Gardons les pieds sur terre

Chronique de la marche et de l'espace public n° 1   Sommaire

09 décembre 2021Cécile Diguet, Frédérique Prédali

À l’origine de la plupart des interactions sociales, la marche est sans conteste le maillon essentiel de tout déplacement. Cette première chronique pose les bases de la réflexion du modèle urbain qui se dessine autour des questions de santé, cadre de vie et espaces publics.

La marche est le premier mode de déplacement en Île-de-France, alors que dans les autres régions la voiture arrive en tête des parts modales (en volume). Cette spécificité francilienne s’explique en bonne partie par le recours aux transports publics nettement plus marqué pour les trajets domicile-travail ou vers les lieux d’étude, favorisant ainsi les déplacements à pied pour les autres déplacements du quotidien1.

La marche, alliée du transport public

La marche est le complément essentiel des transports publics, tant pour les rabattements que pour les correspondances2. L’accès aux stations et aux gares, tout comme l’intermodalité, sont des enjeux forts alors que la fréquentation des transports publics va croissant (d’après les données pré-crise sanitaire). Cette alliance marche et transport public est renforcée depuis la création et le perfectionnement des planificateurs d’itinéraires sous forme d’applications. Avec ces compagnons de route levant l’obstacle de l’orientation, de l’itinéraire et de l’estimation du temps de parcours, la marche est incitée. 

Depuis l’expérience de la crise sanitaire, la marche, restée en haut du podium des modes de déplacement, a redoublé d’intérêt aux yeux de tous, vécue comme indispensable pour la santé et l’équilibre personnel. En Île-de-France, l’un des principaux enseignements des enquêtes mobilité Covid menées par Île-de-France Mobilités est que le développement du télétravail a accru la pratique de la marche hors du cœur d’agglomération.

Une ville pour les piétons avant tout

Bien qu’incontournable, ce mode de déplacement est, jusqu’à aujourd’hui, le grand oublié des politiques publiques de transport en France. La récente Loi Mobilités3 a surtout porté un soutien à la pratique du vélo et au développement des services de mobilité innovants. Alors que dire de la marche dans les politiques publiques, au-delà de la vulnérabilité notoire des piétons dans les accidents de la route ? Selon l’expression du philosophe Thierry Paquot, le piéton est-il toujours ménagé dans l’espace public ? 

Porté par un collectif d’associations autour de la marche et des piétons4 qui emboite le pas au mouvement associatif pro-vélo, tous les acteurs publics semblent dorénavant se mobiliser pour promouvoir la pratique et les vertus de la marche, comme en témoignent la tenue des premières assises nationales de la marche en ville qui se sont déroulées le 17 septembre 20215. Une nouvelle étape franchie depuis l’adoption du « Code de la rue » en 20086 et l’espoir d’un engagement de l’État pour un plan national en faveur de la marche.

Ce regain d’intérêt – ou intérêt inédit ? – pour le piéton a probablement ses sources dans le goût pour des espaces publics de qualité qu’ont développé les villes françaises depuis la requalification de leurs centres-villes et le développement des tramways7. D’ailleurs, le premier plan piéton mis en place par une ville est celui de Strasbourg en 2012, après avoir été pionnière du renouveau du tramway dans les années 1990. Nul doute que les préoccupations croissantes pour une ville inclusive (personnes à mobilité réduite, familles, séniors…) contribuent aussi à cette attention grandissante. 

Les urbanistes du monde entier essaient de défendre le triptyque transports collectifs / marche / espace public en opposition aux villes pensées pour l’usage automobile8. Dans le même temps, la qualité de l’air devient aussi un sujet de plus en plus préoccupant auprès des citoyens, rendant acceptable l’instauration de périmètres où l’accès automobile est réglementé ou payant, voire interdit à certaines motorisations. Les enjeux climat et qualité de l’air font de la marche un mode incontournable dans les pratiques à favoriser dans tous les plans de mobilité durables, d’autant que le volet énergie est désormais de plus en plus souvent intégré à cette réflexion. La marche accède alors à la première place dans la hiérarchie des modes urbains les moins émetteurs en carbone telle que le présente la ville de Leicester10 en Angleterre.

Les villes cherchent de plus en plus à mettre en place des axes de circulation où le trafic est apaisé, visant un partage de la voirie plus juste entre les modes dans le but de réduire le bruit, les accidents et de rendre les rues plus agréables aux passants, aux riverains et aux commerçants. Selon la thèse de Sonia Lavadinho10, « la marche semble participer fortement à créer certaines ambiances que l’on peut qualifier d’urbaines ». Les villes déjà denses se réinventent grâce à leurs espaces publics, dans une démarche consciente de séduction et d’attractivité jusqu’en dehors des frontières nationales.

Au-delà des centres urbains denses, quel que soit le territoire, la marche répond au désir d’ancrage et de proximité aux commerces et aménités. Quelle vie ont les résidents en bordure de route, condamnés à prendre un mode mécanisé pour les déplacements du quotidien ? Quelle autonomie dans la mobilité et l’ouverture au monde des plus jeunes et des aînés sans la possibilité de marcher ? Dès lors, un espace public de qualité s’avère nécessaire pour redonner ses lettres de noblesse à la marche (… suite dans la prochaine chronique !).
 

Cécile Diguet

Cécile est urbaniste, formée à Sciences Po et à la Bartlett School of Architecture à Londres. Elle est directrice du département Urbanisme, Aménagement et Territoires de L'Institut depuis janvier 2020. Elle s’intéresse particulièrement aux mutations de la fabrique urbaine, notamment l’émergence de tiers lieux et de communs urbains, de nouveaux montages de projets et des pratiques de l’urbanisme transitoire. Elle travaille également sur l’imbrication des questions énergétiques, numériques et spatiales et a publié en 2019 un rapport sur les impacts territoriaux des data centers.

Frédérique Prédali

Frédérique est urbaniste des transports, docteur en mobilité de l’École d’Urbanisme de Paris. Elle travaille au département mobilité et transport de L'Institut où elle mène de nombreuses études sur les politiques des transports, des benchmarks et s’investit dans des sujets préfigurant la mobilité de demain. Elle est impliquée dans un projet européen sur le pilotage de l’énergie pour faire correspondre les besoins liés à l’électromobilité et la production des énergies renouvelables. Elle a publié récemment une étude IRVE et une Note rapide sur la qualité de service dans les transports publics. Elle coordonne cette série de chroniques sur la marche.

1. Tels que les accompagnements d’enfants, les achats, les rendez-vous médicaux, etc.
2. Même si ces dernières ne sont pas comptabilisées comme déplacements piétons dans les enquêtes de mobilité auprès des ménages, la marche n’étant pas considérée comme le mode principal (Enquêtes globales transport, EGT, voir infographies sur l'EGT dans cet article proposé par Enlarge your Paris en partenariat avec We Do Data). 
3. Loi d’orientation des mobilités (dite aussi LOM) n° 2019-1428 du 24 décembre 2019
4. Collectif « Place aux piétons »
5. À l’initiative des associations de piétons et de la fédération de randonnée, l’évènement a rassemblé un grand nombre d’intervenants pour témoigner des expériences des collectivités en faveur des piétons, mais aussi des spécialistes du Cerema et de l’Ademe sur ces questions.
6. Obtenu par le décret n° 2008-754 du 30 juillet 2008, ce code prône une circulation apaisée entre tous les usagers et a permis la création d’espaces de circulation donnant la priorité aux piétons : l’aire piétonne, la zone 30 et les zones de rencontre.
7. Le tramway à la française
8. Walk21
9. Dans son document de planification en cours d’approbation « transport local plan 2020-2036 »
10. Sonia Lavadinho, Le renouveau de la marche urbaine : Terrains, acteurs et politiques. Géographie. École normale supérieure de Lyon - ENS LYON, 2011



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