La datavisualisation, un savant cocktail d'expertises

Chronique de la data et de l'innovation n° 2   Sommaire

06 juin 2024ContactLaurie Gobled, Martin Omhovère

Il y a encore quelques années, chacun cherchait à disposer d’un maximum de données pour s’assurer la maîtrise de l’ensemble des thématiques liées à son domaine d’intervention. Avec l’avènement du big data et l’essor des réseaux sociaux, nous sommes désormais confrontés à un volume et à une diversité de données sans précédent, nécessitant de nouvelles capacités d’expertise, de traitement, d’analyse et d’exploitation. Plutôt que d’accumuler des données tous azimuts, notre attention se tourne dorénavant vers une sélection de données pertinentes et sur leur présentation intelligible. En effet, partager des résultats ne constitue qu’une partie du processus, alors qu’il est tout aussi crucial de les rendre accessibles et compréhensibles pour tous. Pour cela, il est impératif de passer d’une surabondance de données à une information claire, sans la tronquer. C’est à ce niveau qu’intervient la datavisualisation : en utilisant des codes visuels et graphiques, elle permet d’atteindre cet objectif en facilitant la transmission et la compréhension de résultats, même pour les non-experts.

Cette deuxième chronique de la data et de l’innovation propose de partager l'expérience de L’Institut dans le domaine de la datavisualisation, un champ investi depuis plus d'une dizaine d'années. Fort de cette expertise solide et reconnue, l’Institut continue d'explorer quotidiennement de nouvelles formes de représentation pour améliorer la visibilité de ses travaux.

La dataviz est une discipline qui consiste à représenter de façon visuelle de l’information ou de la donnée afin qu’elle raconte une histoire, qu’elle apporte une réponse ou des pistes de réflexion. La data visualisation permet d’appréhender plus facilement des données souvent complexes et de leur donner du sens. 

Marlène DORGNYData Designer

Les visualisation de données racontent une histoire qui doit retenir votre intérêt. Elle a peut-être pour but de vous convaincre, de vous inviter à agir, de vous éclairer à l’aide de nouvelles informations ou de vous obliger à remettre en question votre vision de la réalité. Quoiqu’il en soit, la meilleure visualisation de données, indépendamment de son format et de sa présentation, est celle qui permet de voir ce que les données ont à dire. 

Nathan YAUStatisticien et expert en visualisation de données

L'alchimie de la dataviz : entre art, règles, conventions et savoir-faire

L’aspect esthétique est essentiel dans la visualisation de données mais l’exercice ne peut se réduire à « rendre joli un graphique », ni même à illustrer un chiffre par un pictogramme. La datavisualisation s’appuie sur des expertises fortes en analyse de données et les choix de représentation doivent refléter cette expertise en garantissant des contenus fiables. Elle repose également sur de la rigueur pour ne pas tromper le lecteur. Il ne s'agit pas d'omettre les échelles ou les unités par exemple, ni d'utiliser des procédés graphiques qui pourraient tordre le message ou afficher un parti-pris unique dans la lecture de résultats. Par ailleurs, la visualisation de données se doit de contextualiser et hiérarchiser l’information. Autant d’éléments qui vont permettre au lecteur d’approfondir ses connaissances et nourrir ses réflexions ou sa prise de décision. Il ne s’agit pas de visualiser une donnée mais un ensemble d’éléments quantitatifs qui, ensemble, construisent un récit ou alimentent un discours. 

Ébauche d'une méthode

Pour construire un projet en dataviz, on peut distinguer plusieurs grandes étapes permettant de « faire parler les données » et de passer ainsi de la data à l’information.  

Définir le message / le sujet

  • Avoir un objectif clair : quelle histoire veut-on raconter ? Quel est le message ? C’est une étape clé avant de commencer le travail sur les données. Elle peut faire l’objet de séances de brainstorming associant experts thématiques, graphistes, data analyste, direction stratégique pour clarifier l’objectif à atteindre.
  • Pour qui ? À qui s’adresse-t-on ? Les formats et la complexité de la représentation en découleront.

Collecter les données

  • Disposer de données fiables et complètes. Un jeu partiel de données entraine des erreurs et de fausses interprétations, de même qu’il convient de vérifier ses sources et la fiabilité des données utilisées.
  • Créer un socle commun pour regrouper et mettre à disposition les données, une fois qu’elles ont été nettoyées, normalisées, vérifiées et en faciliter l’accès. Ainsi votre communauté d’experts disposera de bases sures et fiables pour ses travaux.

Organiser l’information

  • Hiérarchiser l’information. Lire des données ne va pas de soi. Il convient d’en guider la lecture et pour cela de trier, hiérarchiser et ordonner les données. L’œil repèrera ainsi plus facilement les tendances, les creux, les pics.
  • Contextualiser les données. Une donnée seule ne suffit pas toujours mais si je la compare à une autre, dans un autre contexte que ce soit temporel ou géographique alors la problématique devient plus claire.

Mettre en forme les données

  • Choisir le bon mode de représentation et le bon format (cf datavizcatalogue, lien en Ressources). Le type de visuel choisit permet d’accompagner au mieux le discours surtout si le jeu de données est important. Parfois la carte n’est pas le meilleur mode de représentation, un graphique en barre pour une évolution est souvent plus lisible. Choisir le bon format c’est servir au mieux son message.
  • Simplifier pour optimiser la lecture et trouver un bon équilibre entre le fond et la forme pour ne pas perdre son lecteur ou pire desservir le message. Parfois scinder l’information sur plusieurs supports est un choix judicieux. 
  • Enfin, montrer vos réalisations pour tester la compréhension du message.

Convergence d'un travail collectif

Traduire visuellement une information par différents procédés graphiques a toujours existé (cf. l’exposition en ligne « Données à voir, quand le design éclaire la data »). Mais le contexte numérique, la multiplication des supports, des contenus, ainsi que l’accroissement du flot de données à explorer changent la nature de l’exercice. De nouveaux outils nous permettent aujourd’hui de trier les données, d’automatiser les traitements, de construire des scénarios, notamment grâce à l’intelligence artificielle comme nous l’expliquions dans notre précédente chronique.  Ensuite, il faut tout autant maîtriser les outils techniques que les composantes graphiques pour « donner à voir les données », pour reprendre l’expression de Nathan Yau cité plus haut.
On comprend alors mieux pourquoi une dataviz se conçoit rarement seul. Plusieurs experts peuvent être mobilisés selon la complexité du projet. C’est dans les échanges autour des données et le croisement des compétences que le message, la narration et le format prennent forme. Chacun, à son niveau, participe à retranscrire une information fiable et efficace.

Ces dernières années, de nouveaux profils émergent autour de la data : data analyst, data designer, data scientist etc. Autant d’acteurs aux compétences très spécifiques qui vont intervenir à des phases précises du cycle de vie de la donnée. Encore une fois, il ne s’agit pas de travailler en silo mais bien en adéquation avec les experts thématiques ou territoriaux qui contribuent à la fiabilité et à la pertinence des résultats.

Exemples d’acteurs pouvant être mobilisés :

Un expert de la data : il maîtrise les outils et les méthodes de traitements de la donnée et, selon les structures, il maitrise également les moyens de restitution.

Un expert thématique ou du territoire : il apporte sa connaissance métier (environnement, mobilité, démographie etc.).

Un graphiste : il maitrise le langage visuel et l’utilisation de ses composantes (couleur, formes, texte) pour servir le message.

Un développeur : il détient les connaissances techniques pour donner forme sur le web à des contenus enrichis.

Un expert en communication : il a une connaissance des cibles et des canaux de diffusion de l’information pour un maximum d’impact en adéquation avec la stratégie de l’organisme.
 

Et à L'Institut Paris Region, quels sont les usages ?

Pour optimiser notre utilisation de la dataviz, nous avons mis en place à l'Institut plusieurs éléments. Des outils et des méthodes ont été développés pour favoriser une culture commune. Les outils fournissent un cadre spécifique, facilitant ainsi l'identification de nos productions et offrant des possibilités d'exploration variées pour la représentation des données. Les méthodes permettent de renforcer collectivement nos compétences et de bénéficier des travaux de chacun. Cet ensemble constitue désormais un socle évolutif nourri en permanence par nos productions. Notre méthodologie et la représentation visuelle des données n'est pas statique. Elle évolue en suivant les tendances qui dictent nos modes de consommation de l'information : la demande de formats concis, une compréhension intuitive des contenus, des récits problématisés, etc. Maintenir ces outils et ces méthodes est essentiel et nécessite une veille régulière afin d'adapter nos contenus aux besoins de nos utilisateurs.

Exemple de la réalisation d'une planche d’infographies pour la Journée internationale des droits des femmes

 

 La première étape se construit autour d’un tableur pour ordonner et structurer les données et dégager des tendances. Dans notre exemple, nous disposons de données issues du Baromètre des franciliens publié par l'Institut à la sortie du confinement. Être propriétaire des données permet ici d'éviter les étapes d'acquisition, de vérification et de validation. L’expert thématique sélectionne et prépare alors les données selon plusieurs messages forts qu’il souhaite mettre en évidence. Un premier échange est engagé entre experts pour ordonner les données et préparer une narration. L'expérience acquise à l’Institut permet de gagner beaucoup de temps, notamment grâce à un certain nombre d'automatismes. Disposer d'un socle de données communes permet aussi de compléter une reflexion. Parfois même, les experts testent en amont des représentations pour amorcer le travail de représentation avec la personne en charge de la réalisation graphique.

 La deuxième étape est consacrée à la réalisation des dataviz. L’expert propose des représentations adaptées à chaque donnée. Il prend en compte les messages et le fil conducteur validé avec l’expert thématique. Des choix peuvent intervenir à chaque étape pour trouver le bon graph, sélectionner la bonne donnée, parfois même en sélectionner d’autres pour mieux compléter la narration. Les bibliothèques (pictos et couleurs) et gabarits mis en place à l’Institut sont une ressource précieuse qui permet de se focaliser sur les messages et le discours sans perdre de temps avec la recherche d’éléments graphiques pour composer l’infographie. Plusieurs versions sont alors proposées et soumises à la lecture pour s’assurer que les messages sont bien compréhensibles et que les choix graphiques ne soulèvent pas d’erreurs d’interprétation ou de confusion.


 La dernière étape consiste en une phase de relecture orthographique et typographique, ainsi que des échanges avec le département Communication afin de préparer la publication de l’infographie réalisée et définir son calendrier éditorial sur les différents canaux de communication de l'Institut : impression, site internet, réseaux sociaux, newsletter, presse.
 

D'autres exemples d'infographies publiées par l'Institut

• Infographies au sein d'une carte imprimable, par exemple la carte du parc social
www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/le-parc-social-francilien/

• Tirer avantage du web pour explorer de gros jeux de données via la carte interactive Regreen
cartoviz2.institutparisregion.fr

• Offrir une information visuelle et synthétique dans une publication. Exemple avec une Note Rapide sur les demandeurs de logements sociaux
www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/de-plus-en-plus-de-franciliens-attendent-un-logement-social-qui-sont-les-demandeurs/

• Restituer une enquête, exemple avec le Baromètre des Franciliens
www.institutparisregion.fr/societe-et-habitat/le-barometre-des-franciliens/
 

Quand la dataviz révolutionne la lecture des données et stimule l'innovation

Comme nous venons de le voir, à L’Institut Paris Region, proposer une lecture synthétique de l’information a été le premier objectif majeur de l’introduction de dataviz dans nos productions. En évitant des démonstrations parfois laborieuses dans un écrit, les datavisualisations offrent un support très efficace pour  la compréhension et l’appropriation des enjeux présentés dans nos études. Par ailleurs, en réalisant des infographies qui combinent graphes, chiffres, textes et cartes, nous enrichissons nos études et analyses avec des supports synthétiques sur mesure. 
Mais la réalisation de dataviz et d'infographies est un art complexe, aux multiples facettes et expertises. La traduction d’une information complexe en un support visuel simple nécessite méthode et rigueur, deux qualités acquises au fil des années de pratique et par la montée en compétence des équipes sur les techniques de « schématisation » et de design d’information.

En ouvrant la réflexion sur les modes de représentation de nos données et en introduisant une « démarche dataviz » dans nos travaux, nous avons, non seulement revisité notre façon de travailler, mais aussi repensé la manière de produire nos cartes. Cette démarche nous pousse à approfondir notre réflexion en amont de toute production visuelle, évitant ainsi la superposition ou l’accumulation de données. Elle nous engage à adopter une approche narrative pour construire un discours ou une démonstration cohérente autour du support choisi.

Enfin, l’utilisation de la dataviz nourrit également un collectif et des échanges qui sont tout autant essentiels. Elle est un support de dialogue entre les experts, entre les différentes parties prenantes pour, ensemble, s’accorder sur des faits, des résultats, des objectifs. Elle peut être un très bon vecteur d’émulsion collective pour innover. La volonté commune de produire une véritable valeur ajoutée aux données ouvre la porte à la combinaison des expertises, permettant de produire des restitutions performantes et adaptées aux enjeux actuels. 
 

datavizcatalogue.com
www.data-to-viz.com
• Manuel de data visualisation, Jean-Marie Lagnel, Ed. Dunod
• Data visualisation : de l’extraction des données à leur représentation, Nathan Yau, Ed. Eyrolles
• Datavision 1 et 2, David McCandless, Ed. R. Laffont
• La datavisualisation au service de l’information. Ed. Pyramyd

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