Construire du logement en Île-de-France : les maires en première ligne
Chronique du logement n° 9 Sommaire

Le contexte de métropolisation de l’Île-de-France est marqué par un marché de l’immobilier très tendu. L’État et la Région partagent des objectifs ambitieux de construction de logements pour répondre à une forte demande insatisfaite et garantir les conditions de vie des habitants. Pour autant, concilier un développement urbain respectueux du ZAN et une densification acceptable socialement n'est pas chose aisée. Dans ce champ de contraintes, pourquoi et comment des maires franciliens ont, au cours des vingt dernières années, engagé et accompagné la production de logements neufs dans leur ville ?
Pour répondre à ce questionnement, L’Institut Paris Region mène une enquête pour décrypter les organisations mises en place par les maires de plusieurs des communes les plus bâtisseuses d’Île-de-France. Parmi les 1 266 communes d’Île-de-France, 77 apparaissent, selon la méthode mise en place dans ce travail, comme « très bâtisseuses ». Elles partagent pour caractéristiques d’avoir, sur la période 2008-2021, un taux annuel moyen de construction de logements de 2,7 % (deux fois plus élevé qu’à l’échelle de l’Île-de-France), 70 % de logements collectifs, une part conséquente de leur production en locatif social (20 à 25 %) et, fait notable, cette construction neuve se fait principalement en renouvèlement-densification ou par un recyclage urbain de parcelles non résidentielles. Ces communes, qui appartiennent principalement au cœur d’agglomération mais pas uniquement, se distribuent de manière assez homogène dans cet espace dense où le marché immobilier est dynamique avec des fonciers souvent chers et particulièrement convoités, ce qui constitue un élément central du modèle économique de la construction pour ces villes. De cette étude, qui fera l’objet d’un rapport plus complet, ressortent déjà les éléments suivants qui sont autant de pistes pour une mobilisation des territoires franciliens autour de la relance de la production de logements.
Que signifie être maire d’une commune bâtisseuse dans un contexte métropolitain ?
L’objectif, à l’origine de l’étude en cours, est de comprendre ce que signifie être le maire d’une commune bâtisseuse en Île-de-France à un moment où celle-ci est soumise à une très forte demande de logements, à des injonctions nationales pour parvenir à y répondre, à un moment aussi où la mise en place d’un grand projet urbain - celui du Grand Paris Express – reconfigure les centralités et les équilibres territoriaux de la région capitale. Dans un contexte, où les maires sont incités à « faire leur part » tandis que se renforcent les critiques de la densification urbaine parfois attribuée aux effets non contrôlés de la métropolisation, quels registres de motivations, quels discours et modes d’action, les maires mobilisent-ils pour accompagner et favoriser la production de logements dans leur commune ? Quels outils d’action publique et conditions de réussite doivent-ils réunir pour porter des projets de construction et les faire accepter ? Y a-t-il encore des maires qui endossent le rôle de maire bâtisseur ? Ce choix est-il politiquement risqué ? Voilà les principales questions qui guident notre enquête auprès de communes-bâtisseuses d’Île-de-France dont nous présenterons ici les premiers enseignements.
« Maire bâtisseur » : une catégorie d’analyse mais un rôle non revendiqué
Que signifie être un « maire bâtisseur » ? Au-delà d’être le maire d’une commune marquée par une forte dynamique de construction, la figure du « maire bâtisseur » tend à souligner une posture politique de portage et d'incarnation du projet de développement de la commune par l’élu. Au terme de ce travail, cette figure reste ambivalente et la manière d’endosser le projet de construire très variable parmi les élus de communes « bâtisseuses » que nous avons rencontrés. La plupart d’entre eux préfèrent mettre l’accent sur une vision plus vaste de l’aménagement de la ville, de l’accompagnement de ses évolutions et de la transformation des modes de vie.
Au-delà de l’étiquette revendiquée ou non, cette catégorie reste pertinente d’un point de vue analytique pour décrire un type de maire qui, par ses ressources, par la manière de se positionner dans l’écosystème local de la production de logements, par sa capacité à peser sur les acteurs locaux (sur les promoteurs notamment) endosse le rôle de maire bâtisseur. On ne peut ainsi pas négliger l’influence que peut avoir un maire sur la production du logement dans sa commune, autrement dit de prendre en compte la variable politique.
Par variable politique, on entend la capacité d’un élu à peser sur la fabrique du logement dans sa ville d’une double manière :
- par ses discours, par ses prises de position dans les campagnes électorales pour faire du logement un enjeu politique local ;
- par ses différentes ressources (foncières, financières, techniques) que nous avons cherché ici à identifier en décrivant les systèmes locaux de production de logements et la place qu’y occupe le maire.
Maire bâtisseur, maire battu : une corrélation qui n’est pas confirmée
Cette variable politique est souvent indissociable de la variable électorale. Le projet de relance de la construction de logements, de mutation du tissu urbain, coïncide, dans plusieurs de nos cas d’étude, avec un moment de compétition politique où un élu s’empare de la mairie, sur la base d’un programme de transformation urbaine et sociale de la ville.
La variable électorale – les élections municipales – joue aussi en accélérant ou en contraignant l’agenda de la construction. L’une des difficultés pour un maire est, en effet, d’incorporer le temps long de la construction dans le temps court d’un mandat municipal. Les deux temps étant souvent disjoints, un maire doit donc durer – c’est-à-dire se faire réélire – pour porter « son » projet de transformation urbaine. La difficulté est que le changement matériel - par recyclage de la ville sur elle-même ou par extension - et, plus encore, sociologique d’une ville requiert du temps. Or, en engageant des projets de logements sans engager leur construction, un maire s’expose au risque de se voir qualifié de maire « bétonneur ». Cette qualification joue dès lors comme un stigmate parce qu’elle renvoie à un univers de représentations négatives, à un modèle de développement peu vertueux, d’une ville toujours en expansion. Et, il est susceptible d’être mobilisé par des adversaires politiques, ou des citoyens mécontents dans le cadre d’élections municipales, pour dénoncer l’action d’un maire sortant. Avec en toile de fond le risque électoral que comporterait cette figure de « maire bâtisseur » ; un risque qui reste difficile à objectiver.
Les données des résultats électoraux que nous avons pu analyser ne nous permettent pas d’apporter une réponse tranchée à cette question. Néanmoins, le principal enseignement qui se dégage est que les maires et les majorités des communes bâtisseuses ne sont ni plus ni moins stables que ceux des autres catégories de communes se situant dans le cœur d’agglomération. « Être une commune bâtisseuse » ne constitue clairement pas une cause systématique d’échec, un handicap insurmontable, dans le cadre d’élections municipales surtout si cette politique a été accompagnée d’un discours clair, assumé et de réalisations concrètes de qualité. La rapidité de la mise en œuvre des projets permet en effet de donner une visibilité à la transformation de la ville. Le changement d’édile lié à une élection n’est pas le seul facteur expliquant pourquoi un maire se lance dans une politique de construction de logements et endosse – de fait – le rôle de maire bâtisseur.
Des motivations à construire et des facteurs déclencheurs très variés
Les maires des communes bâtisseuses étudiées sont portés par des motivations variées, dépendant de leur vision du développement de leur ville, des conditions de marché de leur commune ou de ses évolutions sociologiques. Nous en avons ainsi identifié plusieurs qui, selon les territoires, se combinent entre elles, voire évoluent dans le temps.
Il peut ainsi s’agir pour un maire de construire, dans le cadre d’un projet de profonde transformation matérielle et identitaire d’une ville, ou pour renouveler le récit et l’imaginaire local : valorisation ou prise de distance avec une identité ouvrière, volonté de devenir une polarité nouvelle du développement francilien, création d’équipements ou de paysages urbains « forts » (marina, quartier écologique exemplaire…), affirmation d’une nouvelle identité architecturale.
Construire des logements neufs, en privilégiant certains types de logement (au profit d’une offre sociale, en accession…), peut aussi être associé à la volonté de maîtriser ou de faire évoluer la composition sociale de la population de la commune, soit en attirant certaines populations cibles plus aisées, soit en préservant une part d’offre régulée afin de freiner autant que possible des processus de gentrification à l’œuvre. L’engagement très volontaire des élus pour produire du logement est, parfois aussi, une réponse apportée à la forte pression pesant sur le tissu pavillonnaire existant menacé de densification non régulée, une manière de garder la main sur le tempo et le profil de la construction. Ce tissu est en effet fortement convoité, aussi bien par de nouveaux ménages que par les promoteurs immobiliers qui le considèrent comme de la disponibilité foncière à valoriser, conduisant certains maires à le protéger en gelant, par le durcissement des règles du PLU, le potentiel foncier de leurs espaces pavillonnaires.
Un maire peut aussi accepter de construire pour « faire sa part » des obligations légales de production de logements et répondre aux objectifs définis à l’échelle régionale, en cherchant à garantir par son action la bonne intégration des opérations au tissu urbain de la commune et en s’assurant qu’elles s’insèrent au plus près des formes urbaines existantes.
Enfin, la production de logements a pu par le passé relever d’une logique budgétaire visant, dans une période d’austérité financière, à diversifier et augmenter les ressources financières en vendant les réserves foncières communales et les propriétés publiques en vue d’accroître les recettes foncières. Mais les analyses de la fiscalité locale montrent que cette stratégie n’a plus qu’un impact limité sur l’accroissement des moyens financiers d’une commune. Cette politique de cession des réserves foncières réduit de plus les marges de manœuvre d’une commune qui, en raison de la hausse du prix des terrains et des difficultés budgétaires, ne pourra pas à court et moyen terme, reconstituer des réserves foncières.
On le voit les raisons pour lesquelles les élus engagent leur commune dans un cycle de construction sont très variées. Si elles peuvent s’inscrire dans un projet politique affirmé de transformation de la ville, de sa forme, de son bâti, de son identité ou de sa sociologie, elles tiennent aussi à des contingences, des facteurs exogènes et des opportunités spécifiques qui constituent des « fenêtres d’opportunité », telles que l’arrivée de nouvelles infrastructures, la libération de grandes emprises urbaines ou la mise en vente de fonciers publics qui peuvent susciter un projet de construction ou en faciliter les conditions de mise en œuvre.
Face à l’enjeu de l’acceptabilité de la construction par les habitants, le rôle des maires et de l’incarnation politique du projet
Quelles que soient leurs motivations, les maires doivent de plus en plus tenir compte des réticences de leur population face à la construction qui, pour la majorité des élus rencontrés, constitue un des obstacles les plus évidents à l’engagement d’opérations d’envergure. Dans toutes les villes étudiées, cette question a été un des enjeux de la campagne municipale. Elle a nécessité pour le maire sortant une actualisation du plaidoyer, voire des aménagements du projet pour le présenter aux habitants.
Les contestations portées par les habitants ne correspondent cependant pas toujours à une opposition à l’acte de construire, mais sont des interrogations sur les finalités et les impacts des projets. Plusieurs maires ont notamment été interpellés sur la cible sociale potentielle des logements produits, avec une inquiétude sur leur destination : « pour qui construit-on ? » notamment dans les communes en voie de gentrification dont les habitants craignaient que les nouvelles opérations ne bouleversent l’équilibre du marché immobilier local. Par ailleurs, les élus interrogés observent qu’ils rencontrent peu d’opposition de principe ou de contestation collective lors de la mobilisation de grandes emprises et la valorisation immobilière de friches. Le « gagnant-gagnant » du projet qui conduit à remplacer des espaces souvent peu qualitatifs, déjà artificialisés, en y développant de nouveaux équipements publics, est plus facile à démontrer. Néanmoins, des débats avec les populations riveraines peuvent survenir dans ce type de projet sur les nuisances des chantiers, l’engorgement redouté des voieries ou encore les difficultés de stationnement à venir avec l’arrivée de nouvelles populations. Plus sensible est la question de la relation avec les riverains des opérations de construction et la mise en œuvre des projets en densification de tissu habité, où s’exprime le refus de la densification, souvent qualifiée alors de « bétonisation ». Sur ce point, tous les élus ont signalé la réactivité de plus en plus forte des populations et la croissance du nombre de contentieux engagés. Pour y répondre, les maires ont tous souligné la nécessité, en amont de la cristallisation des critiques, d’une grande réactivité de leur part. Face à ce risque, ils prennent très au sérieux leur rôle auprès des habitants pour faire accepter les projets de construction et réduire les nuisances qu’ils peuvent générer. Ils adoptent diverses stratégies et postures.
- La posture d’incarnation du projet que l’on retrouve chez les maires les plus proches de la figure de « maire bâtisseur ». Ces maires défendent activement les projets de construction, organisent une communication volontaire et précoce de leurs ambitions, et endossent la légitimité de l’opération par le pouvoir de leur mandat. Ils développent un récit « gagnant » sur les retombées positives pour les habitants des projets engagés : amélioration des équipements publics et des services, protection du tissu pavillonnaire, amélioration du cadre de vie et de la qualité des logements, création de nouvelles polarités commerciales, offre à destination des actifs de la commune...
- La stratégie de la co-construction du projet avec les habitants. Parmi les méthodes qui s’imposent pour parvenir à porter des projets de construction, plusieurs maires ont également mis en avant la nécessité de consulter, voire d’associer, le plus tôt possible les habitants sur la définition des projets et tout au long de leur mise en œuvre. Allant au-delà des seules obligations légales d’information, les élus tentent de renforcer l’association des habitants et expérimentent de nouvelles formes d’accompagnement des projets, soit en passant par des prestataires spécialisés, soit en régie. Tous veillent également plus systématiquement à ce que les promoteurs organisent des concertations précoces avec les riverains, voire se placent en situation de médiateur pour s’assurer de la résolution rapide des conflits éventuels. Ils insistent aussi sur la nécessité de maintenir un haut niveau d’information tout au long des projets et de mettre en place des modalités innovantes et des systèmes d’alerte permettant la remontée précoce des difficultés rencontrées (nuisances de chantier notamment, conflit avec un riverain…).
- L’accompagnement des nouveaux habitants au-delà de leur entrée dans un logement. Enfin plusieurs élus identifient un enjeu de maîtrise du rythme de livraison des logements, de préservation d’un temps d’intégration des nouveaux habitants. Ils mettent l’accent sur la nécessité d’organiser l’accueil des nouveaux habitants (cérémonie en mairie, inauguration de plaques de rue…) et de réguler le rythme de croissance de la population pour ne pas créer des effets de rejet, d’engorgement et de saturations des services et équipements publics.
Ainsi, le partage d’éléments de pédagogie sur les enjeux du logement dans la région, le transfert de bonnes pratiques entre territoires sur les modalités innovantes permettant l’organisation d’un dialogue de qualité avec les habitants sur les projets de construction est un axe important d’appui qui peut être proposé aux élus, et notamment dans les plus petites communes où l’ingénierie est réduite et les prestataires peu nombreux à intervenir.
Quels leviers dans les mains des maires pour maîtriser la production de logements ?
Comment les maires des communes bâtisseuses orientent voire contrôlent la production de logements dans leur commune ? Quand ils se lancent dans des projets de construction, que peuvent piloter les maires, sur quoi et comment parviennent-ils à garder la main ? Pour répondre à ces questions nous nous sommes intéressés à leur place dans l’écosystème d’acteurs de la production de logements.
Plusieurs enseignements se dégagent.
- Les maires des communes bâtisseuses, pour la plupart d’entre eux, souhaitent maîtriser la production de logements. Cette maîtrise passe par l’appui en ingénierie d’un opérateur de l’aménagement positionné au centre de l’écosystème de la construction, à l’échelle communale, intercommunale voire départementale. Disposer d’un opérateur à l’échelle intercommunale ou départementale constitue, pour un maire bâtisseur, un double atout : un atout financier et en ingénierie, un atout pour peser face aux promoteurs ; l’opérateur intercommunal étant une « communauté de maires qui se connaissent ». Ainsi, un promoteur peut se voir disqualifié, exclu d’un marché intercommunal voire départemental, en raison de la mauvaise réputation qu’il a pu laisser sur une seule commune où intervient l’opérateur d’aménagement. Parfois aussi, inversement, l’intercommunalité tend à imposer à la commune des contraintes en matière de construction de logements.
- Dans une période de raréfaction des ressources financières des collectivités locales, où l’externalisation à des opérateurs privés est le modèle privilégié (au détriment d’une intervention directe), la maîtrise de l’acte de construire passe aussi par l’encadrement des projets des promoteurs et des investisseurs. Il se fait, bien sûr, par le recours aux outils de l’urbanisme réglementaire (Zones d’aménagement concerté, modification des règles du PLU). Il se fait aussi par des incitations à privilégier des typologies de construction (éviter le dispositif de défiscalisation Pinel pour tendre vers des logements familiaux). L’idée est bien de construire une offre de logements qui corresponde aux besoins du territoire ou au projet de transformation de la sociologie de la ville porté par un maire. Cet encadrement peut même aller, dans les communes les plus dirigistes dans leur manière de concevoir l’aménagement, jusqu’à proposer des « PC clés en mains » pour éviter d'avoir de « mauvaises surprises » dans le respect du cahier des charges. Aux règles de l’urbanisme réglementaire, les maires et leurs services font donc peser d’autres attentes, d’autres contraintes sur les promoteurs, qui donnent lieu, selon les rapports de force, à des négociations voire, notamment après des élections municipales, à des réajustements des projets.
- Dans la perspective d’un urbanisme négocié, de plus en plus d’élus s’appuient sur des Chartes promoteurs, qui servent de contrat de coopération. Qu’on ne s’y trompe pas, ces documents ne font que formaliser et expliciter des règles du jeu et des pratiques préexistantes. Elles ne sont pleinement respectées que si le maire est parvenu, en raison de la tension du marché de l’immobilier local, à imposer un rapport de forces avec les promoteurs en amont et en aval de l’autorisation d’urbanisme qu’il délivre. La jurisprudence a d’ailleurs confirmé l’impossibilité de rendre ces chartes « mieux disantes » que le PLU et d’y fixer des règles qui ne s’y trouvent pas déjà établies.
Cet urbanisme négocié n’est pas toujours vécu comme une contrainte, un frein, par les promoteurs. Bien au contraire, en nouant des échanges réguliers en amont des projets, certains acteurs de la promotion immobilière considèrent que ces échanges, plus cadrés constituent un moyen de mieux maîtriser les incertitudes de la variable politique.
Comment renforcer les capacités et les motivations des maires à construire des logements ?
Au regard des raisons qui conduisent les maires à agir sur la production de logements dans leur commune, de leurs leviers d’action, et des obstacles qu’ils doivent lever pour mettre en œuvre leurs projets, quelques pistes/recommandations peuvent être formulées en vue de renforcer leurs capacités à produire et les inciter à produire du logement.
Adapter les modalités d’appui aux maires (financiers, juridiques et administratifs) en tenant compte de la structuration des systèmes locaux de production de logements
Les élus rencontrés ont conscience de s’inscrire dans une dynamique régionale, et reconnaissent, face aux effets de la métropolisation, l’obligation qui leur incombe « de faire leur part » pour répondre aux besoins d’une région où le marché immobilier est en forte tension et où il existe de fortes disjonctions entre habitat et emploi. C’est une obligation légale qu’ils acceptent, considérant légitimes la fixation d’objectifs d’équilibre par les documents de planification régionaux, notamment lorsqu’ils viennent en contrepartie d’avantages dont la commune, en raison de son positionnement au sein de polarités économiques et urbaines, a pu bénéficier comme la consolidation de son offre de transports en commun. Ils reçoivent pourtant, de manière plus ou moins subie, et avec l’impression d’être plus ou moins accompagnés, cette obligation qui s’inscrit dans une négociation contrainte avec l’État au moment de la définition de leurs documents locaux d’urbanisme (PLUi) et de leurs politiques locales du logement (PLH et avis du SRHH).
Ce constat appelle une double remarque. D’une part, l’inscription de certains maires dans une lecture régionale des enjeux en matière de logement et d’aménagement confirme l’importance d’un portage solide d’une stratégie de planification à cette échelle. Le schéma directeur régional et son articulation avec des stratégies thématiques (SRHH notamment) permettraient ainsi, au-delà des débats qu’il suscite, une forme de régulation et de coordination de l’action collective (Desjardins, 2020) en incitant les maires à jouer leur rôle dans un système urbain organisé au sein duquel leur commune a une fonction impliquant des avantages et des contreparties. D’autre part, les spécificités dans la structuration des systèmes locaux de production du logement décrites dans cette étude invitent à adapter plus finement les appuis proposés aux élus (financiers, juridiques, administratifs), à l'image du récent Atelier des solutions lancé par l’État, les bailleurs sociaux et la Banque des territoires. Ce type de lieux d’échange permettent aux élus de faire remonter leurs difficultés directement au préfet voire leurs éventuels points de blocage administratifs, ou d’évoquer les non-décisions ou les divergences de position entre services déconcentrés de l’État appelant un arbitrage préfectoral.
S’appuyer sur les intercommunalités pour mutualiser les moyens et consolider les outils permettant aux maires de porter efficacement des politiques de construction de logements
Si les maires demeurent les acteurs centraux des systèmes locaux de production de logements, nos études de cas mettent en évidence que ceux qui se rapprochent le plus de la figure de maire bâtisseur ont en commun de s’appuyer sur des outils intercommunaux pour mener leur politique de construction.
Lorsqu’elles sont structurées, les institutions intercommunales constituent assurément, par la mutualisation des ressources locales, un moyen de renforcer sensiblement les capacités d’action des maires sans qu’ils perdent la main sur ce qui se joue en matière de construction, aussi bien dans la phase amont des projets d’aménagement de négociation avec les promoteurs que dans la phase aval et post-livraison où le maire et ses équipes peuvent, là-aussi, jouer un rôle important d’accompagnement des habitants face aux promoteurs immobiliers.
Accroître les moyens du portage du foncier, accompagner les communes dans la reconstitution de réserves foncières
Nos terrains ont aussi mis en évidence que les communes étudiées sont bâtisseuses parce qu’elles ont pu s’appuyer sur des réserves foncières, sur la libération de vastes emprises appartenant à des grands propriétaires fonciers publics ou privés (SNCF, ministère des armées, EDF, RATP), situées dans des espaces où il a peu de logements environnants. Elles sont bâtisseuses parce que des opérateurs publics et privés ont pu porter des projets de construction de logements dans une logique de recyclage de la ville, en s’appuyant sur des modèles d’aménagement classiques, à la fois dans leur forme juridique (ZAC), dans leur modèle économique, dans leur mode de concertation avec les habitants et dans leurs discours de justification.
En revanche, dans nos sites d’enquêtes marqués par une production recourant minoritairement aux extensions urbaines, les opérations immobilières s’inscrivant en remobilisation ou en densification de tissus urbains habités restent finalement minoritaires. Dans ce second type de contexte, en particulier dans le tissu pavillonnaire, le rejet des riverains, les surcoûts liés aux difficultés techniques des fonciers disponibles, le difficile financement des équipements maximisent les obstacles opérationnels. Toutes ces contraintes font craindre aux maires et à leurs équipes qu’il soit plus difficile de défendre un récit gagnant de la construction de logements auprès des habitants/riverains, qui ne perçoivent souvent que les désagréments et les nuisances d’une densification de l’espace.
Plusieurs maires rencontrés, après s’être confrontés au pilotage de projet dans des opérations d’aménagement et prenant acte de la fin des grandes opportunités foncières sur leur territoire, réfléchissent néanmoins aux projets à engager en recyclage dans leurs tissus anciens. Acculturés au pilotage de projets, ils réinvestissent les compétences acquises dans le pilotage de plus petites opérations, en particulier lorsqu’elles offrent une opportunité de retravailler des continuités urbaines, de requalifier et d’intensifier des espaces publics délaissés, et d’améliorer la qualité des logements proposés en remplaçant un habitat dégradé ou obsolètes.
L’un des enjeux, pour que les maires puissent porter des politiques de construction maîtrisées dans les tissus existants – est d’aider les communes à assurer les risques financiers du portage des fonciers. Le rôle de l’EPFIF s’en trouve donc renforcé, les maires soulignant l'importance du dialogue pour adapter les obligations prévues par les conventions passées avec l'établissement public foncier. Ce portage par des opérateurs fonciers est le seul moyen pour des communes qui, même si elles n’ont plus de réserves foncières, entendent continuer à mettre en œuvre des politiques anti-spéculatives innovantes en recourant notamment à des dispositifs comme les Baux réels et solidaires.
Augmenter la contribution des promoteurs au financement des équipements publics
Enfin, à l’heure où les liens se sont distendus entre la construction et la croissance de la population, et entre la croissance de la population et les recettes fiscales (avec la suppression de la taxe d’habitation), la question du financement des surcoûts liés à l’accueil de nouvelles populations et des effets moindres de la construction sur les recettes de la commune est au cœur des préoccupations des élus. La participation financière des promoteurs à la construction des équipements ou services publics générés par la production de logements (soit en jouant sur le taux de la taxe d’aménagement, soit dans le cadre des PUP) est ainsi centrale dans les stratégies financières et les négociations des communes avec les promoteurs.
Dans nos communes d’étude, la réduction des recettes publiques locales et la recherche de nouvelles ressources budgétaires se sont traduites par le recours à un taux majoré de taxe d’aménagement. Cette majoration est justifiée par le coût des équipements rendus nécessaires par l’urbanisation dont la nature est très large puisque la loi de finances de 2021 a ouvert le champ des équipements éligibles aux équipements environnementaux (lutte contre les îlots de chaleur urbains, renforcement de la biodiversité) et aux transports. En revanche, la taxe d’aménagement n’est pas présentée, dans nos communes, comme un moyen de réguler la construction, contrairement à ce qu’a pu observer une équipe de chercheurs en finances locales sur d’autres territoires, hors communes de l’Île-de-France où la pression immobilière est moins forte. Quelles que soient les retombées fiscales effectives de la taxe d’aménagement, le coût des équipements publics lié aux nouvelles constructions constitue l’une des plus fortes préoccupations et réticences des maires à construire.
Améliorer la connaissance des effets des politiques de production de logements sur l’évolution de la population et la richesse fiscale d’une commune
On constate un manque de visibilité des élus quant aux effets réels produits dans la durée par leurs politiques de construction, tant en termes de dynamiques socio-démographiques de la commune qu’en termes d’impact sur la fiscalité locale de leur commune.
Les élus rencontrés entendent, à travers la définition de l’offre de logements produite et de leur cible sociale, œuvrer à l’attractivité de leur commune et en maîtriser la trajectoire socio-démographique (attirer des familles, ancrer les jeunes, assurer tel ou tel niveau de mixité sociale…). Ils pilotent la programmation des logements via une catégorisation en termes de statuts, de typologie et de taille des cellules familiales. Mais la diversification des parcours résidentiels et des modes d’occupation des logements (pratiques de colocation, diversification des usages du logement, taille des ménages dans les logements) tend à brouiller la compréhension du rôle de chaque produit immobilier dans la réponse aux besoins.
Alors que, dans le même temps, il persiste dans les représentations des acteurs une vision linéaire des parcours résidentiels et des présupposés sur l’occupation à venir de l’offre livrée par les opérateurs. Cette vision contraste avec le peu de moyens de suivi existants post livraisons permettant d’objectiver la réalité de l’occupation des logements livrés. Or, cette méconnaissance des parcours explique que l’offre de logements est parfois inadaptée au regard des besoins. Il apparaît donc souhaitable de renforcer la connaissance des produits immobiliers, de leurs effets sur les parcours résidentiels des Franciliens afin de contribuer à un pilotage plus éclairé, sur le long terme, des politiques locales du logement.
De plus, contrairement aux attentes que peuvent avoir les maires, les impacts de la production de logements sur l’évolution de la population ou la richesse de la commune ne sont pas aussi directs et peuvent parfois être partiellement dilués par ce qui se passe dans l’ensemble du parc existant ; une baisse de l’occupation du parc existant (vieillissement de la population, augmentation de la vacance, captation pour de la location de courte durée…) peut ainsi annuler une partie des effets attendus des efforts de construction réalisés sur la croissance de la population (cf. partir sur la fiscalité locale). D’où l’importance d’une connaissance fine de l’occupation réelle des logements produits, qui fait aujourd’hui défaut, et d’une lecture croisée des enjeux de production neuve et de protection du parc existant.
Ce travail tend à démontrer que, contrairement aux idées reçues, être un maire bâtisseur n’est pas systématiquement un handicap électoral. Lorsqu’elle est accompagnée d’un discours clair et de réalisations visibles, la politique de construction peut même renforcer la légitimité des élus. Construire s'avère dès lors une stratégie politique à risques maîtrisés. Le maire d'une commune bâtisseuse aujourd'hui est un médiateur, un régulateur et un acteur clé de la fabrique urbaine.
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