacieux. Par la suite, Julie effectue un stage dans les locaux d’une entreprise audiovisuelle, qui accorde la possibilité aux étudiants de se rendre sur place compte tenu de leur situation délicate. Elle peut ainsi échanger quotidiennement avec d’autres stagiaires.
Cette expérience du confinement a modifié radicalement les aspirations et projets résidentiels de Julie. Jusqu’à présent très attachée à son indépendance et à son logement autonome, même de petite surface, elle tend aujourd’hui à vivre plus entourée, notamment grâce à un projet de colocation avec ses amis. Et aussi « pour avoir enfin une machine à laver ! ». Aujourd’hui, Julie a terminé études et stages, et est en recherche active d’emploi, dans un secteur difficile d’accès : l’audiovisuel. L’emploi est pourtant la condition sine qua non pour intégrer cette colocation, dont une chambre doit se libérer prochainement. Le loyer mensuel à la chambre étant de 710 €/personne, des ajustements sont en train d’être discutés entre amis pour indexer le loyer à la surface. Par économie, Julie occuperait la plus petite chambre.

Les plus, les moins

+

  • Gagner en indépendance.
  • Avoir enfin une « chambre à soi ».

-

  • L’enfermement lors du premier confinement, sans aucun contact.
  • La solitude.
  • Une certaine précarité matérielle.

Élodie, 22 ans, éducatrice spécialisée dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance

Val-d’Oise, 95

Élodie a obtenu son diplôme d’éducatrice spécialisée en juin 2021. Depuis deux ans, elle occupait un poste en CDD à temps plein dans un foyer pour enfants placés relevant de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) dans le Val-d’Oise (95). Son contrat a été depuis transformé en CDI.
Élodie rencontre de grandes difficultés pour se loger. Elle est officiellement domiciliée chez sa mère, qui réside au sein du parc social dans une commune limitrophe de celle où elle travaille, mais ne séjourne quasiment plus dans l’appartement familial. Des difficultés relationnelles avec sa mère et sa sœur, avec laquelle elle partageait une chambre, l’ont amenée à s’installer en alternance chez son père, qui réside dans les Hauts-de-Seine, et chez une amie qui l’accueille avec sa famille dans le Val-d’Oise. Un parcours résidentiel chaotique où elle ne peut se poser nulle part, ni bénéficier du moindre moment d’intimité : chez son père, qui loge avec sa compagne dans un petit F2, elle dort sur le canapé du salon ; chez son amie, elle partage la chambre de l’enfant du couple. 
Entre son adresse administrative et ses deux foyers d’hébergement, localisés dans deux départements et trois communes, Élodie se sent totalement dispersée. Une situation très pesante qui lui fait aussi ressentir une grande gêne et une certaine culpabilité en « s’imposant » chez ses hôtes, dont elle vient « perturber l’intimité ». Sans compter ses difficultés pour rejoindre en transports en commun son lieu de travail val-d’oisien depuis les Hauts-de-Seine, lorsqu’elle séjourne chez son père.

« Une errance épuisante entre deux, voire trois lieux d’hébergement. »

Élodie a entamé le parcours de nombre de jeunes Franciliens en quête d’un logement. Son salaire de 1 500 euros nets ne lui permet pas d’accéder au parc de logement privé. Dans la commune où elle travaille (desservie par le RER C, appréciée pour sa proximité avec Paris et ses espaces verts), les loyers des plus petites surfaces s’élèvent à 750/800 €/mois. Il lui est également impossible de régler le dépôt de garantie équivalent à trois mois de loyer. Ce marché très sélectif privilégie, par ailleurs, les couples bi-actifs. Élodie ne peut se tourner que vers le parc social. Elle a constitué un dossier de demande de logement pour obtenir le numéro de dossier unique, qui lui donne également accès aux offres du 1 % patronal. Le parc social étant très peu pourvu en petits logements, et la liste d’attente tellement longue, qu’elle poursuit ses recherches quotidiennes, notamment sur le site De Particulier à Particulier. Elle tente aussi de solliciter son très petit réseau : son amie l’a mise en relation avec un collègue de son mari employé dans le bâtiment, qui pourrait bientôt lui faire visiter deux appartements.
Élodie reste très réservée sur sa situation et n’expose jamais ses difficultés auprès de ses collègues de travail et de sa hiérarchie. D’autre part, ses parents ont des situations professionnelles qui ne leur permettent pas d’aider leur fille à prendre son autonomie dans de meilleures conditions : son père est employé dans un commerce de bouche, sa mère assistance de vie pour les personnes âgées. Son père se porte toutefois garant pour une location. La prochaine étape pour Élodie est la prise de rendez-vous avec une assistante sociale du CCAS de sa commune de « résidence ». 

Les plus, les moins

+

  • Pas vraiment de « plus » dans une décohabitation obligée, sans réelle autonomie.

-

  • Pas de « domicile fixe ».
  • Pas d’offre immobilière adaptée pour les jeunes qui débutent avec de bas salaires.
  • Leur insertion professionnelle ne leur permet pas l’accès au logement dans les circuits traditionnels.
  • Des temps de transport élevés entre ses lieux d’accueil et son travail.
  • Une grande solitude face aux difficultés. 

Florian, 22 ans, étudiant en master 2 à l’École d’urbanisme de Paris

Champs-sur-Marne, 77

Florian a vécu chez ses parents à Versailles (78) jusqu’à l’âge de 20 ans. La famille, qui accueille quatre enfants âgés de 12 à 25 ans, est logée dans une maison avec jardin en cœur de ville. La cohabitation familiale s’est toujours déroulée sans ombrage, entre autres grâce à ce confort résidentiel qui a permis à chaque enfant d’avoir sa propre chambre. Plus que l’aspiration à l’autonomie, qui a pu jouer en second ressort, le départ de Florian du domicile parental est lié à son entrée à l’École d’urbanisme de Paris, située à Champs-sur-Marne (77), à près d’1 h 40 en transport de Versailles. Pour se rapprocher de son école, il trouve une location à Noisy-le-Grand (93), la commune limitrophe. 
Florian est issu d’une famille relativement privilégiée, mais la question financière a néanmoins été longuement discutée : le loyer du studio de 30 m2 (charges comprises) se situait dans la tranche haute de ceux pratiqués dans ce secteur seine-et-marnais. Ses parents consentent néanmoins à en acquitter une partie (500 €) le temps d’une année universitaire, le studio étant d’autre part très bien aménagé, situé à proximité de l’école, près de la gare et des commodités. Le reste sera complété par l’APL (200 €). Aucun moyen pour Florian de participer aux frais, le programme intense des cours ne lui laissant guère la possibilité de mener d’autres activités, ne serait-ce que pour un job d’appoint. Pour l’heure, il reste donc dépendant de ses parents.
Lors du premier confinement, il est inscrit en licence de géographie à la Sorbonne, et vit encore chez ses parents. Il a pu suivre tous ses cours à distance, même si l’organisation dématérialisée était complexe et peu souple. Lors du deuxième confinement, il quitte Noisy pour retourner vivre chez ses parents (avec une perte de deux mois de loyer) et suit ses cours en visioconférences, quasi sans interruption 8 h/jour. Toutefois, l’École d’urbanisme de Paris à visée professionnalisante propose un enseignement diversifié, dont des ateliers et des rencontres avec des professionnels qui se prêtent mal à l’enseignement à distance. C’est la discipline développée lors de ses années en classes préparatoires qui, selon Florian, a facilité l’assimilation des savoirs et des compétences dans ces conditions dégradées. Cette année et demie de confinement s’est soldée par une baisse de moral et un « fort sentiment de saturation », partagés par la majorité des étudiants. Ses bonnes conditions de logement dans un contexte familial favorable, et grâce à une connexion Internet efficace, lui ont toutefois permis de traverser sans trop d’encombre cette période déstabilisante.

« J’ai conscience de bénéficier d’une grande sécurité en pouvant retourner vivre chez mes parents dans les périodes de transition ou de crise sanitaire, par exemple. »

Installé depuis septembre 2021 à Amsterdam dans le cadre d’un échange universitaire, Florian fait l’expérience d’une nouvelle conception urbaine, assez contrastée avec celle de Paris, « moins violente » dans sa forme et ses modalités de cohabitation sociale : ville à taille humaine, qualité de vie au rendez-vous (« on peut se baigner dans les canaux ! »), logement adapté plus facile d’accès pour les étudiants étrangers qui ne restent qu’un semestre (l’université a développé des partenariats avec les bailleurs sociaux pour les loger), etc. Amsterdam connaît certes la même pression immobilière qu’à Paris, la surenchère des loyers (800 à 1 000 € pour un studio dans le parc privé, avec une qualité très variable), mais la vie lui semble plus agréable. Il apprécie sa colocation internationale plutôt confortable, avec une cuisine/pièce-à-vivre, des chambres individuelles et deux salles de bains à partager entre quatre colocataires (570 €/mois CC, possibilité d’une bourse Erasmus d’environ 150 € mensuels).
Florian sera de retour en janvier 2022 pour terminer sa formation, soutenir son mémoire et commencer son stage de fin d’études. La question de l’installation en Île-de-France reste en suspens. Les offres professionnelles dans le secteur de l’urbanisme y sont plus nombreuses (projet du Grand Paris) et la proximité familiale constitue un grand atout. Mais Florian étudiera aussi volontiers les opportunités en régions, voire à l’international, à moins qu’il ne complète sa formation par une année supplémentaire afin d’acquérir une compétence spécifique. Il a conscience que le domicile familial demeure une base arrière, vers laquelle il pourra se replier lors de périodes de transition (retour de stage, fin de parcours universitaire, recherche du premier emploi et début de la vie professionnelle, etc.), ou de crise comme celle de la Covid.

Les plus, les moins

+

  • L’apprentissage de l’autonomie.
  • L’ouverture sur le monde grâce aux échanges universitaires européens.

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  • Le manque d’espace dans de petits appartements, une certaine solitude, qui ont conduit à retourner au domicile parental lors du confinement.

Portraits réalisés par Isabelle Barazza
département Habitat et société de L'Institut Paris Region

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