Aménager la ville pour inciter à l’activité physique

Article extrait du Cahier n° 182 « Vieillir, et alors ? »

27 mars 2025ContactCaroline Laborde (ORS Île-de-France), Teodora Nikolova

L’activité physique apporte des bénéfices sanitaires et économiques considérables. Aménager les espaces publics, les rendre plus « marchables », encouragerait la marche et augmenterait les activités extérieures des plus âgés. Malgré des avantages certains, ce levier est encore trop peu exploité.

L’inactivité physique a un coût considérable. Selon France Stratégie1, il serait de 140 milliards d’euros par an pour la France, ce qui correspond à 38 000 décès et 62 000 pathologies imputables à l’insuffisance d’activité physique pour l’ensemble de la population. En effet, une activité physique régulière apporte, à l’âge adulte, des bienfaits incontestables pour la santé : diminution de la mortalité et du risque de certaines maladies chroniques, comme l’hypertension, le diabète de type II, et certains cancers. Elle permet le contrôle du poids, favorise le sommeil, et réduit l’état de stress psychologique. Pour les plus âgés, s’ajoute à ces bénéfices le retard dans l’entrée en dépendance, en favorisant la préservation de la force musculaire, des fonctions cardiaques et respiratoires, de l’endurance, de la souplesse, de la coordination, ainsi que du capital osseux. L’activité physique réduirait corrélativement le risque de chutes et de blessures associées. Elle stimulerait les capacités cognitives, et réduirait de 40 % les risques de survenance de la maladie d’Alzheimer2. Au vu de ces bénéfices, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande aux adultes, y compris ceux âgés de 65 ans et plus, de pratiquer, au cours de la semaine, au moins 150 minutes d’activité physique d’intensité modérée, ou 75 minutes d’activité d’intensité soutenue, ou une combinaison des deux3. Pratiquer trois fois par semaine des activités de renforcement musculaire et d’équilibre est également recommandé pour les plus âgés. En France, parmi les 55 ans ou plus, seuls 33 % auraient une activité physique suffisante (UE27 : 27 %)4.

Après 65 ans, toute activité est bénéfique

Mais activité physique ne rime pas seulement avec sport ! Elle peut être pratiquée à tout moment de la journée : lors des déplacements (marche, vélo), des loisirs (jardinage, bricolage), des tâches ménagères (rangement, ménage)… Même des activités physiques légères présentent des bénéfices. Après avoir suivi pendant 18 ans plus de 1 000 volontaires de plus de 65 ans, des chercheurs français ont montré que marcher quotidiennement, à un rythme normal, pendant 90 minutes, réduirait le risque de mortalité de plus de 30 %5. Et il ne serait jamais trop tard ! Des bénéfices sont constatés même sur les personnes préalablement inactives.

Des environnements plus « marchables »

Pour favoriser l’activité physique, notamment celle des personnes âgées, plusieurs politiques publiques sont possibles : cibler certains groupes de population (comme les personnes présentant une maladie chronique, ou en perte d’autonomie, avec la prescription d’une Activité Physique Adaptée (APA)6 par le médecin généraliste), ou, plus largement, améliorer l’accès aux infrastructures sportives, ou encore modifier l’environnement pour favoriser les activités extérieures et les déplacements actifs (marche, vélo). Quel que soit l’âge, les personnes vivant dans des environnements propices à la marche, sûrs et attrayants, sont plus enclines aux mobilités douces (marche, vélo), et ont des niveaux d’activité physique plus élevés.

Une première qualité fondamentale est la connectivité et la perméabilité des voies : des rues nombreuses, avec de multiples connexions entre elles, permettent des trajets directs avec des itinéraires variés. La compacité de la structure urbaine (îlots urbains d’une longueur optimale comprise entre 60 et 120 m) et des rues quadrillées à intervalle régulier favorisent les déplacements en modes actifs et l’orientation dans l’espace. Les citadins marchent aussi davantage dans les secteurs caractérisés par une importante mixité fonctionnelle : la coexistence de résidences, de bureaux, de commerces, de services et d’équipements, permet de répondre aux différents besoins des individus, et d’offrir différents points de repère dans l’espace.
Si les principales destinations sont difficilement accessibles à pied, un réseau de transports intelligemment maillé et bien organisé favorisera la marche et limitera le recours à la voiture. Mais, avec l’âge ou l’apparition de problèmes fonctionnels, le mode piéton tend à devenir prédominant, et c’est l’accessibilité à pied aux commerces de proximité depuis le domicile qui soutient l’autonomie des personnes. Enfin, les espaces verts (bois, parcs, jardins) et les plans d’eau (fleuves, lacs) constituent des motifs de sortie et sont des lieux propices à la marche et l’activité physique. La sécurité et les qualités esthétiques (absence de déchets, de déjections canines…) sont également des facteurs favorisant la mobilité extérieure.

Pour les personnes âgées, s’ajoutent à ces critères une sensibilité particulièrement importante à la qualité de l’aménagement de l’espace public. Des trottoirs étroits ou encombrés, un trafic routier rapide et bruyant, des passages piétons peu sécurisés7, sont des sources de stress. Le manque de bancs, de toilettes publiques, la présence de marches, freinent également leurs déplacements. Toutes ces barrières augmentent le risque de chutes, la peur de sortir de chez soi, restreignent petit à petit l’espace de vie et d’activité de la personne, et contribuent à son isolement.

Selon France Stratégie, l’aménagement des espaces publics est encore trop peu développé. Des initiatives dans ce domaine, que d’autres pays ont spécialement pensées pour les personnes âgées, pourraient se révéler inspirantes.
 

Caroline Laborde, socio-épidémiologiste, Observatoire Régional de Santé (ORS Île-de-France), L’Institut Paris Region
Teodora Nikolova, ingénieure et architecte, L’Institut Paris Region

Des initiatives d'aménagement adaptées aux personnes âgées

Certaines villes lancent des initiatives d’aménagements adaptées aux personnes âgées. À Eindhoven, aux Pays-Bas, la ville a transformé les rues en parcours santé. Les personnes âgées peuvent faire de l’exercice de façon ludique, dans la rue, seules ou en groupe. Les exercices sont indiqués au sol, intégrés dans le revêtement des trottoirs. Cette initiative favorise le niveau d’activité physique sans avoir besoin de construire de nouvelles infrastructures coûteuses. D’autres pays construisent des aires de jeux spéciales pour les seniors. La Chine et les États-Unis ont été les premiers pays à installer des équipements en plein air d’équilibre, des incitateurs de mobilité adaptés aux plus de 65 ans. Ils ont été suivis par l’Espagne, l’Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas… Ces aires de jeux sont un moyen de se divertir, de pratiquer une activité physique régulière, et de favoriser la sociabilité. Elles permettent ainsi de lutter à la fois contre la perte de mobilité et l’isolement social. New York a lancé en 2011 l’initiative « City Bench », un programme d’installation de bancs dans l’espace public, en particulier aux arrêts de bus, dans les zones commerciales, et celles à forte concentration de personnes âgées. Tous les New-Yorkais sont encouragés à faire des demandes d’implantation sur le site du Département des transports de la ville (Department of Transportation), ou par téléphone. Après une étude des demandes, les bancs sont installés par la Ville, qui assure leur entretien.

1. Dervaux B. et Rochaix L., L’évaluation socioéconomique des effets de santé des projets d’investissement public, 2022, France Stratégie et Secrétariat général pour l’investissement et ministère de la Transition écologique.
2. Beckett M.W., Ardern C.I., Rotondi M.A., A meta-analysis of prospective studies on the role of physical activity and the prevention of Alzheimer’s disease in older adults, février 2015, BMC Geriatr 11;15:9. DOI : 10.1186/s12877- 015-0007-2
3. Intensité modérée : augmentation du rythme cardiaque, sans gêne dans la conversation. Intensité soutenue : conversation difficile, voire impossible.
4. Commission Européenne (2022). Eurobaromètre SP525: Sport and physical activity.
5. Dupré C., Brégère M., Berger M., et al., Relationship between moderate-to-vigorous, light intensity physical activity and sedentary behavior in a prospective cohort of older French adults: a 18-year follow-up of mortality and cardiovascular events - the PROOF cohort study, juin 2023, Front Public Health 11. DOI: 10.3389/fpubh.2023.1182552
6. www.sante.fr/prescription-de-lactivitephysique- adaptee
7. La quasi-totalité des piétons tués sur un passage piéton sans signalisation lumineuse sont âgés de 65 ans ou plus. Enquête FLAM piétons 2015 – Étude des accidents piétons mortels en 2015 : comprendre pour agir, Rapport d’étude du Cerema, 2021.

STOP : les belges donnent la priorité aux piétons

Le principe « STOP », adopté en Belgique, hiérarchise les modes de déplacements en priorisant la marche à pied. Même si ce n’était pas l’objectif premier, ce principe apporte une réponse particulièrement adaptée aux besoins des personnes âgées.

Le principe « STOP »* donne, dans la conception de l’espace public, la priorité aux piétons, puis aux cyclistes, aux transports publics, et enfin aux véhicules privés (qui ne sont plus au centre des réflexions).
La Belgique a adopté ce principe en 2009**, et le met en oeuvre concrètement grâce à une riche palette d’aménagements spécifiques : élargissement des trottoirs, trottoirs traversants sans changement de niveau pour les piétons, création d’îlots au centre de la chaussée, allongement des temps de traversée accordés par les feux, mise en place de rues scolaires piétonnes, création de zones 30 et de zones de rencontre (espaces partagés sans trottoirs, où la vitesse est limitée à 20 km/h), pistes cyclables continues, voies réservées aux bus… La qualité des revêtements, dont le recours aux solutions podotactiles, qui guident, informent, et éveillent la vigilance du piéton, et celle de l’éclairage, participent aussi à l’amélioration de l’infrastructure piétonne.
En termes de résultats, les retombées sont positives. Dans la région Bruxelles Capitale, l’adoption du plan de mobilité « Good Move », intégrant le principe « STOP », a permis de réduire la vitesse réglementaire à 30 km/h sur tous les axes non structurants. Un an plus tard, la vitesse pratiquée a diminué de 7 % à 19 %, sans augmentation des temps de parcours ; les accidents graves ont été divisés par deux, tout comme le bruit.
L’ensemble de ces aménagements favorise également la mobilité des personnes âgées, très sensibles à la continuité des cheminements, à la sécurité des traversées, au bruit, à la qualité des revêtements, aux assises et à l’ombrage, en raison de la diminution de l’endurance, de l’équilibre, des réflexes, et des capacités cognitives.


Quels outils ailleurs en Europe ?
STOP fait des émules. Les Britanniques commencent à l’adopter, dans une logique environnementale de « hiérarchie carbone ». La plupart des pays européens utilisent des concepts proches de STOP pour limiter les accidents, réduire les émissions de carbone et la pollution : inversion dans la hiérarchie des modes de déplacements, promotion des modes actifs, partage de l’espace, et modération de la vitesse. En 2021, l’Espagne a été le premier pays à avoir généralisé la vitesse à 30 km/h dans les villes et villages. En Suisse, la politique d’apaisement de la voirie, initiée aux abords des écoles, s’étend à l’échelle de quartiers entiers, au bénéfice de tous les habitants. En France, le Code de la route a été modifié en 2008 pour redonner de l’espace aux modes actifs ; le Code de la rue est officiellement reconnu*** et assoit le « principe de respect du plus fort visà- vis du plus faible ». Pour cela, les collectivités disposent de trois outils réglementaires : la zone 30, la zone de rencontre, et l’aire piétonne.
Plus de 200 villes françaises ont étendu les zones 30, dont un quart en Île-de-France. Mais la vitesse des automobilistes reste pourtant souvent excessive, faute d’aménagements adaptés. Donner de la place aux piétons implique de réfléchir à une planification spécifique. Or, à ce jour, une trentaine de schémas directeurs ou de plans piétons seulement ont été établis en France, et peu de Plans d’Accessibilité de la Voirie et de l’Espace public (PAVE) ont été réalisés, malgré leur caractère obligatoire.
Or, négliger les besoins des piétons pénalise les déplacements des aînés : offrir des espaces publics accessibles à tous les piétons est un enjeu crucial pour que vieillir ne soit pas synonyme d’isolement à son domicile.

Frédérique Prédali, urbaniste transport, L’Institut Paris Region

 

* L’acronyme STOP se développe ainsi : Stappers : Piétons/Trappers : cyclistes/Openbaar vervoer : transport public/Privé-vervoer : transport privé.
** Décret mobilité du 11 mars 2009.
*** Décret portant diverses dispositions de sécurité routière n° 2008-754 en date du 30 juillet 2008.

Anticiper la société de la longévité, l'autre transition

Nos sociétés vieillissent : c'était prévu et nous y sommes. L'Institut Paris Region publie aux PUF un Cahier proposant des analyses prospectives et nuancées pour bâtir ensemble une société de la longévité. Hélène Joinet, urbaniste à L'Institut Paris Region et Caroline Laborde, socio-épidémiologiste à l'Observatoire régional de la santé d’Île-de-France, ont réuni 70 auteurs autour d'articles et d’interviews pour décrypter la pluralité des enjeux liés à la transition démographique.

L’intention est de contribuer à la construction d’un projet permettant d’anticiper le vieillissement de nos sociétés, et à sa déclinaison dans l’ensemble des domaines des politiques publiques. En s’attachant aux chiffres et aux faits. En donnant la parole aux experts, aux élus, aux institutions, aux associations, aux personnes âgées et aux soignants.

Nicolas BauquetDirecteur général de L'Institut Paris Region

Cet article est extrait de l'ouvrage collectif Vieillir, et alors ? Bâtir une société de la longévité coédité avec les Presses universitaires de France (PUF), sous la direction d’Hélène Joinet et Caroline Laborde.

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Pour aller plus loin

Dans le Cahier « Vieillir, et alors ? » :

  • Article de Joël Meissonnier (Cerema) : « Apprendre à se déplacer autrement » (p. 123)

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