L'ancrage territorial

Ces lieux qui comptent

07 décembre 2023ContactLucile Mettetal, Pascale Leroi, Martin Omhovère, François Michelot, Pascale Guery

Première région métropolitaine de France, l’Île-de-France abrite une grande diversité de territoires et de populations. Des forêts aux tours d’habitation, du patrimoine classé aux grands lieux d’innovation, du cadre international au retraité... les profils des Franciliens et leur parcours résidentiel sont incroyablement riches et variés. Terre d’accueil pour des étudiants venus y poursuivre leurs études, pour des jeunes arrivés à Paris pour entamer leur carrière, pour des immigrés, des expatriés, l’Île-de-France joue un rôle de carrefour d’envergure nationale et internationale. Si l’Île-de-France est une terre de brassage, la question du lien que la population entretient avec la région capitale se pose. Dans quelle mesure ce vaste territoire parvient-il à « arrimer » des habitants dont presque la moitié sont nés ailleurs, en leur permettant de dérouler leur parcours de vie ? Une interrogation d’autant plus prégnante à l’heure où les entreprises et les services publics rencontrent des difficultés criantes de recrutement.

À une époque où le mouvement est parfois survalorisé, associé à l’idéal d’un monde à disposition, à une forme de liberté, le besoin d’être relié à un lieu répond à un besoin fondamental de l’être humain. Point d’équilibre et de repère, façonné par des expériences et des représentations positives, le lieu offre la possibilité d’un ancrage et d’une continuité dans un monde lui-même changeant.

Reposant sur une enquête menée auprès de 3 800 personnes représentatives de la population régionale, l’édition 2023 du baromètre des Franciliens permet de mieux appréhender leur ancrage en identifiant les lieux auxquels ils se réfèrent, ceux où ils s’investissent et ceux auxquels ils sont attachés. Premier enseignement, les origines et le lieu de naissance des répondants pèsent peu dans leur ancrage à l’Île-de-France. En d’autres termes, les lieux qui comptent sont ceux qui ont été choisis, qui ont abrité une partie de leur vie, et qui ont contribué à leur construction.

Lorsqu’ils font référence à l’Île-de-France, les Franciliens mentionnent surtout l’échelle locale, un secteur de la région, une commune, en particulier Paris. Les échelles plus vastes, départementales ou régionales, sont en revanche moins évoquées.

La grande majorité des Franciliens qui imaginent leur avenir en Île-de-France se projettent dans leur lieu de vie actuel, gage de stabilité. À l’inverse, pour ceux qui souhaiteraient vivre ailleurs, envisager un nouveau lieu en Île-de-France leur semble compliqué alors même que la région propose une grande diversité de cadres de vie. Est-ce faute d’identifier un autre lieu francilien ou bien par manque de moyens pour s’y installer ? En tout cas, se projeter ailleurs rime souvent avec un départ de la région. Ainsi, les personnes qui ne témoignent d’aucun attachement à leur lieu de vie actuel semblent plus enclines à quitter un jour la région, sans la regretter.

Pourtant les Franciliens reconnaissent de nombreuses qualités à leur région. Selon eux, la première est l’emploi. Les transports en commun ainsi que les facilités d’accès à d’autres régions et d’autres pays, le patrimoine, l’offre culturelle, les commerces et les restaurants sont également mentionnés. D’autres évoquent la diversité culturelle de ses habitants, la modernité et les innovations. Autant de qualités qui participent au fait métropolitain, constitutif de l’identité régionale.

Ces qualités à caractère métropolitain sont à double tranchant. Elles participent à l’attachement dont témoignent une large part des Franciliens, notamment les jeunes vivant au cœur de l’agglomération. Mais ces mêmes qualités ne semblent pas parler à certains habitants du périurbain et du rural qui envisagent plus volontiers de quitter la région une fois la retraite venue, même s’ils apprécient leur lieu de vie et s’y investissent. Vivre à la campagne en Île-de-France a-t-il un sens dès lors qu’on ne travaille plus ? Pourquoi ne pas mettre les voiles pour d’autres horizons, plus bucoliques, ensoleillés ? Il faut aussi parler des Franciliens qui n’ont pas réellement choisi leur lieu de résidence, qui n’apprécient ni leur quartier, ni ses habitants, qui ne sont entourés ni de leur famille, ni de leurs amis. Résidant avant tout dans des territoires très urbanisés, petitement logés, ils subissent leur quotidien et ils aspirent à quitter l’Île-de-France pour fuir la pollution, se sentir en sécurité et trouver un logement moins cher.

Dans une région dont le dynamisme a pour revers la cherté du logement et du coût de la vie, ces résultats rappellent qu’une large part de la population manque de liberté pour exercer ses choix : choix de leur lieu de résidence, choix de leurs conditions de transport, choix des temps qui régissent leur vie quotidienne. Renforcer les politiques publiques afin d’agir dans ces domaines constitue un levier pour redonner aux Franciliens la possibilité de choisir leur cadre de vie et donc favoriser leur ancrage territorial.

Finalement, le baromètre révèle que l’ancrage se nourrit de l’attachement aux lieux, des qualités prêtées au territoire, des avantages recherchés, des caractéristiques qui la rendent unique en tant que métropole dynamique, innovante, diverse. S’intéresser à l’ancrage, c’est en réalité se pencher sur une mosaïque de territoires dont les plus centraux surpassent les plus périphériques selon une perspective tant historique que symbolique. L’attachement au lieu est un paramètre déterminant de la volonté de le protéger, de s’y investir : un facteur essentiel pour faire société dans un contexte de crise écologique.

Dès lors en tant qu’agence d’urbanisme, l’échelle de la proximité nous interpelle car c’est celle qui permet de fédérer les populations dans une époque où les identités sont fragmentées, dans une région où les existences sont elles-mêmes diffractées, étirées entre les territoires de résidence, de travail, d’études. Prendre soin de ces lieux, prêter attention à leur histoire et à leurs qualités patrimoniales, à leur convivialité, leur propreté, leur sécurité, est un levier puissant pour permettre aux personnes de se retrouver, et donc de s’y retrouver, dans une région où la vie est parfois étourdissante.

 

VOIR AUSSI

Le Baromètre des Franciliens, édition 2023

 

 

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Économie | Société et habitat

Études apparentées